Loki, de Robert Rodi & Esad Ribic

Déjouant pour la première fois toutes les fatalités, Loki semble avoir vaincu son demi frère Thor et s’installe sur le trône d’Asgard. Mais loin de goûter sa revanche, il se trouve assailli par les doutes, comprenant que sa soif de vengeance enfin assouvie ne peut lui accorder ce qui en fut le moteur réel.

 

 

Par le jeu des souvenirs, le dieu semeur de discorde et fauteurs de conflits trouve dans ce magnifique album une rédemption qui en fait une figure complexe, incarnation torturée de la créature privée d’amour et à jamais condamnée à souffrir. Méprisé, humilié, rejeté, victime d’un ostracisme cruel, rejeton honni d’une branche vaincue, réduit au rôle de faire valoir impitoyablement condamné et de toute éternité injustement traité, il devient le représentant des perdants et des faibles à qui le destin, dans son injustice, ne donnera jamais la moindre chance. Loki qui pourtant ne craint pas la déesse de la mort et qui sait faire preuve de compassion, Loki le torturé qui s’interroge et se scrute sans ménagement, celui à qui la vie n’a laissé d’autres échappatoire que la malignité des faibles, lui qui aime sans être aimé, pauvre misanthrope condamné à blesser pour exister, trouvera-t-il seulement la reconnaissance de ses souffrances passées et des injustices qui ont scandé sa vie ? Lui qui a cru trouver la reconnaissance dans la victoire, affronte une fois encore la raillerie, le mépris, la haine ce ceux dont il vient pourtant de triompher. La noirceur de Loki est faite du ressentiment accumulé, comme nourri de la superbe des champions, de ceux qui ont tout, à qui tout est possible, mais à qui fait pourtant défaut ce qui fait l’humanité du misérable, le doute, le manque d’amour, la soif de tendresse, et au plus profond de lui, cet attachement et cette admiration qu’il voue à ceux qui l’ont abaissé et ont fait de lui l’être vil qui n’existe que dans la transgression à laquelle le condamne sa position inférieure. Loki revendique, se venge, complote parce qu’il souffre d’une faiblesse forgée par ceux là même qui le repoussent. La noirceur de Loki, n’est pas simplement l’indispensable pendant à la splendeur de ses compagnons, mais reste le produit de leur orgueil et de leur égoïsme. Ce récit sonne donc comme un avertissement et une réflexion sur La vengeance du faible, prêt dans une quête éperdue de reconnaissance à transgresser tous les codes jusqu’à correspondre à l’image dont on l’a tôt affublé. L’étiquetage crée donc le caractère, parce que, si l’homme devient ce qu’il pense de lui-même, cette vision intérieurs n’est rien d’autre que ce que le regard d’autrui lui a légué. Il deviendrait donc ce que les autres pensent de lui. Terrible morale, traitée sur le mode d’une tragédie épique et déchirante, magnifiée par le trait ultraréaliste et grandiose de Ribic. Révélant un grand scénariste, cette oeuvre captivante et sombre, sonne comme une critique de la civilisation occidentale, renvoyant chacun à l’angoisse existentielle d’un destin inique et incontrôlable. Superbe.

 

 

 

JD

 

Loki, de Robert Rodi & Esad Ribic, Marvel France, 14 euros

 

 

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