L’aventure d’une BD par Sergio Garcia

Malgré ses limites, cet album arrive à propos, qui se fixe pour objectif de faire découvrir toutes les facettes techniques de l’élaboration d’une bande dessinée. Clair et pédagogique, il constitue déjà un indispensable ouvrage à placer dans toutes les bibliothèques des jeunes passionnés.

 

 

Sergio, qui est une représentation simplifiée du dessinateur (comme expliqué de manière très précise au milieu de l’album), guide le lecteur en compagnie de la petite souris, Sanchez. L’ensemble se présente comme une longue frise destinée à faire comprendre le monde de la bande dessinée aux enfants. Le fil directeur repose sur l’élaboration d’un album, depuis la détermination d’un format jusqu’aux séances de dédicaces, en passant par les techniques de dessin et le différentes étapes de l’impression.

 

Destinées aux jeunes lecteurs, les explications sont le plus souvent très clairement présentées dans un style simplifié et elles permettront aussi aux adultes, décomplexés par une présentation sans prétentions autres que pédagogiques, de compléter leur culture sur un médium dont les particularités échappent toujours à un certain nombre de parents.

 

Inspiré des techniques narratives de l’Oubapo (l’ouvroir de bande dessinée potentielle de Lewis Trondheim) dont Sergio Garcia est un pilier, ce produit n’est pas exactement une BD classique : pas de planche à proprement parler mais une frise-serpentin divisée en cases souvent mal individualisées, pas de numéro de page (ce choix que rien ne justifie vraiment reste tout de même curieux, notamment pour la précision des commentaires …), pas de bulles mais du texte (rattaché à un personnage par un trait pour évoquer les dialogues, ou placé à l’ancienne en haut de vignette pour suggérer la voix off), une présentation inhabituelle (avec l’inclusion de la seconde de couverture dans le récit), une mise en page déstructurée (qui retrouve parfois la créativité graphique de Fred) ; bref cette oeuvre fait preuve d’audace et regorge incontestablement d’innovations.

 

Avec son lexique à la fin, sa progression mesurée, l’évocation des antécédent historiques du genre, une volonté de simplification du propos sans sauter aucune étape (aussi évidente semble-t-elle au lecteur expérimenté) et l’explicitation systématique des termes clefs, l’album présente une dimension pédagogique indéniable. La volonté de dynamiser la narration au moyen d’incidents (la souris étant censée traduire les interrogations de chacun et le correcteur jouant le rôle d’empêcheur de tourner en rond), un ton sérieux mais décontracté, des scènes d’humour, tout cela traduit les efforts faits pour alléger l’exposé didactique. Mais l’auteur recourt sur ce point à un arsenal un peu trop conventionnel qui trouve assez vite ses limites.

 

On peut au demeurant se demander si ces choix de présentation sont particulièrement judicieux alors que le but explicite reste d’évoquer la bd. N’aurait-il pas mieux valu justement faire totalement oeuvre pédagogique (la valeur de l’exemple!) avec une vraie bande dessinée (au sens commun du terme) ? On peut certes penser que le carcan d’une mise en page trop classique aurait pu nuire à la capacité explicative de la démonstration. Il reste que la densité de chaque page et le traitement global (dessins assez petits au final, propos touffu quoique fractionné, mise en page souvent complexe, dépassement du sens conventionnel de lecture qui ne s’effectue plus forcément de gauche à droite et de haut en bas, monotonie du traitement graphique des personnages) représentent une difficulté de lecture qui peut rebuter certains enfants. Le public potentiel sera donc celui des adolescents, ou pré-adolescents, mais à ce moment là, ces derniers pourront être déçus par le choix d’un figuré simpliste trop proche des dessins d’enfants (ou du style de ceux destinés aux enfants).

 

Tout l’interrogation repose in fine sur cette constatation : la portée pédagogique du récit le destine à un public déjà réfléchi alors que le traitement graphique et les options narratives ne peuvent vraiment satisfaire que par des enfants. Cette contradiction implique une certaine bienveillance a priori de la part du lecteur, quel que soit son âge : effort d’attention pour les plus jeunes, indulgence pour les grands peut-être rapidement lassés par la forme faussement enfantine du propos. Bien sûr, la question n’apparaît centrale qu’au vu de l’objectif en priorité instructif que s’est fixé l’auteur.

 

En conclusion, malgré les remarques précédentes, cet album a le mérite d’exister et fera le bonheur des jeunes désireux de s’initier à la technique bd. Car, si le critique n’apprend pas grand chose (on aurait parfois aimé plus de précisions), il faut saluer cette réalisation astucieuse et relativement complète qui permettra de se faire une bonne idée sur l’ensemble du processus d’élaboration d’un album. La bd n’est pas seulement un art, elle est aussi un support culturel à la pointe de l’innovation informatique et une composante de industrie de l’édition. Le jeune lecteur ne pourra plus l’ignorer après s’être plongé dans cet Aventure d’une bd.

 

Joël DUBOS

 

L’aventure d’une BD, Sergio Garcia, Delcourt Jeunesse, 8,40 euros

 

 

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