L’avis de Dominique Véret sur l’avenir sombre de la BD…

Suite à notre dernier « Zoom sur les meilleures ventes de BD » (1), le bouillant et très compétent Dominique Véret (le directeur d’Akata, la société qui alimente le label manga des éditions Delcourt) a voulu faire entendre sa voix au milieu de toutes ses prédictions d’un avenir sombre pour la BD : un avis peu consensuel qui, pourtant, commence à être partagé par de nombreux acteurs du monde de la bande dessinée francophone !

Pour ma part, je pense que c’est la prise de pouvoir des financiers et de la culture produit/marketing qui sont en train de tout détruire ! Mais il y a d’autres problèmes : plus de conseils en librairie pour des raisons de rentabilités et un journalisme BD limité en possibilité d’articles ou d’émissions, mais aussi trop pauvre en capacité d’approfondissement de l’analyse des œuvres et de situer dans le quotidien de chacun l’importance de certaines d’entre elles. Cela ne mouille pas assez la chemise et manque de couilles ? Notre BD n’est aussi pas assez sociale et en révolte ou en proposition : trop dans l’imaginaire alors que la société est mortifère.

On sait tous que notre boulot n’est plus que du productivisme pour satisfaire une machine économique qui n’a pas d’état d’âme. Notre travail n’a plus rien à voir avec les années de combats pour faire admettre la BD ; maintenant, c’est l’usine et il faut produire, en fermant sa gueule, une multitude de titres dont la loterie de la vie assurera le succès à quelques uns.
Et c’est nul aussi de faire croire à plein de jeunes que tout le monde peut faire de la BD. Avant, plein d’artistes vivaient en peignant des enseignes, en faisant des icônes ou des tableaux pour décorer des bars ou des commerces. L’informatique tue aussi les métiers du dessin et leurs possibilités de faire vivre des artistes.
Il y a trop de choses à dire sur la situation de la BD mais, d’abord, qu’on arrête de publier des bouquins pour faire de la trésorerie et abimer des rêves de gamin qui ne feront que passer dans notre métier.
Et pour conclure, je suis désolé mais je travaille dans la BD depuis 1976 et bien, le niveau de culture générale dans ce métier, il a bien chuté. Quand le milieu était rempli d’autodidactes, il était beaucoup plus cultivé et pertinent que depuis qu’il est envahi par des diplômés modelés par une éducation nationale et par des parents qui n’arrivent plus à remplir leur rôle.
Dominique VÉRET

(1) Voir  http://bdzoom.com/44745/meilleures-ventes/zoom-sur-les-meilleures-ventes-de-bd-du-11-janvier-2012/

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10 réponses à L’avis de Dominique Véret sur l’avenir sombre de la BD…

  1. Cecil McKinley dit :

    Bravo, Dominique. Ça fait du bien d’entendre ça. Y en a marre, de tout ce merdier. Vive la bande dessinée, vive la culture, vive les arts et le gai savoir.
    Bien à vous,

    Cecil McKinley

  2. Liberge Eric dit :

    Et donc sur ce constat ? on doit tous aller se tuer ? Quelle solution ? Que propose Mr Véret ?

  3. Je répondrai à Eric et à Batist lundi. Là, je suis en pleine préparation d’un week end dans la nature avec des amis.
    Dominique Véret

  4. Batist dit :

    Ce qui tue la BD ?
    Le manque de professionnalisme à tous les échelons, de la création à la lecture et à la critique. Nous voulons être pris au sérieux? Commençons par être sérieux nous-mêmes.
    Pour ceux qui sont déjà sérieux, la deuxième étape, c’est d’arrêter de se demander pourquoi ça ne va pas et de commencer à trouver de nouvelles solutions.
    Je rejoins les propos de monsieur Veret sur ce point : la presse et la critique BD manquent d’envergure, essentiellement par le fait que dans le système actuel il est surement encore plus difficile d’être critique professionnel que d’être auteur.

    Ce qui tue la BD ?
    L’éternel regard en arrière, « c’était mieux avant », « les auteurs d’aujourd’hui ne sont pas cultivés », « les jeunes sont formatés »… Il n’y a jamais eu autant de talent, de diversité et de culture qu’aujourd’hui, et on continue à idolâtrer des oeuvres certes de qualité, mais qui n’auraient certainement pas pu se développer de la sorte dans un contexte concurrentiel assimilable à celui dans lequel nous tentons de faire vivre notre travail. On continue à utiliser la même recette en oubliant que les ingrédients, les ustensiles et les goûts ont changés, en « pariant » sur le fait que comme au 20ème siècle, il suffit de poser un livre dans une librairie pour qu’il se vende. Les libraires suent pour réussir à faire tourner leurs commerces, et je peux en citer pas mal qui peuvent faire mentir monsieur Veret à propos du conseil au lecteur (salut Blandine, Kevin, Esteban, Didier, Guillaume, Salomé, Manue, Samuel, Jean-Norbert, Patrice, Patrick, Nicolas, Jean-Michel, et tout ceux que j’oublie !).

    La BD survivra, l’activité éditoriale se réduira surement un jour où l’autre, quand les éditeurs auront compris qu’un auteur n’est pas le département « fournitures » de l’entreprise, mais plutôt « recherche et développement », ou plus probable lorsque la conjoncture ne leur permettra plus d’assumer leurs trains de vie. Mais la BD survivra, il y aura toujours des gens passionnés qui trouveront une voie pour en vivre (internet, auto-édition, événements, expositions, etc…) et elle progressera car elle sera dégagée du fameux « votre projet est intéressant mais ne correspond pas à notre ligne éditoriale » qu’oublie de mentionner monsieur Veret lorsqu’il parle de « diplômés modelés ».

    Je ne suis pas en désaccord avec tous vos propos, monsieur Veret, mais je pense que certains d’entre eux manquent d’observation et d’analyse.

    Cordialement,

    Batist

  5. Thomas dit :

    Je vais dans le sens de Batist quant aux libraires qui n’ont certainement pas déserté leur métier de conseil (et je reconnais d’ailleurs quelques noms dans sa liste que je salue aussi)…
    Pour la critique BD, je cite la phrase très juste de Davodeau dans les Ignorants : « Nos livres sont « chroniqués ». En Bande dessinée, la vraie critique reste confidentielle. »

  6. Joseph Béhé dit :

    Pour se faire une idée de ce qui est entrain de se jouer, je recommande pour qui ne l’a pas encore lu, l’excellent livre du sociologue Pierre Michel Menger « Le travail créateur ».
    Il ne parle pas de BD à proprement parler, mais il parle des mécanismes de renommée et d’économie en oeuvre dans les milieux artistiques.
    En BD nous ne faisons que rejoindre (tardivement) le fonctionnement d’autres arts dont le cinéma. Il est à parier que la même chose arrivera au jeu vidéo.
    (je recommande quand même de passer sur le chapitre 1 qui est une démonstration abstraite à l’usage de ses confrères)
    Le reste est très accessible et représente une forme de déniaisement.
    Sinon, je suis d’accord sur bien des points avec Batist

  7. Philippe Jarbinet dit :

    Je partage à la fois l’avis de Dominique Véret et celui de Batist. Ca fait vingt ans que j’ai publié mon premier album. Durant cette période, j’en ai fait 17 tout seul et je me pose toujours des questions sur la façon d’aborder le suivant. C’est normal ! Les auteurs ont été, sont et seront toujours entre le marteau et l’enclume : vendre assez de livres pour vivre décemment (et satisfaire leur éditeur) et faire progresser leur talent sur des thèmes qui leur sont chers (responsabilité morale personnelle). Quand on analyse les chiffres de vente des mangas, qui écrasent littéralement la moyenne des titres européens, on comprend que c’est le mercantilisme qui est à la manœuvre. Néanmoins, même dans ce contexte, les jeunes apprennent au moins à lire des bouquins. Ils se familiarisent avec l’objet « livre ». C’est déjà ça.
    Depuis 22 ans, je donne cours dans une école d’arts plastiques à des jeunes dont certains ont le fantasme de faire de la BD. Je les avertis de l’éclectisme technique, trop souvent ignoré, dont ils devront faire preuve pour réussir à survivre dans ce milieu. Elément aggravant, je constate souvent chez eux, c’est une vérité, un manque de culture générale flagrant. Mais à qui la faute ? En Belgique, dans l’enseignement général, on a sorti des programmes TOUS les cours de création artistique à partir de 14 ans. Plus de dessin ni de musique ! Il ne reste que du lourd : maths, français, sciences et langues étrangères. Je suis passé par ce cursus avant de me diriger vers la BD mais j’ai perdu trois ans sur ceux qui faisaient leurs études en école artistique, où j’ai quand même fini par arriver. Et là, question culture générale, c’était quasiment le désert. C’était tout l’un ou tout l’autre. Difficile pour des ados de devenir des artistes complets dans ces conditions. Pourtant, la BD a besoin de scénaristes ET de dessinateurs. Ce serait stupide de privilégier un domaine au détriment de l’autre.
    Parallèlement à ces jeunes-là, ceux qui sortent des écoles de commerce ne connaissent souvent rien à la BD. Ils ont une culture du chiffre. Et comme la BD est un marché énorme, on les y retrouve aussi. Voici donc deux univers qui se croisent et qui, d’une certaine façon, ont besoin l’un de l’autre pour vivre. Cela porte inévitablement à conséquence sur la création BD, qui s’est toujours plus axée, dans l’ensemble, sur l’imaginaire que sur la réalité du monde. C’est peut-être ce qui lui confère en partie son statut d’art mineur aux yeux de certains, contrairement au cinéma. Pourtant, il y a beaucoup de films de m… qui prouvent que de nombreux cinéastes ne savent pas faire leur boulot. Mais bon, c’est le cinéma…
    TOUS les problèmes graves sont malheureusement complexes. Réformer à la base prendra des années et impliquera tellement d’acteurs que je doute du résultat. En attendant, nous sommes VRAIMENT entrés dans une crise économique dont, pour le coup, on ne peut pas galvauder la définition. La BD, comme tous les médias qui offrent un délassement passager aux lecteurs, voire une perspective, sera peut-être victime de sa position dans l’ordre des priorités économiques des gens mais à contrario, elle sera peut-être aussi une nécessité comme l’ont été la littérature, le cinéma et le théâtre pendant la guerre.
    Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas à plaindre car, que je sache, il est plus difficile de se lever à 4h du matin pour aller faire les trois-huit dans une usine sidérurgique que de prendre son café peinard en s’asseyant devant sa planche à dessin. Cet art de vivre, même s’il est parfois rude, personne ne nous le prendra.

  8. lola dit :

    il a raison dominique, il y a trop de titre chez akata, qu’ils réduisent la voilure !
    (hihihi) que celui qui n’a jamais pêché…

  9. Justin Moreward Haig dit :

    « Quand le milieu était rempli d’autodidactes, il était beaucoup plus cultivé et pertinent que depuis qu’il est envahi par des diplômés modelés »
    cet article est intéressant, mais cette dernière phrase sur les auteurs est plutôt malheureuse. Aujourd’hui les autodidactes comme vous dites, sont refoulés, les éditeurs n’en veulent pas. Il est certains à 1000 % que des Hugo Pratt et des Bourgeon, s’ils étaient jeunes aujourd’hui, ne seraient pas signés car on leur dirait « mon bon monsieur, votre dessin ne ressemble à rien de ce qui se fait, ça ne marchera pas, et puis pourquoi le visage n’est pas le même d’une case à l’autre ? » .
    Ou si le talent, le caractère serait reconnu, les androïdes sortis du marketing qui officient aux postes éditoriaux auraient bien trop peur de signer un projet « audacieux » ou « autodidactes », ou alors ils mettent ça dans une collection « artisitique » très chère et peu défendue, histoire de dire. La logique est tellement productiviste que même les succès naissant et spontané ne sont pas suivi. Dame, c’est bien trop fatiguant de risquer un retirage, qui sait si les gens vont continuer à aimer un truc original ?
    Non, les éditeurs choisissent eux-même des diplomés formatés comme vous dite, des ouvriers juste content de signer et d’obéir aux commandes de l’éditeur, par pure résonnance, créant un système de larbins se tenant par la barbichette.
    Ce qui nous donne des choses surréalistes, d’excellents albums prometteurs et originaux, mélangés à des produits fades sans conviction.D’un côté les gens aux commandes espèrent encore revenir au 20ème siècle avec 3 auteurs et une foule monobloc admirative, c’était beau et facile à gérer.Mais en réalité nous assistons à un processus civilisationnel irréversible : une des conséquences positives de la démocratie, c’est que de plus en plus de gens veulent vivre et développer des talents, et non regarder « le juste prix » à la TV.Le système devient donc anachronique et ne s’adapte pas encore à la diversité actuelle, qui n’est que la pâle aurore de la richesse culturelle de demain, qui ne laissera probablement plus la place à une mentalité prédatrice et faite de conquête économique, mais bien d’intendance au service des humains, comme par exemple un revenu de base universel qui mettrait fin au principe de la survie et permettrait aux gens de se développer sans la peur du lendemain. Mais cela n’arrivera pas avant d’affronter cette crise, et de changer de paradigme par prise de conscience.
    D’ici là, le proverbe « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » va encore être d’actualité.

  10. elrico dit :

    « je fais des photos par passion et des livres de photos par nécessité. » Man Ray. 1890 – 1976.
    applicable avec  » je fais des BD…etc.

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