2001, L’ANNEE DE TOUS LES RECORDS

Une année de bandes dessinées sur le territoire francophone européén. Merci à Gilles Ratier, secrétaire général de l’ACBD (Association des journalistes et Critiques de Bandes Dessinées).

* Record pour une production déjà énorme :1292 nouveaux albums contre 1137 l’an passé ; cette évolution est à la hausse pour la 6ème année consécutive. A ce chiffre de 1292 nouveaux albums, on doit encore ajouter 406 rééditions dans une nouvelle présentation (contre 285 l’an dernier), 146 livres de recueils d’illustrations ou de dessins d’humour réalisés par des auteurs de BD (contre 103 l’an dernier) et 46 ouvrages d’essais et d’histoire de la BD (contre 38 l’an dernier). Soit un total de 1890 livres appartenant au monde de la BD (contre 1563 l’an dernier) : une augmentation non négligeable de 327 titres (contre 200 l’an dernier). Ceci constaté, il faut savoir que 446 nouveautés (plus 258 rééditions et divers) –soit plus du tiers de la production annuelle- sont parues entre septembre et novembre : cette incessante recrudescence, surtout due au développement de nouvelles maisons d’éditions, risque d’aboutir à une saturation de la part des libraires et du public, et donc à une situation quelque peu inquiétante ! (voir le graphique joint avec les chiffres de parutions mois par mois).

 

 

* Record du nombre de maisons d’éditions : elles sont désormais au nombre de 150 (contre 140 l’an dernier). Mais pas plus de 25 d’entre elles publient, à elles seules, la quasi-totalité des albums de BD, c’est à dire les 3/4 de la production en titres (ce qui représentent vraisemblablement 90 % de l’activité du secteur). Il s’agit de Glénat (122 nouveaux titres contre 117 l’an dernier), Dargaud-Kana (97 nouveaux titres contre 76 l’an dernier), Delcourt (87 nouveaux titres contre 87 l’an dernier), Tonkam (70 nouveaux titres contre 67 l’an dernier), Dupuis (59 nouveaux titres contre 59 l’an dernier), Soleil (57 nouveaux titres contre 49 l’an dernier), Casterman (54 nouveaux titres contre 53 l’an dernier), Pika (51 nouveaux titres contre 28 l’an dernier), Albin Michel (38 nouveaux titres contre 31 l’an dernier), Vents d’Ouest (37 nouveaux titres contre 32 l’an dernier), Panini (35 nouveaux titres contre 13 l’an dernier), Lombard (32 nouveaux titres contre 29 l’an dernier), J’ai Lu (24 nouveaux titres contre 24 l’an dernier), Semic (19 nouveaux titres contre 16 l’an dernier), Les Requins Marteaux (19 nouveaux titres contre 9 l’an dernier), Hors Collection (18 nouveaux titres contre 4 l’an dernier), L’Association (17 nouveaux titres contre 22 l’an dernier), Les Humanoïdes associés (16 nouveaux titres contre 22 l’an dernier), USA (15 nouveaux titres contre 9 l’an dernier), Bayard (14 nouveaux titres contre 11 l’an dernier), Paquet (13 nouveaux titres contre 9 l’an dernier), Bamboo (13 nouveaux titres contre 9 l’an dernier), Nuclea (13 nouveaux titres contre 6 l’an dernier), Audie(12 nouveaux titres contre 9 l’an dernier), Pointe Noire (12 nouveaux titres contre 6 l’an dernier)… Notons qu’en 2000, elles n’étaient que 15 à regrouper le plus gros de la production annuelle. Un tableau joint permet de comparer tous les chiffres des principaux groupes d’éditions en tenant compte de leurs filiales.

 

 

 

* Record du nombre d’auteurs (dessinateurs et scénaristes) : sur le territoire francophone européen, ils sont 1100 à pratiquer et à vivre (plus ou moins bien) de la BD. Parmi ces 1100 auteurs remarquons que 100 d’entre eux sont exclusivement scénaristes (Van Hamme, Christin, Giroud, Le Tendre, Cothias, Rodolphe, Yann, Léturgie, Chauvel, Dufaux, Desberg, Dieter, Corbeyran, Morvan, Perrissin, Zidrou…) et 80, seulement, sont des femmes… Créer des BD est un métier qui se développe de façon spectaculaire et les incontournables (Moebius, Tardi, Hermann, Mézières, Juillard, Vuillemin, Godard, Yslaire, Cosey, Loisel, Ceppi, Sokal, Servais, Ptiluc, Tronchet…) cohabitent naturellement avec les jeunes talents. Pourtant, une nouvelle génération d’auteurs prolifiques, réalisant indifféremment textes et dessins, se profile nettement. Ce mouvement qui défend une BD “d’auteur” est surtout représenté par des personnalités telles que Dupuy et Berbérian, Goossens, Mathieu, Moynot, Rabaté, David B., Trondheim, Sfar, Davodeau, Mazan, Dethan, Larcenet, Blain, Guibert, Chabouté, Delisle, Berlion, Chauzy, Dumontheuil, Sardon, de Metter, le Suisse Peeters ou l’Iranienne Satrapi… Notons que les auteurs cités ici ont tous publié, en cette année 2001, d’excellents albums.

 

 

 

* Record des tirages et des ventes :ce sont les grands classiques qui ont toujours la faveur du public car ils sont considérés comme des valeurs sûres. C’est bien sûr le cas d’“Astérix” d’Uderzo (3000 000 ex.) mais aussi de “Blake & Mortimer” de Benoît et Van Hamme (500 000 ex.), “Boule & Bill” de Roba (500 000 ex.), “Lucky Luke” de Morris et de Groot (320 000 ex.), “Thorgal” de Rosinski et Van Hamme (300 000 ex.), “Yoko Tsuno” de Leloup (212 000 ex.), “Les Tuniques bleues” de Lambil et Cauvin (190 000 ex.), “Alix” de Martin et Morales (150 000 ex.), “Léonard” de Turk et de Groot (130 000 ex.), “Blueberry” dans sa version Jeunesse par Blanc-Dumont et Corteggiani (100 000 ex.), “Lefranc” de Martin et Simon (100 000 ex.), “Valérian” de Mézières et Christin (90 000 ex.), “Yakari” de Tibet et Duchâteau (90 000 ex.)… Notons aussi la progression spectaculaire de séries assez jeunes (moins de 20 ans d’âge) qui réalisent des scores tout aussi impressionnants : “Le petit Spirou” de Tome et Janry (600 000 ex.), “Lanfeust des étoiles” de Tarquin et Arleston (360 000 ex.), “Le Chat” de Geluck (320 000 ex.), “Kid Paddle” de Midam  (230 000 ex.), “Cédric” de Laudec et Cauvin (220 000 ex.), “Trolls de Troy” de Mourier et Arleston (160 000 ex.), “Agrippine” de Bretécher (120 000 ex.), “Sœur Marie-Thérèse” de Maëster (100 000 ex.), “Les femmes en blanc” de Bercovici et Cauvin (100 000 ex.), “Soda” de Gazzotti et Tome (90 000 ex.), “L’Epervier” de Pellerin (87 000 ex.), “Mélusine” de Clarke et Gilson (85 000 ex.), “Aquablue” de Tota et Cailleteau (80 000 ex.), “Bouncer” de Boucq et Jodorowsky (60 000 ex.)…, sans parler du “Titeuf” de Zep qui fait un malheur, même quand il apparaît sous une autre forme que la BD (“Le guide du zizi sexuel”tiré à 180 000 ex.). Enfin, même des BD plus personnelles souvent réalisées par des auteurs célèbres comme Tardi (200 000 ex. pour “Le cri du peuple”), Rosinski et Van Hamme (100 000 ex. pour “Western ”) ou Manara (100 000 ex. pour “Le déclic ”) cartonnent avec des chiffres qui font vraiment des envieux dans le monde de l’édition. La BD est d’ailleurs aujourd’hui un des secteurs éditoriaux qui connaît le meilleur développement !

 

 

 

* Record de diversification des publics : ces évolutions à la hausse ne porte guère préjudice aux ventes car les publics concernés sont très variés. Les amateurs de mangas (BD japonaises), de comics (BD américaines tendance super-héros) et de fantastique ou d’heroic-fantasy sont de plus en plus nombreux et sont souvent très différents de ceux qui apprécient la traditionnelle BD d’aventure (exclusivement francobelge), les romans graphiques, l’humour ou la BD reportage (un genre nouveau qui n’en est qu’à ses balbutiements). En matière de BD étrangères, les séries traduites du japonais et de l’américain écrasent littéralement les rares tentatives pour faire connaître les BD venues d’autres pays. Les mangas sont de plus en plus nombreux puisque 269 BD japonaises ont été publiées (contre 227 l’an dernier). Concentrées chez peu d’éditeurs (Glénat, Kana, Tonkam, Pika, J’ai Lu…), ses principaux succès sont “Kenshin”, “Ken le survivant”, “Slam Dunk”, “Hunter X Hunter”, “Card Captor Sakura”… (tirés entre 10 et 20 000 ex.). On compte aussi 99 BD américaines (contre 116 l’an dernier), 23 BD italiennes (contre 27 l’an dernier), 11 BD argentines (contre 9 l’an dernier), 10 BD espagnoles (contre 11 l’an dernier), 5 BD israélienne, 4 anglaises, 3 autrichiennes, 2 allemandes, 2 suédoises, 1 néo-zélandaise, danoise, finlandaise, serbe, croate… : soit 433 traductions -tous horizons confondus- (contre 403 l’an dernier), c’est à dire un tiers de la production annuelle.

 

 

* Record de pré-publications dans la presse: même si l’album reste le support principal pour la BD, il y avait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant de BD proposées intégralement (notamment pendant l’été) dans un journal (du quotidien au trimestriel) qu’il soit généraliste ou spécialisé. Même si un effort reste encore à faire (en comparaison avec ce qui se passait avant les années 1990), 259 BD ont été publiées de cette manière (contre 250 en 2000). Il y a d’ailleurs, aujourd’hui, environ 17 véritables revues de BD distribuées en kiosques et maisons de la presse alors qu’elles n’étaient que 11 l’an passé. Par contre, dans ce même réseau, on note une légère baisse en ce qui concerne les magazines consacrés au fantastique et aux super-héros (BD américaines pour la plupart) : 66 fascicules (tirés entre 25 000 et 35 000 ex.) paraissent régulièrement (contre 70 en 2000). Ce secteur est dominé par trois groupes (Semic, Panini et Dino) qui ont éliminé tous leurs éventuels concurrents. N’oublions pas non plus les BD en petits formats distribués de la même façon (“Rodéo”, “Kiwi”, “Zembla”, “Mustang”, “Akim”…) qui atteignent des tirages d’environ 15 000 exemplaires : ces pockets, symboles d’une BD populaire, utilisent souvent du matériel ancien ou italien mais, depuis quelques années, font un réel effort de création et de renouvellement.

 

 

* Record du plus petit coût :la palme allant à Librio (filiale de Flammarion) qui a su proposer les deux premières aventures d’“Adèle Blanc-Sec” de Tardi, en noir et blanc, dans un format de poche qui ne dénature pas l’original pour seulement 1,53 euros (10 F) le volume. Cette réussite renouvelle avec succès les tentatives décevantes de la fin des années 70 : elle a été très vite suivie par Le Livre de Poche (filiale d’Hachette) qui propose, quant à lui, les “Agrippine” de Bretécher en couleurs. Dans le même ordre d’idées, notons les différentes opérations promotionnelles des éditeurs traditionnels de BD comme Dupuis ou Dargaud pour proposer des produits à un prix modique défiant toute concurrence.

 

 

 

* Record d’utilisation de la BD pour d’autres supports :jamais la BD n’aura été autant utilisée dans le domaine du cinéma (“Astérix”, “From Hell”, “Ghost world”, “Spider-Man”, “Jack Palmer”, “Neige”, “Bob Morane”, “Blake & Mortimer”, “Jeremiah, Blueberry, Michel Vaillant”… vont sortir en 2002, sont en tournage ou en projet d’adaptation), des téléfilms (extraordinaire succès pour “Largo Winch”), du dessin animé (“Lucky Luke”, “Titeuf”, “Agrippine”, “Jojo”, “Cédric”, “Bécassine”, “Corto Maltese”, “Ric Hochet”, “Yves Sinclair”…), de la publicité pour de grandes campagnes de communication (“Titeuf” pour Mac Donald et surtout “Largo Winch” et “Corto Maltese” pour Dior car ces visuels ont touché plus gens que les précédentes campagnes avec Johnny Hallyday et Zinédine Zidane), des expositions (“Tintin” au Musée de la Marine et au château de Cheverny, “Popeye” au CNBDI…), des jeux vidéos, des produits dérivés…, et bien sûr sur Internet. Les personnages de BD n’en finissent pas de descendre dans la rue et d’envahir les écrans afin de re-dynamiser l’image de toutes sortes de produits car la BD est de plus en plus enracinée dans les foyers français. Aujourd’hui, 30 % des Français se déclarent être intéressés par la BD : ce chiffre est révélateur de sa légitimité auprès de la population qui la considère comme éducative, originale et populaire. Pourtant, elle s’estime mal informée sur l’actualité de la BD et met le doigt sur un déficit d’information notamment à la télévision et dans les grands journaux.

 

 

* Record du peu d’intérêt pour les classiques de la BD :seulement 21 titres datant de plus de 20 ans ont été exhumés (contre 29 l’an passé), et encore, pour la plupart, par de petites structures. A ce sujet, saluons bien bas les initiatives de L’Association, de Fréon, de Hors-Collection, de Mosquito et de Horay qui ont enfin proposé au public francophone des versions rêvées de chefs-d’œuvre signés Jean-Claude Forest, Alberto Breccia, Harvey Kurtzman, Dino Battaglia et Winsor McCay. Il reste pourtant encore bien des auteurs à redécouvrir et qui mériteraient une édition digne de ce nom : Milton Caniff, Al Capp, Elzie C. Segar, Walt Kelly, Raeburn Van Buren, Vincent T. Hamlin, Bernie Krigstein, Marten Toonder, Hans G. Kresse, Alfred L. Mazure, Bob Van den Born, Tove Janson, Jesus Blasco, Frank Bellamy, Leo Baxendale, James Holdaway, Jean Ache, Raymond Poïvet, Jean Cézard, Jean Trubert, Franco Caprioli, Benito Jacovitti, Luciano Bottaro, Rino Albertarelli, Walter Molino, Guido Buzzelli, Andrea Pazienza, Ivo Milazzo, Jules Radilovic, Yoshiharu Tsuge, Arturo Pérez Del Castillo, Francisco Solano López, John Dixon, Eduardo Texeira Coelho, Garry Trudeau… Qui connaît encore ces génies du 9ème art qui ont influencé des générations de dessinateurs et scénaristes ? Le désintérêt du public et la frilosité des éditeurs expliquent peut-être ce manque. Ces rééditions ou traductions seraient de toutes façons peu rentables si, par bonheur, certains se risquaient à les publier. Ne serait ce alors donc pas à l’Etat de subvenir à l’entretien de ce patrimoine en aidant financièrement les éditeurs prêts à s’investir dans ce genre d’initiatives et en faisant la promotion de ces ouvrages, de façon efficace, auprès des établissements publics (bibliothèques, CDI, écoles…) ?

Gilles RATIER

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