Spécial Atlantic

Cette semaine, penchons-nous sur les meilleurs titres d’un nouvel éditeur de comics en VF: Atlantic. Avec entre autres la réédition d’une œuvre aussi mythique qu’inclassable: « Superman vs Muhammad Ali ».

« Superman vs Muhammad Ali » par Neal Adams et Denny O’Neil

Cette sortie est un petit évènement, car ce comic historique n’était plus disponible en France depuis… 1978 (il était paru à l’époque chez Sagédition sous le titre « Superman contre Cassius Clay ») ! Atlantic nous propose aujourd’hui la version française de sa récente réédition aux États-Unis, et met les petits plats dans les grands à cette occasion : album grand format à jaquette respectant la « maxi king size » de l’édition originale et présenté dans un fourreau classieux, poster de la couverture, « fac-similés » du programme et du billet d’entrée pour le match de boxe, et bonus bienvenus (préface de Neal Adams, postface de Jenette Kahn, la directrice de publication de l’époque, et de nombreux crayonnés de planches réalisés par Neal Adams). Et même si l’on peut regretter que les Américains aient « recolorisé » informatiquement cette œuvre pour sa réédition, on ne peut qu’être ravis de cette initiative d’Atlantic qui comblera un manque certain pour bien des fans.

Superman K.O. dans l'édition originale de 1978

Superman contre Muhammad Ali… Voilà un projet bien incongru ! Seuls de grands artistes pouvaient prendre ce postulat improbable pour en faire quelque chose qui se tienne et ne dérape pas dans le grand n’importe quoi ! Et ce fut le cas, heureusement, puisque ce sont Denny O’Neil et Neal Adams – rien de moins que deux piliers incontournables de la charnière entre Âge d’Argent et Âge de Bronze des comics – qui s’y frottèrent. Tout a commencé en 1976. Cette année-là, sous l’égide de Stan Lee (Marvel) et Carmine Infantino (DC), Superman venait de combattre Spider-Man dans une coédition proposant « le combat du siècle ». C’était l’époque des possibles au sein d’une ère bien plus libérée que les sixties hantés par la guerre froide, même si malgré la libération des mœurs les choses n’étaient pas aussi roses qu’on l’aurait souhaité. C’est l’époque du désir d’émancipation de la femme, de la liberté sexuelle, mais aussi de la prise de conscience des répercussions de la drogue et des dangers de cette « nouvelle vie libérée des entraves du système ». Ainsi, tout le monde se souvient des fameux numéros 85 et 86 de « Green Lantern/ Green Arrow » (1971) où nos super-héros étaient confrontés très directement à l’horreur de la drogue et des junkies. Une plongée dans le réel orchestrée par… Denny O’Neil et Neal Adams. Le duo n’en était pas à son premier coup d’essai, puisque dès 1970 il explora dans cette série des thèmes de plus en plus liés à l’actualité sociale de notre monde réel. Il n’est donc pas étonnant qu’on ait fait appel à ces deux personnalités pour prendre en mains le projet « Superman vs Muhammad Ali », souhaitant exprimer dans ce récit les valeurs et les combats hors du ring de ce boxeur légendaire en faveur de la paix, des droits de l’homme, et défendant la cause des Noirs américains face au racisme et aux injustices sociales.

 À l’époque, Muhammad Ali est un symbole du Black Power, une véritable icône non seulement pour une majorité de la population noire des USA, mais aussi pour beaucoup de blancs embrassant les valeurs d’échange, de respect, de liberté et d’égalité récemment apparues lors des révolutions de la fin des années 60. Le mettre face à Superman pour un combat à la loyale, sans super-pouvoirs, est lourd de sens, sur différents niveaux. Ce n’est pas un combat entre ennemis, mais bien entre personnes qui se respectent et doivent être départagées pour savoir qui sera le plus à même de défendre la Terre contre des envahisseurs extra-terrestres. Cela change tout. Ce combat n’est donc pas le combat d’un noir contre un blanc, mais bien des noirs et des blancs qui se confrontent pour se donner toutes les chances de combattre une adversité commune : le message de l’alliance des races plutôt que celui de l’affrontement raciste est clair et net, surtout lorsque l’on voit le profond respect et l’entraide qui s’expriment à travers Superman et Ali dès que nous ne sommes plus sur le ring. De plus, cette confrontation permet aux auteurs de mettre en évidence – bien avant le 11 septembre – que certains hommes sans super-pouvoirs sont pourtant des héros, pouvant faire preuve d’actes surhumains dès lors qu’une catastrophe a lieu ou qu’un danger se présente. Là aussi, le message est clair (et même répété à satiété) : Muhammad Ali n’a pas de super-pouvoirs, mais ses valeurs et son courage en font finalement l’égal de Superman.

 Plus de trente ans après, on peut se surprendre à trouver ce récit quelque peu naïf et débordant de trop bonnes intentions, martelant des slogans spectaculaires et appuyés sur la valeur du boxeur. Mais c’est aussi cela qui fait tout le charme de ce véritable OVNI dont les qualités ne manquent pas. Même si Neal Adams a repris en cours de route le scénario d’O’Neil, la patte de celui qui rétablit l’esprit sombre de Batman après les gaudrioles des sixties est bien présente. Et Neal Adams profite du grand format pour explorer l’espace de la planche avec une belle ampleur, n’hésitant pas à nous balancer de très grandes cases et des pleines pages de toute beauté (la double pleine page du début, décrivant pourtant une simple scène quotidienne de rue, est bluffante d’efficacité). Et comme si la présence du grand Neal Adams ne suffisait pas, ce sont deux excellents encreurs qui finalisent ses dessins : Dick Giordano et Terry Austin, dont on reconnaît les styles avec grand bonheur sans dénaturer Adams. L’ensemble se veut spectaculaire, entendant bien nous en mettre plein les yeux en format géant ; et c’est réussi ! Sur 25 x 35 cm, la présente édition tient toutes ses promesses de gigantisme, et c’est vraiment très agréable de pouvoir admirer le travail d’Adams à cette échelle. Le petit clin d’œil des fac-similés du programme et du billet d’entrée (tout de même 1500 dollars la place !) est une bonne idée, ainsi que la couverture originale où sont créditées toutes les personnalités dessinées par Adams dans le public. Bref, je ne peux que conseiller la lecture de cette curiosité légendaire qu’il fait bon revoir parmi nous. Bravo !


« R.E.S.T. » T1 par Shawn McManus, Mark Powers et Milo Ventimiglia

Ceux qui aiment les séries télévisuelles super-héroïques connaissent bien le nom de Ventimiglia, puisque c’est l’un des principaux acteurs de « Heroes ». En 2005, celui-ci fonda Divide Pictures, une maison de production par laquelle il se rapprocha aussi du monde des comics en lançant notamment « R.ES.T. » pour Devil’s Due puis Top Cow. L’image et la notoriété de Ventimiglia sont ostentatoirement utilisées dans cette œuvre – ce qui, soyons franc, n’apporte pas grand-chose et agace même un peu. Car les qualités de l’œuvre sont ailleurs. Le scénario de Mark Powers décline l’idée de Ventimiglia avec une honnête efficacité, et rend le récit très agréable à lire. Les personnages sont attachants, et le sujet intéressant : la vie sans sommeil. On propose en effet à John Barrett de tester une pilule qui supprime le besoin de dormir, ce qui, vous l’avouerez, change la donne lorsqu’on pense qu’on dort un tiers de sa vie. Imaginez tout ce que nous pourrions faire en plus dans notre existence si nous ne dormions plus ! Mais serait-ce supportable ? Quoi qu’il en soit, au bout de plusieurs mois passés sans dormir, notre héros se rend compte qu’il n’a pas accepté qu’une simple expérience scientifique, et que les ramifications de ce projet plongent en eaux troubles, entre politique, finance, science et manipulation. Et ce qui semblait fantastique au départ devient… dangereux et glauque.

 Ce premier album reprend les numéros 0 à 2 de « R.E.S.T. ». À part le nom de Powers, c’est bien sûr celui de Shawn McManus qui retiendra l’attention des fans de comics (« Swamp Thing », « Sandman », « Dr Fate », « Omega Men »…). Mais McManus n’a assuré que les crayonnés, assisté par plusieurs encreurs et coloristes. Il ne faut donc pas s’attendre à du McManus « pur jus », ce qu’on ne doit pas forcément regretter même si l’on adore (comme moi) ce grand dessinateur, l’équipe artistique ayant finalisé son travail de manière très séduisante. Sans être un puriste (quoique), mon premier réflexe serait de déplorer de voir le style de McManus quelque peu noyé par un fort travail de couleurs peintes informatiquement. Mais ce travail chromatique – assez subtil et bien senti – donne finalement aux dessins de McManus une belle ampleur, de la profondeur, dans de beaux jeux de lumière et de matières. Au bout du compte, c’est très beau, je trouve, ce qui est rare dans cette ère de PAO qui ressemble plus à une OPA. « R.E.S.T. » est une œuvre mainstream de bon niveau qu’il serait idiot de bouder. On attend la suite…


« Mystery Society » T1 par Fiona Staples, Steve Niles et Ashley Wood

Voilà un comic débridé qui fera plaisir à ceux qui aiment l’univers décalé d’Ashley Wood. Et pour cause, c’est bien Ashley Wood et Steve Niles qui ont créé et écrit cette œuvre gentiment iconoclaste. On retrouve donc le grain de folie de Wood et l’efficacité stylistique de Niles dans ce « Mystery Society » qui – même s’il ne casse pas la baraque – reste très plaisant. Wood et Niles y flirtent avec une certaine tendance se situant entre « La Ligue des gentlemen extraordinaires » de Moore et « Planetary » d’Ellis : une exploration dans la SF exhumant quelques figures emblématiques de l’histoire de ce genre ô combien riche et symbolique. Ainsi, ici, ce sont le cerveau de Jules Verne et le crâne d’Edgar Poe qui sont dans le giron des auteurs, différemment mêlées à une organisation privée s’occupant de surnaturel…

 À la tête de cette Mystery Society, il y a Nick Mystery et Anastasia Collins, un couple fort en gueule et pittoresque. Secondés par deux jumelles mutantes, une morte-vivante et le cerveau de Jules Verne, l’équipe entend confirmer la réalité et démentir les leurres de notre monde, souvent liés au surnaturel. Avec beaucoup d’humour et de légèreté, Niles et Wood nous proposent de suivre les missions menées par ce groupe se sentant un peu trop dessus des lois… C’est Fiona Staples, jeune dessinatrice qui a principalement œuvré pour Wildstorm (« DV8 », « North », « The Authority : Hawksmoor »), qui illustre ce récit dans un style réaliste et épuré qui rappelle souvent l’esthétique de Wood. On attend le second volume pour lire la suite et fin de cet agréable comic…

 Cecil McKINLEY

« Superman vs Muhammad Ali » par Neal Adams et Denny O’Neil Éditions Atlantic (35,00€) – ISBN : 979-10-901-7105-3

« R.E.S.T. » T1 par Shawn McManus, Mark Powers et Milo Ventimiglia Éditions Atlantic (12,95€) – ISBN : 979-10-901-7103-9

« Mystery Society » T1 par Fiona Staples, Steve Niles et Ashley Wood Éditions Atlantic (12,95€) – ISBN : 979-10-901-7104-6

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