Roulez Jeunesse !

Joël Dubos fait le point sur les livres pour enfants à travers 40 albums sortis avant les fêtes

 

 

 

 

Noël offre chaque année l’occasion de faire le point sur des productions qui, pour s’adresser aux enfants, n’en sont pas moins dignes d’intérêt. Avec des produits adaptés à leur public, une recherche de plus en plus affirmée de la qualité et des projets ambitieux, la plupart de ces albums peuvent être lus avec plaisir et profit par les adultes. Une certaine stabilité à évolution lente, contrastant avec le foisonnement, voire l’emballement auquel on assiste actuellement sur le segment adolescent-adulte, semble caractériser la production jeunesse. Au fil des ans, s’affirme ainsi une évolution vers trois directions.

 

            Tout d’abord, la pérennité de certaines séries, souvent nées il y a plusieurs décennies, se trouve confirmée. On peut y voir tout autant une habile et louable gestion du fonds par certains éditeurs (ainsi Dargaud ou Le Lombard qui donnent toujours leur chance à des titres ou à des héros devenus des classiques, à côté de Casterman qui continue à faire vivre le grand Tintin, en poursuivant ses rééditions à l’ancienne, avec papiers épais et couverture à dos toilés, et aussi Lucien, grâce à un album plagiat en forme d’hommage), ou encore l’attachement (quand ce n’est pas le retour) du lectorat à des valeurs sûres (mentionnons les inoxydables Sylvain et Sylvette, Yakari, Benoît Brisefer, ou le 69e épisode de Ric Hochet (!), mais aussi des succès plus récents mais dorénavant bien affirmés tels Mélusine, Charly, L’élève Ducobu, Le gowap, Théo Toutou, Marion Duval, Angèle et René ou plus récemment Yoman, Mort de Trouille, Moustic, et autres Petit Père Noël, qui tous semblent tranquillement partis pour atteindre la dizaine voire la vingtaine d’albums) A placer à part, le phénomène Cédric, à ranger avec Titeuf dans la catégorie des comètes, dont le succès relève davantage du phénomène de la starisation et du média de masse que de la production artistique classique (ce qui n’enlève rien aux qualités intrinsèques de ces deux excellentes séries). Ajoutons aussi un effet générationnel, les parents actuels (particulièrement la génération des trentenaires qui ont des enfants en âge de lecture) ayant été nourris dans leur propre enfance par la lecture sans complexe des bd et ne souffrant plus de l’ancienne opprobre qui pesait sur le genre jusqu’aux années 1970, sont les premiers à acheter des albums à leurs bambins.

 

            Seconde constatation : l’influence grandissante de la télévision qui, non contente d’adapter à l’écran des personnages dessinés, entraîne en retour un stimulation des ventes d’albums (devenus parfois de véritables produits dérivés) ou, de plus en plus souvent, projette à partir d’une création télé (comme le célèbre Caméra café), ses héros sur le medium bd (Bob l’éponge chez Casterman), avec des formats très marqués par le grand écran (Jackie Chan, Kim Possible dans la série Manganim chez Hachette jeunesse, en offre une illustration caractéristique). Si le résultat final peut surprendre le critique, il n’en demeure pas moins que l’on se trouve là en face de produits parfaitement formatés et ciblés en terme de marketing. L’influence du média télévisuel se perçoit également au niveau du traitement pictural. Ainsi, après un premier tome fort réussi, Gargouille évolue, avec le nouveau dessinateur Camboni, vers un style évoquant les dessins animés de la société Anna Barbara ou certains Disney. L’encrage, comme la domination des plans américains ou rapprochés, la faible profondeur de champ, l’importance limitée laissée à l’arrière plan, autant de traits qui rattachent directement cette bande au style des cartoonistes américains récents. Dans le même groupe, on pourrait classer des séries fortement marquées par l’univers des jeux vidéos :  le meilleur exemple en reste le premier tome de la série Game over qui met en scène l’alter ego virtuel de l’inénarrable gamin Kid Paddle (Game over, t1, Block raider) : c’est non seulement la thématique qui vient des jeux vidéos, mais aussi un ton à l’humour férocement jubilatoire, une cadence hachée, un scénario plein d’imprévus et des conclusion à l’emporte pièce qui constituent justement l’essence même de la série. Mixant les deux influences précédentes, avec une mise en cadre virtuose aux angles imprévus et un rythme particulièrement nerveux, la nouveauté Funcky cops semble tout droit sortie d’une série télé américaine des années 1970.

 

            Enfin, on assiste à une spécialisation de plus en plus affirmée avec une segmentation du marché prenant en compte en gros les primo lecteurs, (soit les 6-7 ans), avec un produit typique dans ce créneau comme Le monde de Léa, qui fait la transition entre les récits lus par les parents et les scénarios plus élaborés de la lecture autonome ; puis les enfants jusqu’à 9-10 ans, qui pourront prendre de la distance avec leurs problèmes de socialisation à travers des évocations de leur univers quotidiens telles que La bande à Fred et son incroyable galerie de gamins hauts en couleur, Athur et le secret de la Mamie, qui traite, sur un mode optimiste, de la vieillesse ; enfin, les pré-ado, à qui semblent de plus en plus destinées des séries fleuves, drôles mais en phase avec l’actualité contemporaine, comme Motomania ou Le boss. A chaque fois, les spécificités de ces divers âge influent sur la teneur générale des albums, par la mise en page, le scénario, mais aussi l’encrage et la rondeur du trait. Même ci, le lecteur étant roi, plusieurs de ces productions peuvent séduire en fin de compte un public plus large, les meilleurs, ceux qui peuvent être lus à plusieurs niveaux de lecture, apparaissant comme d’inclassables et savoureuses créations pour petits et grands (ainsi en va-t-il des excellents Que du bonheur, Tensions alimentaires, de Jannin, au Lombard, Petit Père Noël et le cadeau perdu, de Trondheim chez Dupuis, ou Le monde de Franquin, chez Marsu production).

 

Il reste à porter une mention spéciale à quelques albums que leur qualité spécifique ou leur originalité signalent tout particulièrement à l’attention. Soleil se distingue avec une nouveauté prometteuse, Aster, et une confirmation, l’adorable Tuff et Koala. Chez Dupuis, Petit père Noël et le cadeau perdu affirme la puissance du concept de la vignette sans texte, qui revient aux racines de la narration en images. Enfin, le superbe et très créatif second tome de La fontaine aux fables chez Delcourt mérite une place à part par la dimension pédagogique et artistique qu’elle confère à la bande dessinée, devenue le support de la très classique œuvre de Jean de La Fontaine. La palme de l’originalité, revient, dans notre panel, à l’inattendu Scott zombi, dont la trame mortifère entre en interaction vigoureuse avec le trait si particulier du traitement franco-belge, dont on savait déjà qu’il pouvait s’adapter à tous les schémas narratifs.

 

            Au final, encore pour cette fin d’année 2004, un panel de qualité et fort intéressant.

 

 

 

Joël DUBOS

 

Sélection d’Ouvrages

 

 

 

Albin Michel : Yoman kiffe le skate / Motomanio, t6, Les aigles de la route / Tom-Tom et Nana, Subliiiime

 

 

 

Bayard : Théo Toutou, Cavalcade / La bande à Fred / Marion Duval,n° 14, Chantier interdit

 

 

 

Casterman : Caméra café, t3 / Funcky cops, Ami ami à Frisco / Scott Zombi, t3, L’amicale des réducteurs de têtes / Tintin en Amérique, réédition / Bob l’éponge, En avant toute! / Lucien 25 piges / Mort de trouille, t4, Dans l’ombre de la bête

 

 

 

Dargaud : Sylvain et Sylvette, n° 49, Guirlandes de glace / Moustic, t5, Ernest le héros

 

 

 

Delcourt : La fontaine aux fables t2 / Le monde de Léa / Arthur et le secret de la Mamie

 

 

 

Dupuis : Petit Père Noël et le cadeau perdu / Le boss, t7, Délocalisation / Mélusine, t 12, La belle et la Bête / Game over, t1, Block raider / Cédric n° 19, On se calme/ Charly, t11, Une vie éternelle

 

 

 

Hachette jeunesse : Série Manganim

 

 

 

Humanoïdes : Gargouille t2, La clé du temps

 

 

 

Lombard : Ric Hochet, t69, L’homme de glace / Yakari n° 30, Le marcheur de nuit / Benoît Brisefer, n°13, John-John / Que du bonheur, Tensions alimentaires / Gowap n° 7, Gowap à gogo / L’élève Ducobu, n° 10, Miss Dix sur dix / Angèle et René n° 8, Qui vivra verra

 

 

 

Marsu productions : Le monde de Franquin, l’album

 

 

 

Milan : Chico Mandarine, Seul contre tous

 

 

 

Soleil : Aster, t1, L’agence barbare / Tuff et Koala, t2, La maxi trouille  

 

 

 

Quelques chroniques pour les petits

 

 

 

Le monde de Léa, t1, Baleine au bal, Julie M, Jean-Louis Fontenau, Delcourt, 8,90 euros

 

Léa est une petite fille aux bonnes joues roses qui n’en fait gentiment qu’à sa tête et rêve d’une vie d’aventures trépidantes chaque fois qu’elle en a l’occasion. Trésor, robe somptueuse, méchants affamés, prince adorable et bals fastueux, la petite Léa profite de son bain pour s’inventer une histoire échevelée dont elle est l’héroïne. Bourré de réminiscences empruntées aux corpus des contes occidentaux, matinées d’un peu de Nemo et autre Arc-en-ciel, cette histoire aquatique pourrait tout à fait avoir été imaginé par un bambin nourri des fictions contemporaines pour enfants. Simple, enfilant les aventures avec rapidité et sans souci de cohérence, plein de rebondissements spectaculaires et de péripéties merveilleuses, Le monde de Léa a tout pour séduire les petits en âge de lire. Les dessins, réduits aux seuls éléments signifiants utiles pour le récit et la mise en place d’un décor minimaliste, présente des couleurs tranchées et un trait ferme vraiment fait pour plaire aux enfants. Le scénario, drôle et invraisemblable, déroule ses aventures en courts épisodes improbablement enchaînés sur le mode d’Alice au pays des merveilles, alors que la chute, habituelle dans son fonctionnement à nombre de récits imaginaires, n’est pas sans rappeler Little Nemo in Slumberland de Winsor McKay. Cet album divertissant pour les petits pourra aussi leur indiquer comment alimenter leur propre univers onirique et s’inventer des jeux intégrant leurs jouets.

 

 

 

La fontaine aux fables, t.2, Bodin, Cagniat, Debon, Dethan, Guilloteau, Hausman, Loyer, Masbou, Mazan, Nesme, Revel, Turf, Delcourt, 12,50 euros.

 

On ne présentera pas les héros de La Fontaine qui, en couples célèbres, ont bercé notre enfance. Le second opus d’une série à succès de nos écoles primaires, présente 12 fables, certaines fort célèbres, d’autres (Le cheval et le loup, L’éléphant et le singe de Jupiter), moins connues. Puisant avec inspiration dans un patrimoine indémodable, cette oeuvre offre un nouvel exemple de la quintessence du cheminement créatif, liant inextricablement innovation et réécriture. Tout l’intérêt artistique de l’affaire tient en effet dans le choix de maintenir le texte initial dans son intégralité littéraire, et de l’incorporer selon les codes classiques de la BD, en bulle ou texte off. Au plan pédagogique, l’enfant, surtout les plus jeunes, trouveront une occasion remarquablement accessible de découvrir ces poésies subtiles (qui n’a souffert sur certains vers mêlant le phoenix à l’hôte de nos bois ?), grâce à un traitement tantôt humoristiques et résolument actualisé (Le lièvre et la tortue), tantôt raffiné (La cigale et la fourmi), tendre (Les deux coqs), ou délicat (La colombe et la fourmi). Cet album offre ainsi une excellent manière d’illustrer la traditionnelle dialectique du fond et la forme, et, tout en initiant les enfants aux différents styles du genre, de comprendre comment le dessin peut servir le texte, amplifiant, nuançant ou au contraire réinterprétant le verbe. Une réalisation exemplaire.

 

 

 

 

 

Bob l’éponge, En avant toute! par l’équipe graphique de Nickelodeon, chez Casterman, 7,95 euros.

 

Bob l’éponge à pour meilleur ami une étoile de mer, il vit dans un ananas, et il doit faire face aux manoeuvre du méchant Plankton qui cherche à lui dérober la recette secrète du pâté de crabe. Dans cet univers loufoque, l’éponge spontex en cravate et culotte courte affronte des monstres des profondeurs, le hoquet ou encore la perte de sa toque. A la mode télévisuelle, c’est rempli d’effets, hyper expressif et sans aucun temps mort. De quoi plaire au public de ce dessin animé diffusé sur TF1 et Canal J.

 

 

 

Série Manganim, Hachette jeunesse, 6,20 euros.

 

Mettant en scène des personnages de dessins animés (Jimmy Neutron, Kim Possible) ou de film (Jackie Chan), ces albums souples jouent à fond la carte de la mode. Mixant une mise en page aux vignette en forme d’écran télé -Kim Possible), une mise en relief avec effet 3D informatique (Jimmy Neutron), ou un traitement à la façon des dessins animés japonais (Jackie Chan), ces ouvrage souple apparaissent comme des produits dérivés aux allures de bd moderne. Hachette reprend ici des publications chez Tokyopop, et offre des produits novateurs, travaillés en équipes, et finalement plus proches du jeux vidéo ou de l’animation que de la BD traditionnelle. Ou comment un dessin animé sur le papier se fait bande dessinée.

 

 

 

Tintin en Amérique, d’Hergé, réédition chez Casterman, 17,95 euros.

 

A l’opposé des produits précédents, et comme pour mieux témoigner de l’évolution extraordinaire du genre depuis un demi-siècle, cet album séduira les nostalgiques des papiers épais, des couverture non pelliculée, des dos toilés et des encrages doux en couleurs pastels. Réédité à l’ancienne, cet album contribue à perpétrer le mythe du plus célèbre héros du 9e art. Une belle initiative qui poursuit album après album un superbe travail éditorial pour permettre aux enfants de retrouver la magie de cet album empli de fantaisie et de fraîcheur.

 

 

 

Benoît Brisefer, n°13, John-John, d’après la création de Peyot, par Jannin, Culliford, Garray, au Lombard, 8,30 euros.

 

Non seulement Benoît est le petit garçon le plus fort du monde, mais il est aussi décidément l’un des héros les plus impérissable de la bande dessinée. Voici dont, dans la pure tradition des premiers albums de Peyot, avec toutes les caractéristiques de la bd franco-belge d’humour des années 1960 : petites cases, bulles densément remplies, psychologies simples et dualités morales évidentes, décors simplifiés, ressorts très visuels. Dans cet album, Benoît va aux sports d’hiver. Là, il se lie d’amitié avec le fils d’une célébrité du cinéma et tente en sa compagnie de déjouer les manoeuvres d’une promoteur peu regardant quant aux méthodes. C’est bien mené et toujours aussi agréablement scénarisé, bref digne du grand Peyot.

 

 

 

Sylvain et Sylvette, n° 49, Guirlandes de glace, par Belom et Pesch, chez Dargaud, 8,30 euros.

 

Encore plus fort que Benoît Brisefer, Sylvain et Sylvette, créés en 1941 par Maurice Cuvillier et repris dès 1956 par Jean-Louis Pesch, démontrent que la constance éditoriale peut payer même à notre époque de merchandising forcené. Contre tous les effets de mode, conservant ses airs de vieux contes hors du temps (« il était une fois, deux gentils enfants qui vivaient dans une forêt peuplée d’animaux aussi méchants que stupides… »), la série applique avec constance les mêmes recettes immuables : les auteurs ont pu introduire le téléphone, les immeubles ou l’auto-stop, l’imagerie autant que le scénario, dépourvu de malice mais non d’espièglerie, renvoie à la simplicité d’un monde rural hors du temps et de l’espace. Un contrepoint tendre, anachronique et merveilleux dans la trépidation contemporaine.

 

 

 

Yakari n° 30, Le marcheur de nuit, Job et Derib, au Lombard, 8,70 euros.

 

Oeil-de-bouillon passe ses journées à dormir. Peut-être bien parce qu’il est somnambule et se promène la nuit. Or, voici qu’un matin, il a disparu. Personne ne sait rien dans la tribu sioux, mais heureusement, Yakari peut compter sur ses amis les animaux de la forêt. Encore une réussite à la longévité peu commune. Depuis 1969, Yakari garde bon pied bon oeil et continue à séduire les petits grâce à son univers merveilleux d’animaux anthropomorphes toujours prêts à montrer un exemple positif et édifiant. Le trait simple mais explicite, et les dialogues, brefs et proche du dessin et de l’action, font de la série un outil idéal pour l’apprentissage et le renforcement de la lecture.

 

 

 

BONNEE ANNEE BEDEPHILE A TOUS ET BONNE LECTURE

 

 

 

Joël DUBOS

 

 

 

 

 

 

Galerie

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