Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Entretiens avec Philippe Druillet (2ème partie)
Après avoir évoqué sa jeunesse en Espagne, ses influences BD et cinéma, Philippe Druillet aborde ses débuts dans la photographie et le dessin. Grâce à ses contacts à la librairie Le Kiosque de Jean Boullet, Druillet rencontre Éric Losfeld, qui lui publie son premier album, « Le Mystère des abîmes ». Un succès d’estime seulement, vu le prix prohibitif des albums de l’éditeur… Druillet cherche alors un autre support : l’hebdomadaire Pilote…
BDZoom : Quand tu es entré à Pilote, tu souhaitais déjà faire une BD adulte et populaire ?
Druillet : Oui… Mais c’était après 68, parce que je faisais pas mal de choses, quand même…
BDZoom : Justement, en 68, où étais-tu ?
Druillet : J’étais au Théâtre du Soleil [comme comédien] et je grattais déjà sur mon adaptation d’« Elric le Nécromancien », avec Michel Demuth, que j’avais commencée en 67, juste après le Losfeld. J’étais en plein dedans, mais je n’avais pas encore beaucoup de ramifications par rapport au métier.
J’avais été reçu par Raymond Poïvet, le dessinateur des « Pionniers de l’Espérance », pendant une après-midi entière ; c’est quelque chose que je n’oublierai jamais !
J’avais également vu René Goscinny et Jean-Michel Charlier en 1964. Goscinny – je l’ai dit mille fois – me disait que ce que je faisais était intéressant, mais un peu trop en avance.
Il me disait qu’il avait un projet qu’il espérait un jour réaliser, dans lequel j’aurais quelque part ma place. Je schématise, j’ai une mémoire un peu chancelante…
Le projet en question, c’était le Pilote adulte qui est sorti en 1970. En 1964, ce mec avait déjà son truc dans la tête, c’est quand même assez extraordinaire ! En gros, c’est ça…
BDZoom : Pour revenir sur 68, où en étais-tu politiquement ?
Druillet : C’est très simple. Faisons bref… Euh… Ça t’intéresse, ce genre de choses ?
BDZoom : Eh bien, oui ! (rire)
Druillet : Bon ! C’est très simple… Moi, les anciens soixante-huitards, je n’en fais pas partie… Je suis d’une famille de droite, et même – je dirais – d’extrême-droite. Mais profondément, je ne suis pas de droite… J’ai très vite compris que ce n’était pas ça la vérité ; la qualité humaine n’est pas là , si tu veux… Je suis donc élevé dans ce bain. Je n’ai pas de références. Je n’ai aucune référence… J’avais le crâne bourré par ma pauvre mère, qui continuait à me parler comme dans les actualités sous l’occupation. Un jour à 17-18 ans, j’ai un déclenchement terrible lors d’une soirée thématique à la cinémathèque où l’on ne passe que des documentaires de propagande en expliquant ce que c’est. Tout d’un coup, j’ai comme un voile de quatorze tonnes qui se déchire. Je comprends enfin… Tu ne te rends pas compte… On m’a pris pour un imbécile toute ma vie, toute mon enfance, OK ? On m’a menti…
La République aussi a menti, parce que, par exemple, à l’école communale, on ne te parle jamais de la Commune, pour les raisons que l’on connaît. Donc, mensonge familial et mensonge républicain. Première étape…
Deuxièmement, à 19 ans, je rentre au Théâtre du Soleil grâce à des copains avec qui je bougeais pas mal, on squattait dans les appartements… Je travaille avec eux pendant deux ans et, la première année, c’est 68. Là , je les vois s’agiter comme des fous et moi, je ne comprends rien ! Ariane Mnouchkine [la future réalisatrice du film « Molière » (en 1978) me dit : « Et bien toi, tu n’as pas beaucoup de conscience politique. ».
Je lui réponds : « Et bien non, qu’est-ce que vous foutez ? ». Elle me répond très gentiment : « Philippe, il faut grandir un petit peu. ». Et moi, je ne bouge pas… Au bout de 15 jours des fameux événements, je commence à en avoir MARRE, en tant qu’être humain et citoyen français, de voir les images à la télévision et d’entendre les trucs à la radio… Alors que je n’ai pas d’idées là -dessus et que j’ai un doute… Tout se passe alors très simplement. Un début d’après-midi fin mai, je vois une cohorte de mecs avec des couvercles de poubelles, des casques et battes de base-ball qui descendent au bas de la rue du faubourg Saint-Denis où j’habitais. Je me dis : « Tiens, c’est curieux. » et je descends. Je dis à ma femme Nicole : « Écoute, je reviens » et je les suis… Je suis revenu deux jours et demi plus tard ! Je me suis retrouvé au milieu du maelström où j’ai vu des hordes de CRS hystériques taper sur des gamins de 15 ans qui n’avaient rien entre les mains. Je me suis retrouvé au bloc. Je me suis fait taper par les poulets. J’ai pris la totale… Après, je me suis retrouvé bloqué à Vincennes pendant 7 ou 8 heures à 250 par piaule. Je me suis dit : « Mais comment est-ce possible qu’un homme comme De Gaulle, qui a sauvé la France, puisse aujourd’hui faire cela à des gamins ? ».
Quand je suis sorti, j’avais fait mes humanités politiques. Je suis revenu au Théâtre du Soleil et j’ai dit à Ariane : « Je crois que j’ai compris ! » (rire) Et j’ai voté à gauche jusqu’à aujourd’hui ! Mais moi, je ne revendique pas le pavé à la main, comme beaucoup de gens. À un moment donné, je me suis retrouvé dans une charge policière, avec des bargeots qui envoyaient des parpaings. J’ai pris un caillou, je me suis dit : « Je le lance», mais je ne l’ai pas fait parce que ce n’était pas mon truc ! Jamais je n’ai pu faire ça. Je ne faisais pas partie des Trotskistes intello et tout ça. J’étais un brave plouc qui avait besoin de se faire une idée du monde dans lequel il vivait. Et ça a été vite fait : en trois jours ! (rire) J’ajouterais quand même, parce que je ne suis pas complètement faux-cul, que je me doutais bien qu’il y avait un problème. Depuis les années précédentes, sous le De Gaulle vieillissant, nous avions des problèmes de censure par rapport au cinéma fantastique, à la bande dessinée. On était dans un monde où étaient crétins ceux qui aimaient ces choses parallèles. Il y avait donc une chape de plomb et il fallait qu’elle pète.
Mais je n’étais pas un politique, je n’étais pas engagé… Jamais je ne brandirai cette bannière-là . Le fait d’avoir vu la société bouger devant moi et d’en avoir été la victime – parce que les flics m’ont tapé dessus – a fait qu’au bout de 2 jours et demi, je savais où j’étais …
BDZoom : Et c’est à Pilote que tu as rencontré Jean Giraud et Jean-Pierre Dionnet ?
Druillet : Je les avais rencontrés auparavant… À l’époque, il n’y avait pas que le journal Pilote, il y avait toute une effervescence dans la bande dessinée. Il y avait d’abord les expositions. Il y avait tout un petit microcosme de gens qui se parlaient, qui se rencontraient…
Moi, j’étais une espèce de fou qui voulait rencontrer les Stars de la BD. J’ai commencé à squatter ces endroits. Je dis toujours aux gamins qui démarrent dans la peinture, le dessin ou le cinéma, de ne pas rester chez eux devant la télévision. Il faut être aux cocktails, aux expositions, même si on n’est pas connu ; on tchatche, on parle avec les gens, on leur dit qu’on les aime, qu’ils sont géniaux. En principe, il y en a peu qui résistent ! Après, j’y allais avec mes dessins sous le bras. Au début, les gens ne me laissaient pas rentrer. Après, je passais quand même ! Je suis donc devenu copain avec toute la bande de Pilote avant même d’y rentrer. Je commençais déjà à bosser à Galaxie, Fiction et compagnie. Je commençais à faire partie modestement et médiocrement du petit monde de l’illustration. Jean-Pierre collectionnait, lui aussi, et on se retrouvait dans les bourses d’échanges. Très vite, on est devenus amis…
BDZoom : Avant Métal hurlant, tu étais donc à Pilote où tu faisais « Les Six Voyages de Lone Sloane »…
Druillet : On a fait Métal en 74 et j’ai commencé en 69 à Pilote… Le premier épisode des « Six Voyages », c’est octobre 69. Je ne l’ai fini qu’en 70 (parution au n° 538 du 26 février 1970). L’album arrive après, en 72. Ensuite, j’enchaîne sur tout ce que l’on connaît…
BDZoom : Et au niveau financier, comment vivais-tu ?
Druillet : Je vivais déjà de pas mal de choses à l’époque. Très tôt, j’ai compris qu’il fallait faire beaucoup de choses en même temps. J’ai d’ailleurs développé cela bien plus tard. J’avais la pige de Pilote, mes droits d’auteurs des albums, les ventes des planches, plus mes autres activités… Ça tournait bien avec Pilote. Mais j’ai toujours dépensé beaucoup plus que je ne gagnais ! C’est un autre problème ! (rire) C’est une philosophie… Ça allait bien. Des fois, j’avais tout bouffé… Ça fait partie de la vie d’artiste. Il n’y a aucun problème là -dessus. C’est assez courant ! Il y a des artistes qui sont extrêmement organisés, précis, qui jamais ne se permettraient un découvert bancaire. Moi, j’étais un des Princes, un des Monarques du découvert bancaire (rire). J’allais jusqu’à des hauteurs, des cimes himalayennes ! Cosmiques ! Heureusement, tout cela, c’est bien fini…
BDZoom : Sur un des premiers numéros de L’Écho des Savanes, il y a une publicité annonçant Métal hurlant comme devant être publié par les éditions du Fromage, avec le premier logo d’Étienne Robial.
Druillet : C’est compliqué comme histoire… Au départ, il y a L’Écho des Savanes. Il y a Gotlib, Bretécher et Mandryka qui fondent leur journal. C’est la révolution, c’est l’équivalent des Beatles dans la BD. Tout le monde est ravi et trouve ça génial. Le concept est bon…
Dans le groupe, il y en a deux, Marcel [Gotlib] et Bretécher, qui ont envie de passer leurs BD et de ne pas s’embêter plus. Et il y a Nikita Mandryka, qui, lui, est un grand rêveur, un des grands inventeurs de la presse moderne. Il commence à dire qu’il faut se développer, qu’il faut s’ouvrir. Il commence à créer le concept de Métal hurlant. C’est donc Mandryka qui a trouvé l’ensemble du concept. C’est lui qui a inventé le nom. Au départ, il y avait 3-4 journaux de prévus, dont Le Zonard, un canard de banlieue.
Et surtout, à un moment donné, le premier distributeur de L’Écho des Savanes se barre avec la caisse de la distribution, ce qui fait que le journal s’effondre. C’est d’ailleurs aussi arrivé à Métal et à des tas de gens. Et patatras ! Tout s’écroule. Et là , c’est la dispersion…
Mandryka avait déjà engagé Dionnet pour travailler sur le fameux Métal. À ce moment-là , après le départ de Nikita, je dis à Jean-Pierre que c’est vraiment dommage d’abandonner l’idée, qu’il faut la reprendre, puisque maintenant le projet est terminé. Moebius n’était pas sûr.
On a quand même insisté, on a fait des réunions à la maison pour remplacer ce titre de Métal qu’avait imaginé Mandryka. Peine perdue, c’était le meilleur nom… Et on a lancé le journal. Pendant les deux premières années, les banques ont misé l’argent sur mon nom, parce que Moebius n’était pas connu pour la Science-Fiction, alors que moi je l’étais. Jean était connu pour « Blueberry »… La caution Science-Fiction – Fantastique, c’était moi, quelque part… C’est une réalité historique. On a donc repris le bébé, inventé et conçu par notre ami Mandryka, pour en faire à nous trois une chose personnelle…
BDZoom : Comment est-ce que cela s’est passé d’un point de vue financier ?
Druillet : En ces temps-là , ce n’était pas beaucoup d’argent, je crois… Très vite, c’est Dionnet qui s’en est occupé. Si mes souvenirs sont bons, on a dû jouer sur une chose très simple : tu as un imprimeur et tu as 90 jours pour le payer. À l’époque, nous n’étions pas assez forts pour être NMPP. Donc, il nous fallait un distributeur qui, lui, nous filait l’argent au bout de x temps pour qu’on puisse le rétrocéder, ensuite, à l’imprimeur. Tout ceci, plus quelques cautions bancaires sous le nom de Druillet, pour que les banques acceptent les découverts… Et on a roulé comme ça…
Le problème est arrivé avec le numéro 2 de Métal hurlant, qui est un des numéros les plus rares. Il est rare, parce que notre distributeur de l’époque, qui n’était pas le même que celui de L’Écho, nous a escroqués et s’est tiré avec la caisse…
On s’est donc retrouvé dans la panade avec 15-20 000 exemplaires du numéro 2 coincés dans un hangar à Angoulême… Déjà Angoulême, détail amusant… Il a donc fallu remonter le titre. Après, c’est Dionnet qui prend le relais financier et l’histoire m’échappe. Ce n’est plus mon problème… Nous n’avons pas monté ça comme un fanzine, parce que nous avions quand même des appuis. Il y avait des gens intéressés. Je ne raconterai pas toute l’histoire, mais nous sommes allés voir les gens d’Actuel pour leur expliquer que ce journal était bon et qu’il avait une valeur.
Ce n’était pas une mauvaise idée dans le fond, comme on l’a vu par la suite…
BDZoom : Quelle était l’organisation au sein des Humanoïdes Associés ? On parle rarement de Bernard Farkas, le premier comptable.
Druillet : Écoute, c’était du pipeau complet. Ce type nous a vendu la puissance Nathan, dont il connaissait soi-disant tous les réseaux de distribution. Du pipeau total… Ce monsieur demandait une voiture de fonction au bout de 6 mois d’existence du journal… Il était là au tout début. Il s’est dit qu’il y avait de l’argent à se faire avec Métal. Après, il est parti faire des Rubik’s Cube, avec lesquels il a gagné beaucoup plus d’argent. Voilà quoi… Ce sont des choses que j’avais oubliées et dont je n’ai absolument pas envie de parler, parce que ça n’a aucun intérêt… C’est de l’épicerie stupide…
BDZoom : OK, passons ! Concernant l’organisation rédactionnelle, tu as écrit des éditoriaux superbes.
Druillet : Au début, oui. Mais après, on s’est très vite disputé. Mais ça me gène de parler de ça maintenant… Pour faire le tour et résumer en deux minutes, Jean-Pierre était l’âme du journal. C’était un rédacteur en chef aussi fou, aussi pointu que l’était Goscinny. Seulement, il n’avait aucune idée de la gestion. Moi, je n’approuvais pas cette comptabilité catastrophique. J’ai donc été mis sur la touche – ce n’est pas de la paranoïa de ma part – et je me suis retrouvé avec Moebius et Dionnet sur le dos. J’ai perdu ma femme en 77. Donc, cette période-là , c’est le cauchemar total pour moi… C’était l’épouvante.
Je dis depuis des années que toutes ces petites histoires, toutes ces errances, ces stupidités personnelles de gens immatures n’ont aujourd’hui plus aucune importance. Ce qui compte pour les gens qui ont aimé ce journal, c’est que Métal et les Humanos sont restés une légende, quelque chose de formidable… Par contre, j’en ai souvent parlé avec Jean-Pierre, si on n’avait pas fait les imbéciles, on serait devenus le Canal + de la bande dessinée. C’est clair…
BDZoom : De nombreux artistes comme Dionnet, Étienne Robial et d’autres, sont en effet partis sur Canal +…
Druillet : Bien sûr ! On a quand même fait peur à Dupuis, à Casterman, à Dargaud, à tout le monde… C’est dommage d’avoir gâché un tel outil de travail, mais on était immatures, on n’était pas faits pour ça… C’était ça la grande erreur… Voilà !
Donc, pour moi, Métal, c’est un des pires souvenirs de ma vie sur le plan création, sur le plan personnel. Maintenant, j’ai complètement oublié cela, j’en n’ai plus rien à faire et je suis redevenu le meilleur ami du monde avec Jean-Pierre, que j’aime et que je respecte. Ce qui compte, c’est ce qui reste de tout cela… La capacité de création extraordinaire de cette revue, c’est l’œuvre de Jean-Pierre Dionnet, et de personne d’autre…
BDZoom : As-tu amené des artistes à Métal hurlant ?
Druillet : Oui, j’ai amené quelques personnes à l’époque… Oh, je ne sais plus… Sergio Macédo, je crois que c’est moi… En fait, c’est Jean-Pierre qui a fait le travail. Serge Clerc et tous les autres, c’est Jean-Pierre. L’esprit du journal, la découverte des Frank Margerin, Chaland, Tramber et Jano, c’est Dionnet.
BDZoom : C’est lui qui avait les idées, y compris sur les numéros spéciaux ?
Druillet : Oui, oui, bien sûr… Au début, je me suis vraiment impliqué. C’est clair. D’ailleurs, on assiste au clash de l’équipe sur les 10 premiers numéros. Druillet fait des couvertures, des éditoriaux, des articles, des interviews. Je m’investis comme un malade. Les problèmes arrivent après… Si tu regardes l’histoire de Druillet à travers Métal, tu peux constater que petit à petit, Druillet est complètement dilué et disparaît du journal au profit de Moebius…
BDZoom : Il y a quand même eu le numéro spécial Lovecraft [# 33bis, sept. 78] sur lequel tu t’es pas mal investi.
Druillet : Oui, je crois… Nous devions être 2-3 personnes sur le coup avec Jean-Pierre. J’ai un peu oublié…
BDZoom : Il y avait ces pages du « Nécronomicon ». Peux-tu nous parler un peu de ces planches ?
Druillet : Il y a plusieurs étapes dans l’histoire de ces pages. D’abord, elles étaient dans l’album « Urm le fou », avant la sortie du Métal spécial Lovecraft. J’ai fait ces planches quand j’avais 16-17 ans. C’est une longue histoire… À l’époque, j’étais déjà un fou de bande dessinée, mais aussi d’art… Oui, je sais, la bande dessinée est un art… Enfin, de peinture, quoi ! J’avais vu dans les années 60, lors d’une exposition Dali, une édition de « La Tentation de Saint-Antoine» de Gustave Flaubert, illustrée par le fameux Salvator Dali.
En plus du tirage normal du livre, Dali avait fait un exemplaire en grand format – 90cm de large sur 1 mètre de haut – à la couverture en bronze ! L’exposition présentait toutes les illustrations du livre. J’avais été fasciné par le côté moine – le côté « Nom De La Rose » -, avec ses manuscrits et ses calligraphies. Je suis tombé sur Lovecraft à la même époque. Je connaissais aussi la fameuse encyclopédie de Diderot et D’Alembert [La première encyclopédie en 35 volumes écrite en France, à la fin du XVIIIème siècle]. C’est pourquoi, je me suis dit : « Le Nécronomicon étant génial, je vais en faire l’équivalent de l’encyclopédie Diderot et D’Alembert, avec les parties démonologie, botanique, spatiale, minérale, extraterrestre… Tout ! ». Je voulais absolument faire ce bouquin de 800 pages, entièrement calligraphié sur papier japon, un papier un peu peluche mais indestructible. J’ai donc commencé le travail – j’ai dû faire cela en 1963-64 – et je n’ai fait que 15-16 pages…
BDZoom : Tant que ça ? Il n’y en a que 11 de publiées dans le Métal spécial Lovecraft.
Druillet : Il y en a quelques-unes de plus dans le « Cahier de L’Herne » spécial Lovecraft, publié en 1967 et réédité en 1969. J’ai eu très vite des amateurs là -dessus. J’ai fait quelques cadeaux – 2-3 planches, dont une à Jacques Bergier [Le coauteur du « Matin des Magiciens », découvreur en France du génie de Lovecraft] – et j’ai tout vendu. Losfeld m’en a d’ailleurs achetée une. J’ai seulement gardé une page, même pas calligraphiée. C’est maintenant bloqué chez les collectionneurs. C’est donc de l’ordre de l’introuvable…
BDZoom : En tant que telles, elles sont également devenues des objets du culte de Cthulhu. Elles sont fréquemment rééditées et ça doit même un peu te dépasser.
Druillet : Oui… On les retrouve dans des comics américains et italiens. Elles sont aujourd’hui considérées comme la référence officielle du « Nécronomicon » de Lovecraft. Ma signature a définitivement disparu et j’en suis très fier ! Il ne faudrait pas, bien sûr, que quelqu’un s’amuse à les éditer en affiche, parce que je lui ferais un procès. Il faut d’ailleurs préciser que c’est Cthulhu lui-même qui s’occupe du recouvrement des droits. Avis aux amateurs ! (rire).
Mais c’est vrai que j’en suis flatté, parce que c’est touchant de faire quelque chose qui nous échappe. Il y a même eu un générique de film fantastique pas bien terrible, dont j’ai malheureusement oublié le titre, qui utilise les pages en fond, derrière le déroulant. Mon nom est effacé et c’est devenu la vraie pièce exhumée. En cela, c’est fantastique…
BDZoom : Ces pages vieillies sont plus vraies que nature, avec leurs taches de Soggoths !
Druillet : C’était les taches d’urine de mes pékinois ! (rire) Ils avaient pissé sur mon carton à dessin dans mon couloir Gare du Nord. Voilà ! (rire)
Fin de la deuxième partie (pour voir la première partie, cliquer ici : Entretiens avec Philippe Druillet (1ère partie))
Jean DEPELLEY
mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
Fantastique dossier.
Merci!
Passionnant, c’est du lourd !
Toujours du bon taff sur BD Zoom mon site BD de référence !
Y a t-il une troisième partie de prévue ?
Merci pour vos commentaires qui font bien plaisir ! On parle beaucoup mieux de ce que l’on aime… Oui, il y a en tout quatre parties à cette longue interview…
Rectif : premier voyage de Lone Sloane (et première apparition de Druillet dans « Pilote ») : n° 538 du 26 février 1970, « le Trône du dieu noir ». Merci pour l’entretien.
Rectifs 2 : Claire Bretécher (pas « Brétécher »). Nicole Druillet est décédé fin 1975, pas en 1977.
Merci Gilles, je corrige et fais passer tes remarques à Jean Depelley…
La bise et l’amitié
Gilles