Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Adventures of Private Kirby : 2ème épisode
Fin août 1944… Jack Kirby est arrivé à Verdun, dans la 5e armée de Patton. Il fait la connaissance du Private Mitchell Sytkowski, alias Mitch. C’est le début de la bataille de Metz…
Ce travail est le fruit d’une recherche basée sur les événements rapportés par Jack Kirby dans ses interviews (auprès de Ray Wyman, Greg Theakston, Scott Fresina et Mark Evanier) et réintégrés dans le contexte historique et chronologique de la campagne de Metz… Précisons que Kirby avait des souvenirs parfois fragmentaires et, surtout, qu’il ne disposait pas d’une connaissance globale des événements auxquels il a participé en France, en tant que simple 2e classe.
Un grand merci à Elisabeth et Alain Gozzo de l’Association Thanks GIs ( www.thanksgis.com) pour leur aide historique précieuse et leur générosité.
Cet article est dédié aux 500.000 morts civiles et militaires et plus particulièrement aux 10 489 GIs du plus grand cimetière américain d’Europe à Saint Avold (Lorraine).
La 5e armée veut continuer sa progression éclair et percer la 1e armée Allemande du Général Von Knobeldorff à l’Est. Mais une pénurie de carburant la ralentit entre le 1e et le 5 septembre : l’avancée trop rapide des Américains et l’état désastreux des voies ferrées gênent le ravitaillement.
 La 5e division d’infanterie progresse toujours vers l’Est le long de la D903 et cherche un endroit pour traverser la Moselle, les Allemands ayant détruit les ponts.
La rivière sépare les deux camps : à l’Ouest, les Américains et, à l’Est, les Allemands qui, même s’ils sont moins bien pourvus en artillerie, en blindés et en armes anti-chars, ont l’avantage du terrain : la Moselle est un véritable barrage et les collines près de Metz sont efficacement fortifiées (avec notamment les forts Driant et Verdun, datant du premier conflit et tenus par l’armée allemande).
Celle-ci, constituée de vétérans du front russe et de cadets d’école d’officiers, a profité du répit donné par la pénurie de carburant US pour elle-même se réapprovisionner en essence et en armes et se réorganiser en position défensive devant la Moselle.
 Les Américains, n’ayant que des cartes peu détaillées n’indiquant pas les forts autour de Metz, se dirigent vers Gorze, au Sud-Est de la ville.
 Dès le début du mois de septembre, le froid est mordant et il pleuvra jusqu’au 12 octobre. Jack subit les conditions difficiles d’un hiver précoce, dormant à même le sol dans des trous de combats boueux. Les hommes ont peur des sangliers, fortement présents dans la campagne environnante…
Sur le chemin de Gorze, dans les tous premiers jours de septembre, Jack et sa section inspectent une tannerie à Mars la Tour. Il pleut et les soldats essayent des vestes en fourrure… Tout à coup, un camarade de Jack voit arriver des filles et… Bing Crosby ! Le musicien fait son show en plein air, après que les GIs aient sécurisé la place.
La compagnie F poursuit sa route et fait halte à Buxières le 6 septembre.
Les premières troupes américaines sont arrivées le 4 septembre à Gorze, qu’elles doivent arracher aux Allemands à l’Ouest. La compagnie F les y rejoint le 7. Les combats se poursuivront jusqu’au 8. Pour Jack, c’est le baptême du feu…
En tant que renfort, il est tout de suite mis dans le bain : au cours de son premier assaut, il se fait insulter en allemand par le camp adverse. Kirby comprend car, enfant, sa grand-mère lui racontait des histoires dans cette langue. Lorsqu’on insulte sa mère, Kirby se fâche et se met à tirer, touchant deux ennemis, avant de s’enfuir. D’après Jack, les soldats se comportaient comme les voyous des quartiers de son enfance, dans le Lower East Side de New York (voir Jack Kirby), avec des armes en plus, et Jack gardera de ce premier contact un souvenir surréaliste…
 Entre deux combats, Jack fait parfois des dessins pour se calmer les nerfs. C’est dans les trous de combat qu’il sort ses crayons noirs et croque ses camarades d’infortune…
Un jour, un tir d’artillerie allemande tombe à côté de lui et décapite son voisin, un morceau de cervelle atterrissant sur son carnet de dessin…
Pendant ce temps, Roz travaille dans une boutique de lingerie où elle dessine des modèles de sous-vêtements. Elle écrit à Jack quotidiennement, ne se doutant pas du décalage de sa situation par rapport à la vie militaire…
De son côté, Jack lui envoie des V-mails(1)hebdomadaires, abondamment illustrés.
Un soir, alors qu’il monte la garde dans une ferme, il capture un Allemand qui voulait s’y introduire par la cheminée.
Très hautain, l’Allemand prisonnier se moque de sa tenue sale. Jack prend conscience de la propagande qui sévit dans les deux camps.
Le 7 septembre, Jack et quelques hommes du 11e régiment d’infanterie dépassent Gorze et atteignent le hameau de Novéant. Ils s’y retranchent dans une briqueterie. Sur les ordres de son Sergent, Jack tue un soldat allemand qui les visait. Tout à coup, le feu d’un tank Panther le projette au sol… le Lieutenant avec lequel il discutait la minute précédente n’est plus qu’une tâche sanglante sur le mur éboulé de la maison d’en face.
Trois tanks et une troupe d’infanterie foncent sur eux, remontant la rue de Noveant. Deux blessés américains sont tués. Jack est visé par un autre soldat. Il se croit perdu, mais l’Allemand tombe foudroyé par le tir d’un GI, à l’étage d’une maison voisine. Du casque de l’ennemi, des photos s’échappent : l’une de ses parents, une autre de sa petite amie et un portrait en uniforme… Jack et les autres devront rapidement faire demi-tour jusqu’à Gorze.
Depuis Gorze sous contrôle, la 5e division se remet en route le jour même. Patton veut percer la défense allemande de Metz en misant sur l’effet de surprise.
Le 8 septembre 1944, se déroule un événement historique auquel participe le 11e régiment de Jack : la tête de pont de Dornot, l’épisode le plus sanglant de la bataille de Metz.
La veille au soir, quelques bataillons du 11e régiment d’infanterie venant des hauteurs de Gorze avaient rapidement pris le village de Dornot, afin de traverser la Moselle et d’établir une tête de pont. Mais à Dornot, les GIs devaient être rejoints par leur propre ligne de blindés, entraînant une indescriptible pagaille dans l’étroite rue pentue du village. Les Américains étaient coincés sous les tirs de mortier ennemis provenant de Corny et du groupe fortifié Verdun à l’Est de la Moselle. La confusion extrême et les ordres contradictoires avaient entrainé de nombreuses pertes parmi les GIs dans le village.
Malgré tout, la tête de pont devait être poursuivie le 8 au matin.
Mais l’encombrement de la rue de Dornot a retardé le transport des barques et l’opération ne peut commencer qu’en fin de matinée… sans effet de surprise, cette fois.
Et, le 8 septembre à 11 heures 15 minutes, sous le commandement du Lieutenant Drake, la compagnie F du 2e bataillon de Jack doit donc traverser la rivière sur cinq barques. Jack et ses compagnons descendent la rive escarpée de la Moselle. Le vent souffle très fort dans leur direction et ils entendent clairement les tirs des tanks et des mitrailleuses ennemies. Ils doivent traverser une route, une voie ferrée et une zone marécageuse sur plus de 500 mètres pour arriver au bord de la rivière.  Les balles allemandes font des ravages parmi leur rang.
Jack est sur une des barques, en compagnie de deux hommes du génie et de 9 autres fantassins. Il est monté le dernier et s’accroche de toutes ses forces à l’embarcation. Les Allemands tirent sur eux au fusil mitrailleur, tuant les soldats par petits groupes. Au fil de la traversée, plusieurs barques sont touchées et sombrent dans la Moselle.
Un Capitaine du génie (et non Patton, comme le disait Kirby) est descendu en camion au bord de la rivière derrière eux. Il exhorte ses troupes, les yeux pleins de larmes devant le carnage. En début d’après-midi, la rive droite est investie. Kirby parvient difficilement à quitter le bateau. Sa compagnie a pour mission de prendre le Fort Saint Blaise (l’un des deux forts du groupe fortifié Verdun). Les hommes ne rencontrent pas de résistance et progressent rapidement, mais sont arrêtés par les défenses de la place forte : une palissade de 4 m, un fossé de 15 m de large et de 5 m de profondeur. Un Allemand isolé à la chemise déchirée, se constitue prisonnier, mais Jack l’envoie se faire voir ! Depuis Gorze, l’artillerie US commence à tirer sur la zone de combat, tuant au passage quelques uns de ses propres soldats. À l’avant, le lieutenant Drake est tué devant le fort par un snipper allemand. Les tirs ennemis éclatent soudain depuis le fort, provoquant la retraite des GIs vers le bois du « Fer à cheval », au bord de la Moselle. La contre-attaque allemande est fulgurante. Dans le bois, les GIs se protègent de leur mieux sous la terre et les branches. Les SS du 17e Panzergrenadier tirent directement dans les trous de combats des GIs, faisant de nombreuses victimes…
La tête de pont ne peut être tenue, mais les Américains devront résister plus de 60 heures sans renfort dans le bois du « Fer à cheval », sous les feux constants de l’ennemi. Les balles, la boue, les éclats de bois volent autour de Jack et de ses camarades dans les explosions continuelles de tirs d’artillerie. C’est un véritable enfer…
Le courage et l’abnégation de ces hommes déjouent toutes les contre-attaques allemandes… et font diversion le temps qu’une autre tête de pont soit établie le 10 septembre à Arnaville, 2 km plus au Sud sur la Moselle. Les hommes de la compagnie F ne se replieront que ce jour-là , à 21 heures, abandonnant leur position sur la rive Est, après trois jours de cauchemar. Dans le bruit assourdissant des explosions, Kirby voit des soldats américains retraverser nus la rivière à la nage. Les blessés sont ramenés en barques. Des hommes se noient dans l’eau glacée, d’autres sont mitraillés…
Les survivants sont repliés derrière la colline, à côté de Dornot. Hagards et épuisés, Jack, Mitch et leurs camarades s’endorment rapidement, à l’abri des tirs ennemis.
Cette opération coûtera la vie à 945 GIs sur les 1200 hommes partis à l’assaut…
Fin de l’épisode…
Jean DEPELLEY qui dédie cet article à Jerry Robinson (le créateur du Joker dans « Batman ») qui vient de déceder et qu’il a eu le privilège de rencontrer par deux fois.
(1) V-Mails : lettres des soldats microfilmées par les autorités américaines pour gagner de la place sur les cargos transatlantiques.
mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet
Bravo !
Voilà tout un pan de la vie de KIRBy que j’ignorais totalement.
C’est super intéressant
Beau boulot !
Merci pour ces commentaires ! Cette série d’articles contient effectivement des scoops mondiaux, notamment tout l’épisode de la tête de pont de Dornot. Il y en aura d’autres dans les prochains épisodes… ainsi que des illustrations jamais vues nulle part.
Absolument fascinant ! J’avoue être un grand fan de Kirby et lire ces lignes m’ont enthousiasmé au plus haut point ! Travail de compilation de haute volée, iconographie au diapason j’ai lu avec beaucoup plus d’intérêt ces sujets que nombre d’articles ! Bravo et je n’oserais trop conseiller de faire une traduction et de l’envoyer au Kirby Estate compte tenu de la qualité de ce travail !
Merci mille fois ! Pour répondre à votre idée de contacter le Kirby Estate, je vous informe que c’est en cours. Je suis en train de traduire ces articles et de les faire suivre à Mark Evanier (pour sa biographie à venir), à John Morrow (pour The Jack Kirby Collector, auquel je participe déjà depuis plus de 15 ans) et à la famille Kirby (qui m’a promis de les compléter par les autres anecdotes qui manqueraient dans ces lignes). L’ensemble de mes articles concernant Jack Kirby déjà sortis sur BDZoom, complétés et mis à jour, sortiront également dans un ouvrage en français fin 2012 chez Neofelis.
Je suis fan du King depuis 40 ans et votre article est formidable sur tous les criteres. Vraiment du tres beau travail. Je vous remercie vivement de m avoir fait partager cet episode de la vie de Kirby que je ne connaissais pas. Encore bravo!
Merci pour ces commentaires ! Et encore merci à Elisabeth et Alain Gozzo de thanksgis, un site que je vous conseille vivement d’aller visiter… Leur travail remarquable de mémoire sur la campagne de Metz et leur gentillesse ont été d’une aide indispensable pour cette série d’articles…
Maintenant, une petite nouvelle qui devrait plaire aux fans de comics… Le dessinateur américain Tom Scioli dessine actuellement une version BD de certains de ces épisodes biographiques, écrits par mes soins et dialogués par… Neal Kirby, le propre fils de Jack ! Ce projet me tient à cÅ“ur depuis des années et il semblerait qu’il démarre sous les meilleurs auspices, avec les personnes légitimes… À suivre…
Si c’est agréable à lire, ça ne reflète nullement une rigueur historique(*) . Vous parlez de scoop mondiaux, cette bataille n’a jamais été oubliée et a fait l’objet de nombreuses publications entre 1945 et aujourd’hui.
En global, soit traité par la presse par d’autres médias ou autre entité, ça frise à la disneylandisation de ce haut fait d’armes qui mériterait peut-être un peu plus de retenue par rapport à d’autres victimes du secteur tel la majorité des déportés qui transitaient par la gare de Novéant, les résistants du secteur qui ont fait du bon boulot, ou les habitants expulsés, déplacés et qui ont tout perdu.
(*) juste un exemple, le nombre de victimes qui ne cesse d’augmenter d’année en année