Interview de SERPIERI : DEUXIEME PARTIE

Deuxième volet de la rencontre avec Serpieri et présentation d’un collector d’une très petit format (9x7cm) publié il y a quelques années à 1500 exemplaires

YD : Mais pourtant vos dessins interdits ont été publiés ?

PS :Il est vrai que d’avoir la possibilité de voir publier mes dessins, interdits jusqu’à hier, est pour moi une certaine libération… J’essaye toujours de faire quelques croquis, de trouver l’image la plus juste. Je me pose la question: « Dois-je dessiner une scène de sexe ? » Il ya certaines zones du corps humain, qui doivent obligatoirement être censurées. Pourtant, si j’observe deux corps pendant l’acte sexuel, si je me mets devant eux, j’ai la vision des sexes en action. Ce sont des images qui « choquent ». Le sexe masculin est, paraît-il, une chose tabou, même s’il n’est pas en érection.

 

Donc, il me faut chercher, couper, masquer certains dessins de manière que le sexe masculin soit caché. Dans certaines situations, c’est assez difficile. Je fais des recherches, des petits dessins pour bien encadrer mon dessin définitif. Des fois, ma main se laisse aller et c’est avec plaisir que je réalise le dessin tel que je le souhaiterais. Quand je le reporte sur la page originale je le change, parce ce que je sais que cette position est impossible. Je corrige le dessin en mettant une main ou une jambe placée d’une manière stratégique. Une sorte d’auto-censure.

 

J’imagine que parmi mes lecteurs, quelques-uns pourraient être choqués par certaines scènes un peu crues. Scènes qui ne me posent aucun problème. Pour moi, le sexe n’a rien à cacher.

 

YD : Le plaisir est toujours gommé, qu’en pensez-vous ?

 

PS :Dans notre type de culture, le plaisir est toujours gommé… Je me rends compte que ce problème existe, généré par cette morale chrétienne où tout ce qui touche de près ou de loin au sexe est interdit… Pour ma part, depuis quelques années, je me suis dégagé de ce monde. Je me sens un peu plus désinvolte. Je me rends compte que ce problème existe et qu’il ne faut pas l’ignorer.

 

Pourtant, je ne voudrais pas me sentir lié à ces problèmes excessifs. Au moment où j’ai envie de dessiner une image crue, je la fais puis, éventuellement, je la modifie. C’est un divertissement… J’insiste, je ne voudrais pas modifier mon histoire parce que je ne peux pas dessiner telle ou telle scène. Ce serait une situation répressive, donc je les dessine quand même, quitte à les garder dans mon tiroir. Ce sont des images plus belles. Le sexe, le plaisir, le corps, la chair font partie de Druuna. Druuna sans cela n’a aucun sens, c’est autre chose, c’est une autre histoire. Quelqu’un d’autre peut la dessiner, ce n’est plus mon histoire. Pour certains, ces images peuvent passer pour gratuites, mais le lecteur devrait comprendre que lorsqu’on dessine certaines scènes « hard », l’auteur se divertit, c’est un moment de plaisir. Un plaisir que je ne veux pas perdre, au nom de je ne sais quelle loi. Quand on dit que ce sont des images complaisantes, c’est vrai, mais je me suis amusé à les dessiner. J’espère que le lecteur se réjouit de la même manière que moi et qu’ensemble nous nous divertissons dans l’observation de cette image sensuelle, fascinante.

 

YD : Cette peste qui ravage Shastar et d’autres, ne vous fait-elle penser à une maladie d’aujourd’hui ?

 

PS :Lors d’un festival récent, un journaliste a fait référence à mon travail et a cru remarquer que le mal dont je parlais pouvait être en fait le Sida… En effet, c’est un problème qui me préoccupe. En 1983, on parlait du Sida, mais pas comme aujourd’hui. Je me rends compte que ce qui est lié au plaisir du sexe est toujours condamné. Pour certains, aujourd’hui, le plaisir est synonyme de maladie… Si tu es malade c’est que tu es méchant, parce que tu as fait l’amour, donc, tu dois être puni. J’ai horreur de cette mentalité. Sensibilisé par cette terrible maladie, j’ai voulu la décrire, car elle me traumatise. Aujourd’hui les gens cherchent à comprendre les séropositifs. On considère les malades comme des êtres humains. Au début des années 80, cette maladie était considérée comme une horreur, l’horreur absolue. Celui qui était touché par cette maladie était isolé, abandonné de tous. « Tu as péché, tu as fait l’amour, donc, tu n’es qu’un homosexuel, un toxicomane. Alors on t’enferme dans un ghetto… et tu dois mourir.» Cela j’ai voulu le montrer.

 

YD : C’est exact, dès les premières pages de »Druuna » vous entrez dans le vif du sujet ?

 

PS : Oui, le policier est touché par le mal. Les quatre autres, qui sont ses amis, ses camarades, le haïssent tout de suite. C’est de sa faute. Ils veulent le tuer. L’un d’entre eux suggère:  » Abattons-le ! Il. Dès cet instant, le malheureux est rejeté. Il s’enfuit, désespéré, non par le mal qui le ronge, d’être condamné par cette mutation à laquelle il ne peut échapper et de devenir un monstre, mais d’être abandonné par ses compagnons… de devenir un autre.  » Je ne suis plus comme eux, je dois fuir, ils me détestent, ils veulent me tuer ». Cette vision m’inquiète… Dans ce monde compartimenté, ici il y a le bien, et là, le mal.  » Toi, tu es malade! Il. Tout de suite, tu deviens un être à part, un démon, un méchant.  » Disparais, où je t’abats Il. Les Nazis supprimaient les malades parce qu’ils étaient inutiles. Dans « Morbus », le Moine va encore plus loin, on doit tuer les malades, non parce qu’ils sont inutiles, mais parce qu’ils deviennent méchants… Ce concept du bien et du mal est typique de toutes les sociétés répressives. Néanmoins dans   « Mandrogora », je ne ferme pas la porte à l’espoir. Je suis convaincu que, pour le Sida, l’homme découvrira le vaccin à travers ses recherches sur la génétique. Je crois que l’on trouvera un antidote comme celui de la poliomyélite ou de la variole. Je sais que le Professeur Montagnier a isolé le virus, le HIV. Grâce à la manipulation génétique, on arrivera à substituer le gène malade par un sain… En 2001, il y a de l’espoir. En Europe, la mortalité liée au Sida a baissé.

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