1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie

Enfin ! Serait-on tenté de dire : enfin, la bande dessinée entre dans la célèbre collection des 1001 de Flammarion, rejoignant à juste titre le cinéma, la peinture, la littérature ou la chanson, pour en rester aux grands domaines artistiques. Le résultat en est un fort volume, aux choix éditoriaux marqués autant par l’encrage dans le répertoire classique que par une ouverture multiforme.

 Une œuvre de grande ampleur

Il aura certes fallu attendre le 18e volume de la collection pour voir la BD rejoindre la série, mais il n’est pour autant pas question de bouder son plaisir : avec ses 960 pages, illustrées de 664 couvertures, planches et vignettes, et ses 770 BD répertoriées, ce beau livre dirigé par Paul Gravett, trouvera une place de choix dans la bibliothèque de tous les amateurs.

Débutant classiquement par un point de vue européen avec l’œuvre de Rodolphe Töpffer (« Monsieur Vieux Bois» , 1837), le volume court jusqu’à nos jours avec « Habibi » de Grag Thompson (2011), présentant successivement, pour ne citer que quelques exemples, « The Yellow Kid » (1894), « Terry and the Pirates » (1934), « Spirou » , « Tintin » , « Blake et Mortimer » , sans oublier les héros de la Marvell ou les personnages de Motoro Mase (« Ikigami » , 2005).

On relèvera particulièrement la multitude des entrées favorisées par l’appareil critique qui fait des 1001 BD » , un outil d’utilisation facile et au maniement aisé. On note tout d’abord la préface de Benoît Peeters qui replace le genre dans ses origines et réfléchit à la signification du nouvel âge d’or actuel. Puis l’introduction de Paul Gravett développe la ligne de conduite éditoriale, attentive à 3 grands facteurs d’évolution récents : l’arrivée des femmes, la synergie née de la rencontre entre la BD et internet, et enfin l’épanouissement quasi universel du genre.

Ensuite, les deux index, judicieusement placés en début (titres) et en fin de volume (auteurs), permettent des recherches rapides et précises. Le découpage chronologique par périodes (avant 1930/de 1930 à 1949/de 1950 à 1969/de 1970 à 1989/de 1990 à 1999/ les années 2000) ordonne l’ensemble de l’ouvrage et rend possible un parcours historique ou cursif, selon l’envie. Pour chaque œuvre présentée, figure, à la suite du titre, des auteurs et de l’année de publication, une série de précisions : titre original, première parution, première parution française, origine géographique des auteurs.

Les articles, variés dans leur progression, prennent généralement en compte les aspects narratifs, formels et éditoriaux, sans rester prisonnier d’un canevas qui corsetterait artificiellement le propos. Chaque présentation, incluant le plus souvent un court résumé du scénario, une évocation des apports des auteurs et une mise en perspective historique, insiste sur les aspects saillants des albums, les plus faibles ayant parfois du mal à dépasser le simple résumé de l’histoire, les meilleures parvenant à synthétiser les aspects clefs de l’œuvre.

De quoi nourrir les attentes tant des bibliophiles et des spécialistes que celles des amateurs éclairés.  Des choix éditoriaux assumés

Comme tout exercice du type « bibliothèque idéale », le lecteur pourra s’étonner de la dimension arbitraire de certains choix : un tel déplorera l’absence de certains héros, un autre l’évocation partielle de la production d’un auteur, un dernier enfin le traitement réservé à certains pays. Mais la consultation de l’index suffit à montrer la richesse du contenu. Une liste relève toujours d’un choix, et du choix procède l’exclusion.

Dépassant la déploration du manque, il reste cependant à expliciter le résultat final au travers de quelques-unes de ses particularités. Ainsi, on pourra remarquer que certaines productions nationales restent relativement peu représentées eu égard leur volume (on pense en particulier à l’Italie). De même, d’une manière générale, la période récente, voire très récente, semble largement favorisée, pour ne pas dire sur-représentée : on notera ainsi le contraste entre la quatrième de couverture qui présente des albums de références classiques, déjà anciens et très connus du lecteur francophile, et le contenu intérieur, en net contraste car beaucoup plus centré sur une approche internationale et contemporaine : les trente dernières années regroupent près de la moitié des œuvres présentées, le quart si l’on s’en tient aux seules années 2000.

En outre, comme dans l’ensemble de la série, mais probablement de manière moins marquée que pour certains opus (le phénomène était net pour les volumes consacrés à la littérature, au cinéma ou à l’architecture), l’éclairage anglo-saxon est parfois singulièrement perceptible, notamment avec la part importante des collaborateurs étasuniens ou britanniques (plus du tiers du total, avec au premier rang d’entre eux le britannique Paul Gravett, l’un des meilleurs spécialistes actuels du 9e art). Une ouverture généralisée

Quoi qu’il en soit, le véritable élément de cohérence de l’ouvrage repose sur sa volonté d’ouverture qui se manifeste en termes aussi bien chronologiques et géographiques, que thématiques, médiatiques ou génériques.

Voici d’abord les 67 collaborateurs venus de tous les horizons (universitaires, auteurs, critiques, journalistes d’art, sémiologues), et des 5 continents, soit 27 pays : du Mexique à l’Australie, de la Pologne au Brésil, etc.

Les titres choisis ensuite, qui abordent bien entendu les 3 grandes zones de production de la BD, laissent une large place aux comics, aux mangas et à la production franco-belge, mais évoquent également de manière relativement précise, des aires artistiques moins connues en France : Mexique, Inde, Indonésie, Scandinavie, Australie, etc.

Enfin, toutes les déclinaisons du 9e art sont ici abordées, que ce soit dans la présentation formelle ou dans la nature de l’œuvre : album franco-belge, strip ou roman graphique, manga, comics ou BD underground et alternative, récit humoristique, historique ou noir, le genre a bien été parcouru dans ses divers aspects, présents et passés. Conclusion

L’intérêt de l’ouvrage repose donc autant sur sa souplesse d’utilisation, que sur l’ambition initiale de constituer une liste fermée quoique consistante, de 1001 titres.

Mais l’une de ses qualités premières repose au final sur la remarquable couverture géographique et culturelle qu’il met sciemment en œuvre. A côté du plaisir de retrouver les titres chers, le lecteur, qu’il soit simple amateur ou spécialiste déjà confirmé, sera quasi inévitablement confronté à la nouveauté de la découverte, comme une invitation à poursuivre l’exploration jamais achevée d’un medium dont la richesse se trouve ici de nouveau confirmée.

Joël DUBOS

 « Les 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie » collectif dirigé par Paul Gravet, préface de Benoît Peteers

Éditions Flammarion (32 euros -  ISBN : 978-2-0812-7773-1

Galerie

7 réponses à 1001 BD qu’il faut avoir lues dans sa vie

  1. GPOussin dit :

    … A part que quand je lis la notule sur « Le Fantôme », dans le texte courant, je frémis : Lee Falk n’ a jamais dessiné « The Phantom », il en était le génial scénariste, c’est l’immense Ray Moore qui a démarré graphiquement cette œuvre magique (pourtant signalé dans les logos indicatifs), continuée par le fascinant Wilson Mc Coy (non cité non plus), Sy Barry n’intervenant médiocrement que plus tard. Si le reste est à l’avenant, je reste sur mon Gaumer !

  2. jacques dutrey dit :

    Je me demande si « l’encrage dans le répertoire classique » ne serait pas plutôt « l’ancrage », du verbe « ancrer » (=fixer, enraciner) et si la confusion ne proviendrait de l’étape finale de la création habituelle d’une planche de bande dessinée. Ce n’est pas la première fois que je lis ce genre de confusion hélas.

  3. Gilles Ratier dit :

    Bonjour à tous !
    Je viens, enfin, de terminer la lecture de cet ouvrage monumental et, hélas, je ne partage absolument pas l’enthousiasme de notre collaborateur Joël Dubos ! En effet, si je suis d’accord avec lui sur le fait que cet essai « repose, au final, sur la remarquable couverture géographique et culturelle qu’il met sciemment en œuvre », je pense que son véritable intérêt est, surtout, de présenter des bandes dessinées peu ou pas connues, même par les plus grands spécialistes. Ce qui explique qu’il fasse son petit effet, du moins au premier abord… Car on s’aperçoit, en le disséquant, qu’il regorge d’erreurs de dates, que sa présentation chronologique est très aléatoire et qu’il reste assez pauvre sur le plan iconographique ! Je suis d’ailleurs assez étonné de toutes ces erreurs de dates étant donné que ce pavé a été réalisé sous la coupe éditoriale de l’Anglais Paul Gravett, éminent érudit du secteur (d’ailleurs, tout ce qui concerne le Royaume-Uni est remarquablement précis) : faut-il donc incriminer la coordination de l’édition française due à Nicolas Finet ?
    Quoi qu’il en soit, au niveau de la rigueur scientifique, je vais faire comme l’ami Gilles Poussin : « je reste sur mon Gaumer » !
    La bise et l’amitié
    Gilles Ratier

    • …Tout en sachant qu’il y a aussi des erreurs dans le Gaumer, bien sûr. Nobody’s perfect. Par exemple Spiegelman n’a pas « fait une formation graphique à l’Académie des Arts de San Francisco » (p.795) mais à Harpur College/SUNY (=State University of New York), Binghapton, comme il l’écrit lui même, en script, dans son autobiographie publiée dans The National Cartoonist Society Album 1996, traduite sur le site BDZOOM, excellent au demeurant.

      Si Finet a supervisé la traduction il n’a pu manquer les énormes erreurs relevées par Poussin, et s’il a « dirigé l’édition », je suppose qu’il l’a lue avant de délivrer le « Bon à Tirer », et aurait pu la corriger à ce moment là.

      Une bonne traduction, réécriture pour un autre public, exige du temps, beaucoup de temps. Trop peu s’est écoulé entre la version de Paul Gravett (le Thierry Groensteen anglais) et les autres versions pour produire quoi que ce soit de vraiment valable. La V.O. l’est-elle?

      Jacques Dutrey

  4. JC LEBOURDAIS dit :

    Oui elle l’est.
    s’agissant d’un travail collectif cela n’a rien de surprenant.
    Le Gaumer etant lui aussi tres loin de la perfection. Et bien obsolete maintenant.

    JC

    • dutrey jacques dit :

      Donc la VO à votre avis est valable? Votre avis l’est-il?
      Le Gaumer n’est pas parfait, certes. Qui l’est? Trés loin de la perfection est sans doute excessif.
      Obsolete est idiot, par contre. Un dictionnaire est hors mode par essence.

  5. GPoussin dit :

    Gaumer obsolète ? Vous y allez un peu fort, cher ami ! Sur les fondamentaux et les « grands » récents, il y a quand même de la matière et la dernière édition date de mars 2010 ! Je sais bien que le temps accélère sans cesse, mais, là, faut pas pousser… Ce qui n’empêche pas de vouloir aider à peaufiner la bête qui est toujours perfectible. Un exemple : le véritable patronyme de Mezzo n’est pas « Mesemberg » mais « Mesenburg », etc.
    L’important, c’est que le support existe, qu’il est fondamentalement crédible (ce qui n’était pas gagné en BD, contrairement, par exemple, au « Tulard » en cinéma), les bases sont saines, alors, ne boudons pas notre plaisir (et j’attends, avec impatience, le « complément » du Gaumer, le prochain BDM, pas pour les cotes dont je me moque, mais pour le listing bédéphilique sans cesse actualisé).

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