« L’Hiver du dessinateur » par Paco Roca

Cette enquête sur la production des bandes dessinées en Espagne à la fin des années 50, remarquablement documentée et dessinée d’un trait élégant, précis et soigné, éclaire tout un pan méconnu de l’histoire du 9e art !

    Cependant, ce combat pour la dignité et la liberté, que nous raconte Paco Roca avec énormément de finesse et de fraîcheur, ne va peut-être pas remonter le moral des dessinateurs et scénaristes actuels ; lesquels se posent déjà nombre de questions sur leur situation précaire et sur leur avenir…En effet, il s’agit de l’histoire d’une bataille perdue de plus pour les auteurs, alors que l’époque et le pays était pourtant en pleine transformation économique et sociale…    Pourtant, on peut aussi prendre les témoignages de ce récit « vrai », lequel multiplie les allers-retours temporels, d’une façon plus optimiste et se dire qu’ils montrent, également, que rien n’est impossible et que le secteur a quand même bien évolué : certes, nous sommes loin du monde idéal, mais les artistes ont, aujourd’hui, bien d’autres choix que celui de travailler pour une véritable usine où ils vont être peu considérés, mal payés et largement exploités. Même si, hélas, il faut souvent revenir à la dure réalité : car force est de constater, qu’à l’instar de l’histoire du journal autogéré Tio Vivo, les rêves de liberté et d’autonomie ne durent jamais très longtemps…Nous sommes donc en plein régime franquiste, alors plébiscité car l’Espagne sort, peu à peu, de l’austérité et s’ouvre, doucement, à la consommation de produits distractifs, dont celle de la bande dessinée. Fondées au début du XXème siècle, les éditions Bruguera connaissent, à cette époque-là, un incroyable essor, ayant lancé une quantité impressionnante de romans et, surtout, de magazines de bandes dessinées ; cet éditeur, peu soucieux de ses employés, les paye modestement, mais sûrement… Faute d’obtenir les droits d’auteurs auxquels ils ont droit, ou de pouvoir conserver leurs originaux (sans parler de la censure, toujours très présente, qui oblige les éditeurs à modifier leurs œuvres pour ne pas s’attirer les foudres du gouvernement en place), cinq illustrateurs vedettes vont quand même choisir de fuir l’oppressante tutelle de leur patron et de le court-circuiter avec un nouveau magazine concurrent : Tio Vivo. Deux ans plus tard, les cinq démissionnaires vont finalement rejoindre leur ancien éditeur…Bien entendu, l’empire Bruguera aura joué de sa puissance et de ses relations pour écraser les fiers rebelles…, mais l’un des responsables éditoriaux fera aussi tout pour couler le projet et convaincre ses ouailles de revenir au bercail… : et comme rien n’est vraiment jamais tout blanc ou tout noir, l’Espagnol Paco Roca, en pleine possession de son art, a réussi à mettre en scène des personnages absolument pas manichéens, pétris de doutes et contradictions, de courage et de faiblesses…

                     Gilles RATIER

PS : À ceux qui s’intéressent à l’histoire de la bande dessinée espagnole et qui veulent en savoir plus, nous ne pouvons que conseiller la lecture des « Professionnels » de Carlos Gimenez : un autre extraordinaire document, qui parle surtout des conditions de travail dans les agences des années 60, que les éditions Audie-Fluide Glacial viennent de rééditer en une imposante intégrale ; complétant les trois ouvrages déjà parus en France (entre 1983 et 1985) par trois autres parus uniquement en Espagne (et donc inédits dans nos contrées).

« L’Hiver du dessinateur » par Paco Roca
Éditions Rackham (19 €) – ISBN : 978-2-87827-144-7

« Les Professionnels » par Carlos Gimenez
Éditions Audie-Fluide Glacial (35 €) – ISBN : 978-2-352-07193-8

 

 

 

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