Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...Pour se souvenir de Moebius…
Jean Giraud alias Moebius nous a quittés… Il était l’un des plus grands artistes de la bande dessinée mondiale, l’un des rares génies du 9e art… Le terme n’est pas galvaudé et sa disparition n’en est que plus tragique… C’est le cœur lourd que nous vous livrons un extrait d’entretien inédit, réalisé par téléphone les 14 février et 30 août 2001, pour un livre américain sur Métal hurlant qui n’a jamais vu le jour…
Jean Giraud s’est d’abord distingué en tant que dessinateur réaliste avec l’excellente série western « Blueberry », scénarisée par Jean-Michel Charlier.
Mais c’est sous la signature de Moebius que ses œuvres les plus personnelles se sont exportées à travers le monde : des USA au Japon…
Virtuose absolu, il s’amusait à alterner illustrations, bandes dessinées et art, chez Stardom, sa propre maison d’édition, chez Casterman ou aux Humanoïdes Associés…
Jean Depelley : D’où venez-vous exactement ? Quel était votre milieu socioculturel ?
Moebius : Je suis né en 1938, donc j’ai commencé un peu à émerger au moment de la Libération… C’était une époque intéressante, que j’aime bien (rire)… J’ai beaucoup vécu chez mes grands-parents, puisque mes parents se sont séparés assez tôt. À l’époque, c’était encore la préhistoire du divorce en France. C’étaient les grands-parents, le SAMU social ! Mais bon, c’étaient des personnes qui venaient de la campagne. J’ai donc vécu pendant une partie de mon enfance à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne), dans une maison qui reproduisait comme elle pouvait la vie de la campagne, avec des poules, un jardin, un grand potager… Dans une atmosphère de ferme, vous voyez ?
JD : C’est assez surprenant car dans vos albums, on trouve plutôt une ambiance urbaine, et la campagne, lorsqu’elle est représentée, est assez magnifiée, idéalisée.
Moebius : Oui, je sais… Pour moi, c’était beau… C’est sûr que le jardin est quelque chose qui a baigné mon enfance. Je fais d’ailleurs, depuis une dizaine d’années, une série chez Casterman qui s’appelle « Les Jardins d’Édena » [« Le Monde d’Édena », 4 volumes]. C’est clair… Tout est dans le titre : les jardins d’Éden, c’est à dire ceux de l’enfance… Je m’en aperçois alors même que je vous en parle. Je faisais ça spontanément…
JD : À cette époque, aviez-vous déjà cet intérêt culturel pour la bande dessinée, le cinéma ?
Moebius : Oui, bien sûr… Bien qu’il n’y ait pas eu de cinéma à l’époque (rire). Mais dès que le cinéma est arrivé, c’est vrai que j’ai été très impressionné. Le cinéma me préexistait, mais dans une espèce de contention. À la Libération, il y a eu d’un seul coup l’arrivée de tous les films bloqués… Surtout du cinéma américain de distraction. Ce cinéma était beaucoup moins perfectionné que maintenant. C’était plus primitif… Les thèmes et leurs traitements étaient simples, voire simplets. Je pense surtout aux serials… Ces films n’étaient pas vraiment bien perçus par les adultes, et plutôt destinés aux enfants…
JD : Et la BD ?
Moebius : Les BD, à l’époque, c’étaient les illustrés. Spirou est arrivé assez vite, avec Franquin et Jijé. Il y avait aussi toutes ces productions populaires d’origine italienne. J’ai aussi connu les hebdomadaires Robinson et Hop-Là, publiant les classiques américains de l’âge d’or.
En fait, mes goûts, c’était un mélange entre les séries américaines – je me rappelle les couvertures de Tarzan, avec les dessins très impressionnants de Burne Hogarth – et européennes, car curieusement, j’appréciais aussi les copies italiennes qui fleurissaient, comme « Targa » [de Georges Estève, publié en France entre 1947 et 1951]…
En 1956, j’ai fait un voyage au Mexique, pour retrouver ma mère qui s’était remariée là-bas. Sur place, j’ai découvert deux choses : Mad et Harold Foster. « Prince Vaillant » était édité dans les journaux du dimanche. C’était magnifique, ces grandes planches couleur ! Dans Mad, Bill Elder m’a complètement cramé la cervelle ! (rire).
JD : Quelle a été votre formation ?
Moebius : J’ai eu une éducation graphique un peu bizarre… Après l’école [les Arts Appliqués], où c’était très orthodoxe, avec Matisse et les modernes, je me suis fait mon éducation graphique tout seul. Quand j’étais gamin, je regardais les illustrations de Gustave Doré dans les grands livres magnifiques, ainsi que toute la peinture pompier. J’ai été très impressionné par tout cela, tout ce folklore du début du siècle. Je suis très sensible à cet aspect illustratif très élaboré…
JD : Et comment se sont déroulé vos premières expériences professionnelles ?
Moebius : En fait, ma première expérience professionnelle [une série intitulée « Frank et Jérémie » en 1956], c’était pour la revue mensuelle Far-West, réalisée par Marijac.
J’étais un grand fan de Marijac.
J’adorais sa série « Jim Boum ». Mais j’aimais moins ses « Trois mousquetaires du Maquis » qui l’ont rendu célèbre… Ensuite, ça a été chez Fleurus [pour les journaux Cœurs vaillants, Fripounet et Marisette...].
Quand je suis rentré du service militaire [en 1961], j’ai trouvé un job à la maison Hachette [pour l’encyclopédie « Histoire des civilisations »], par mon ami Jean-Claude Mézières. Ils cherchaient des artistes capables de faire des reproductions assez léchées à la gouache. Ce travail pour Hachette était très bien, j’ai appris à peindre d’une certaine manière…
Mais j’avais quand même une grande envie de faire de la bande dessinée… J’ai donc été voir Hara-Kiri, et c’est là que j’ai commencé sous la signature de Moebius. J’ai pris l’initiative quand j’ai vu la revue. À l’époque, j’avais envie de faire des choses à la fois d’avant-garde, comiques et troublantes, même sur le plan sexuel… Je ne savais pas vraiment comment faire, j’avais peur de tomber dans la pornographie. C’était un peu avant l’époque underground. L’underground a libéré beaucoup de chose à ce niveau là…
En même temps, je continuais à jeter un œil sur la bande dessinée traditionnelle, notamment sur le travail de Joseph Gillain alias Jijé…
À tel point que je suis allé lui rendre visite, avec Jean-Claude Mézières ! Jijé m’a beaucoup aidé, il m’a fait travailler dans la veine classique…
Là-dessus, mon travail chez Hachette s’est arrêté. Il me fallait trouver du travail. J’ai fait la tournée des journaux français. Et lorsque j’ai rencontré Jean-Michel Charlier, il m’a carrément kidnappé ! (rire) Je n’ai pas pu résister !
JD : Et de Pilote, comment êtes-vous rentré à L’Écho des Savanes ?
Moebius : Vers 1972, il y avait du mouvement dans la BD, pas mal d’envie de bouger. Il y avait une contestation, comme on disait à l’époque… contestation de toutes les structures, de tout ce qui avait l’air certain. Il y a eu toute une nouvelle génération d’artistes, beaucoup plus rapides que je n’étais, qui n’avaient pas envie de passer dix ans à faire de la bande dessinée traditionnelle. Ils se sont tout de suite lancés dans le délire. Parmi ces gens-là, il y avait Mandryka, Gotlib, Claire Bretécher…
JD : Toute l’équipe des premiers L’Écho…
Moebius : Voilà ! J’ai été un peu sommé de les suivre, parce que j’étais très copain avec eux. Ils aimaient beaucoup ce que je faisais sur « Blueberry ». Ils connaissaient aussi les illustrations de science-fiction que je faisais parallèlement. Tout le monde voyait que j’avais un potentiel qui ne pouvait pas s’exprimer complètement sur « Blueberry ».
Il y a d’abord eu une histoire sortie dans Pilote, appelée « La Déviation » [en 1973].
À l’époque, je n’ai pas pensé la signer Moebius… C’était encore du Jean Giraud. Mais à la suite de cela, j’ai vu qu’il y avait un problème. En la publiant dans Pilote, ça créait une ambiguïté par rapport à son aspect assez radical par rapport au genre traditionnel.
Gotlib, Mandryka et Claire Bretecher ont alors créé L’Écho des Savanes [le premier numéro est sorti en mai 1972]. Ils ont commencé à faire des histoires vraiment géniales et, tout de suite, on a vu apparaître quelque chose de neuf par rapport à Pilote, une revue qui était un peu indécise, avec un spectre plus large.
D’un seul coup, apparaissait quelque chose de beaucoup plus resserré, beaucoup plus incisif. Donc, avec Jean-Pierre Dionnet et Philippe Druillet – beaucoup plus avec Philippe à l’époque, d’ailleurs, car Dionnet ne s’est intégré qu’après -, nous avons créé Métal hurlant [au premier trimestre 1975].
JD : Est-ce que Druillet a été une influence pour vous à l’époque ?
Moebius : Tout à fait ! Oui, Philippe a été une très grande influence. D’ailleurs pas seulement au niveau dessin, mais au niveau humain. C’est une personne très chaleureuse et… Unique. Il est… Extraordinaire, quoi ? Encore plus extraordinaire que ses BD ! (rire)
JD : Quelle était votre idéologie dans le contexte d’alors ?
Moebius : C’était assez conventionnel : une espèce de gauche anarchisante, ce que l’on a appelé « l’esprit soixante-huitard » : un rejet du monde parental en bloc, en incluant même le personnel politique là-dedans, dans une espèce de revers désinvolte un peu enfantin…
C’était toute une attitude par rapport à la drogue, par rapport à la musique, par rapport au sexe, enfin par rapport à tout ! Pour nous, un tabou était une porte à ouvrir plutôt qu’à laisser fermée ! (rire)
JD : On sent aussi une patte surréaliste chez Moebius.
Moebius : Oui, tout à fait. J’ai été extrêmement touché par le « Manifeste Surréaliste » [le texte fondateur du surréalisme d’André Breton, en 1924]. Ce credo a touché une fibre naturelle. Il y a des gens réfractaires à cette forme de pensée, d’autres qui sont immédiatement en phase. Pour moi, c’est un peu ce qui s’est passé. Tout ce qui est arrivé après, ma rencontre avec Jodorowsky, la lecture de Castaneda et mes voyages, m’a conforté là-dedans.
JD : Quel regard portez-vous sur Métal hurlant aujourd’hui ?
Moebius : Pour moi, c’était une aventure magnifique, absolument somptueuse… Je l’aime beaucoup parce qu’elle n’a jamais été polluée par une idéologie quelconque. Elle a toujours été basée sur la recherche du plaisir, de la beauté… C’est un truc vraiment heureux. En plus, j’ai vraiment apprécié l’arrivée de Philippe Manœuvre, un personnage vraiment extraordinaire [venant du magazine Rock & Folk]. Il a relié Métal hurlant à toute une époque… Je pense qu’il y a eu deux grandes revues de la contre-culture en France : Métal hurlant et Actuel.
JD : Quelle est votre opinion générale sur l’évolution de la bande dessinée ?
Moebius : À l’heure actuelle, je trouve que la bande dessinée évolue d’une façon intéressante. C’est un phénomène planétaire. En France, on a une réelle évolution, aussi bien dans la quantité que la qualité. C’est un phénomène inexplicable, mais qui est là et tant mieux !
Aux États-Unis, c’est autre chose : la bande dessinée, c’est vraiment la honte ! (rire) Aussi bien pour ceux qui la font que pour ceux qui la lisent !
Par contre, il y a un circuit de bandes dessinées autobiographiques, provenant du psychédélisme underground.
Des gens comme les frères Hernandez, des artistes à la limite de la pathologie, de la contre-culture…
Ça rejoint parfois l’érotisme… Mais, très vite, on retombe dans les clichés : dès qu’il y a de l’horreur ou de la violence, ça commence à sentir le renfermé.
C’est curieux à quel point les super-héros ont perduré. Tout en étant impressionnant, ça sent le vieux placard d’adolescent, avec les chaussures de football et les chaussettes pas lavées ! (rire).
JD : Les collaborateurs de Métal Hurlant sont passés du statut de dessinateurs de BD à celui d’artistes à part entière avec le magazine. Vous, Druillet, Bilal, Caza… C’est un fait remarquable.
Moebius : C’était un peu le but inavoué mais, somme toute, assez clair. On voulait se positionner. Contrairement à Pilote qui se la faisait journal chouette copain, là c’était différent. Avec Métal, on était le Dada des années soixante-dix – quatre-vingts.
JD : Vous êtes maintenant votre propre éditeur avec Stardom.
Moebius : Oh, c’est très modeste ! On fait du tirage limité, presque à compte d’auteur. On essaie de faire des trucs sympas, des jolies choses…
Jean DEPELLEY
La semaine prochaine, bdzoom.com continuera son hommage à Jean Giraud, avec une interview peu connue traitant de sa collaboration avec Jean-Michel Charlier sur la série « Blueberry ».
Mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
Même si ça ne remplace pas le vide immense, ça fait du bien.
Merci les zamis!
Bel interview bien illustré. Juste un détail : les deux cases de Will Elder sont extraites de MAD n°10 (avril 1954) et non du n°5. Elles sont extraites de « Woman Wonder », dont on ne voit que des morceaux, sous la botte à clous de NIVLEM.
Oups! Tout à fait exact… Merci de cette correction !
Merci, interview inédite très sympa, je suis un grand fan (et collectionneur) et j’apprécie toujours la grande éloquence du « maître ». J’attends avec impatience la suite. Cet ouvrage était donc prévu pour être édité aux States ?
Vous allez trouver que je pinaille, et vous n’aurez pas tort : la couverture de « Pour quelle guerre » n’est pas la couverture de GALAXIE n°98, mais celle de GALAXIE BIS n°25 (ou 98 bis).
Encore exact. Merci pour la correction…
Concernant le projet pour lequel une version longue de cette interview était prévue, il s’agissait de Heavy Metallurgy, sous la direction de Jon Cook pour TwoMorrows Publishings. L’ouvrage était co-signé par Jon, une autre personne dont j’ai oublié le nom pour la biblio américaine dans Heavy Metal, et moi. Le livre aurait dû sortir avant l’excellent livre de Gilles Poussin et Christian Marmonnier, Métal Hurlant, la machine à rêver. L’approche était différente. La première partie, dont je m’occupais, se consacrait à Métal hurlant, avec des interviews des humanoïdes : Dionnet, Moebius, Druillet (l’interview que vous avez lue il y a quelques semaines dans BDZoom), Farkas (et oui !) + quelques autres (Caza, Bilal, Margerin, Denis Sire…). La deuxième partie concernait la version américaine de la revue et la troisième, les films… Malheureusement, les problèmes personnels de Jon ont eu raison du projet… Les interviews prévues pour cet ouvrage sont toujours inédites…
J’espère que vous ne laisserez pas l’interview de Farkas dans vos cartons : c’est le moins interviewé du groupe des 4 fondateurs. Ce serait une excellente suite à celle de GIRAUD/GIR/GYR/MOEBIUS, même si à priori, c’est moins vendeur. Mais « Le coin du patrimoine n’est-il pas là pour lever le voile sur des pans obscurs d’icelui? Ce mystérieux quatrième humanoïde qui était je crois censé apporter son expérience de gestionnaire dans ce groupe de talentueux rêveurs semble les avoir quittés assez rapdement, non?
Merci de partager tout ça ! Moebius était vraiment l’artiste multi-plateforme, multi-talents… enfin bref, le protéïforme ultime !
J’ai enfin pu avoir le feu vert de la Fondation Cartier pour partager la captation improvisée de la soirée « Nomade » organisée par Moebius à la fin de son expo. C’était le 10 mars 2011, exactement un an avant sa disparition. Une soirée mémorable et émouvante. Ce soir-là il partageait avec le public présent son amour de l’improvisation, de la culture populaire (choisir une fanfare pour l’accompagner, quelle idée !), de la musique (les Beatles, entre autres), et aussi sa façon à lui de prôner les mélanges, et prouver que les moyens employés se plient toujours à l’inspiration :
http://mandrake-de-paris.blogspot.fr/2012/03/giraudmoebius-le-concert-en-dessins-10.html
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Hello Jean ! Passionnante interview, j’attends la suite ! Précision, ce n’est pas la couverture du « Heavy Metal » n°1 (plus probablement le n°3) que tu as passée, le premier opus date d’avril 1977 et c’est un dessin de Nicollet (deux robots se bagarrant sans pitié). Bien cordialement !
… et ce n’est pas « Le Cauchemar blanc » de Gir mais « Cauchemard blanc » (avec la faute d’orthographe et sans l’article) de Mœbius (signature dernière case), publié dans « L’Echo des savanes n°8 (3e trimestre 1974), ah, pinailler, on ne peut pas s’en empêcher…
Bel entretien.
(P.S. : « nous a quitté » > quittés)
Merci Jean-Michel !
À nous, d’habitude si scrupuleux de l’orthographe, cette faute nous avait échappé ! Et personne ne s’en était rendu compte depuis la mise en ligne de l’article en mars 2012.
On corrige tout de suite !
Bien cordialement
La rédaction