Café littéraire à Blois : devoir d’histoire et travail de mémoire !

À l’initiative de Bruno Génini, directeur du festival bdBOUM, un premier café littéraire a été organisé samedi 19 novembre dans le café de la halle aux grains, afin de promouvoir des ouvrages originaux qui se révèlent en adéquation avec les objectifs et les thématiques du festival.

Ici, point de polémiques, mais plutôt une rencontre animée par Patrick Gaumer, modérateur de choix, et un échange entre Jérémie Dres, auteur de « Nous n’irons pas voir Auschwitz » (éditions Cambourakis) et Michel Dufranne, scénariste de « Triangle rose » (éditions Quadrants). Nathalie Grenon, directrice du CERCIL (Centre d’Etude et de recherche sur les Camps d’Internement dans le Loiret) et du Mémorial des enfants du Vel d’Hiv, représentait quant à elle la communauté des historiens, apportant une expertise qui permettait de mettre l’ensemble des propos en perspective.Bien que fort différents ces auteurs ont eu le même souci de faire découvrir des épisodes historiques plus ou moins connus et d’apporter un éclairage nouveau, l’un sur la vie des Juifs en Pologne, l’autre sur la déportation des homosexuels masculins liée au paragraphe 175 en vigueur sous le 3ème Reich.

Tous deux ont débuté leur travail de recherche et de création à partir d’un événement personnel, décès d’une grand-mère polonaise pour le premier, et questionnements sur une photo de famille pour le second. Mais ne nous y trompons pas, leurs sagas respectives ne restent pas égocentriquement familiales : bien vite leur propos obligent à revisiter notre propre histoire collective et à faire un « travail de mémoire » comme le rappelle, Nathalie Grenon.

 Lors de son intervention, cette dernière fournit quelques précisions, notamment sur les trois camps du Loiret concernés par sa recherche. Nous apprenons ainsi qu’à Pithiviers, Baume la Rolande et Jargeau ont été internées 16 000 personnes, dont 4700 enfants déportées à Drancy à la demande express de Laval et Bousquet. Dans son centre d’étude, Nathalie Grenon côtoie régulièrement des familles en quête de renseignements sur le sort de proches disparus dans les camps, mais elle constate que, souvent, ce désir de compréhension saute une, voire deux, générations. Comme ce fut le cas d’ailleurs pour Jérémy Dres : les petits enfants se révèlent davantage désireux que leurs parents de savoir ce qui est vraiment arrivé à leurs grands-parents.

 À travers l’hommage qu’il rend à sa grand-mère Tema, Jérémy Dres traite bien évidemment de la Shoa. Aux détours de ses pérégrinations polonaises (accompagné de son frère), il nous emmène d’abord à Varsovie, où vivait alors Tema, puis à Zelechow, village natal de son grand-père. Et peu à peu, à travers les étapes de son voyage-récit, il nous transporte dans la Pologne d’hier, confrontée à l’extermination raciale, puis dans l’après-guerre marqué par un fort antisémitisme d’état (avec une série de pogroms qui entraînent de nombreux départs vers Israël ou vers de grandes capitales) et lorsqu’il se retrouve dans la réalité d’aujourd’hui, c’est pour constater l’incroyable renouveau qui s’opère depuis la chute du communisme, favorisant une véritable « renaissance juive ». Avec sa grande liberté de mise en page (pas de case, alternance de grandes planches et de petites saynètes, absence de dessins classiques), Jérémy Dres donne un souffle et un tour particulièrement vivant à son récit. Son retour aux sources devient carnet de voyage, habilement complété par un album photos de la famille.

Michel Dufranne, quant à lui, s’est intéressé au triangle rose, signe distinctif des déportés homosexuels, punis pour « crime contre la race ». Son fil conducteur, c’est l’histoire vraie d’Angela (membre de sa famille), née d’un viol collectif perpétré sur sa mère lesbienne (qui ensuite épousera elle-même un homosexuel allemand), et d’abord élevée dans un Lebensborn. Michel Dufranne revisite donc la réalité historique à travers une vision familiale de la déportation et de l’homosexualité. Vision plurielle de par ses origines belges, à la croisée d’influences allemandes, françaises et flamandes. Psychologue de formation, il s’attache particulièrement aux émotions, aux ressentis et au travail sur le souvenir.

 Nathalie Grenon insiste alors sur ce devoir de mémoire envers les homosexuels, grands oubliés de l’histoire, particulièrement les lesbiennes victimes de viols collectifs. Quand bien même il n’y aurait qu’un nombre limité de cas au regard des millions de victimes de la Shoah, malgré la rareté des informations les concernant, elle insiste sur l’absolue nécessité d’évoquer leur souffrance, car « il n’y a pas de concurrence des mémoires » nous dit-elle. Michel Dufranne a opté, avec son illustrateur Maza, rencontré sur Internet, pour une présentation graphique classique avec des dessins réalistes et des variations chromatiques qui suivent le cadre du récit (sépia pour les années 30, noir et blanc pour les années de la guerre et couleurs pour la période contemporaine). C’est son éditeur qui a fait le choix d’un format intimiste pour affirmer la dimension de roman graphique de cet album dont la teneur n’aurait probablement pas été parfaitement rendue avec un traitement franco-belge classique.

Au final, un café littéraire riche où les intervenants ont été applaudis par un auditoire attentif et intéressé. Espérons que cette première expérience réussie sera reconduite lors des prochaines éditions.

 texte Josy HERMELINE, photos Joël DUBOS

Galerie

Une réponse à Café littéraire à Blois : devoir d’histoire et travail de mémoire !

  1. Super intéressant. J’ai la même ligne de travail éditorial et vais participer aux RV de l’Histoire 2014 avec ma collection tsigane (dont une BD d’un Gitan espagnol, Ricardo « Le niglo facétieux », un conte théâtral « Djetty la Manouche » qui vient de paraître) et le livre de Jacques Sigot, 4° édition, sur le camp de concentration français de Montreuil-Bellay, d’abord publié en 83, 30 ans de combat pour la reconnaissance. J’aurai aussi entre autre rebelles la 1° autobiographie féminine, 1853, publiée à Turin en français et redécouverte récemment en France (« Emancipation de la femme », de Clémentine de Como, 2 tomes), et le 3° tome du roman historique « Le silence des dieux », de Robert blondel, « Le soleil d’Elissa », le tome 2 avait été présélectionné à Blois pour le prix du roman historique. Je cherche un lieu proche du festival pour conférence chantée avec mes auteurs(je suis aussi auteur-compositrice-interprète libertaire, et chante mes compos, ainsi que d’autres , dont Gaston Couté. Je vais chanter en Avignon en juillet. Si vous avez un contact possible pour animation périphérique en café ou autre ? Merci. C’est la 1° fois que je prends un stand, et une animation interne est difficile à obtenir, pourtant je suis universitaire (docteur en littérature comparée).
    A suivre ? Aubenas aussi m’intéresse, un de mes auteurs, d’Avignon, Jean Vilane, vient de faire une BD chez Glénat, « Camargue Rouge ». Avec le « Niglo », cela fait un doublet tsigane à proposer sur cette thématique à Aubenas, peut-être pour l’année prochaine.
    Bien cordialement,
    Françoise (fanFan quand je chante)

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