« Les Chasseurs d’écume » T1 par Serge Fino et François Debois

La bande dessinée s’est souvent intéressée à la pêche hauturière, spectaculaire et dramatique, faite de lames et de larmes, de marins piégés dans le filet de l’existence puis noyés anonymes, disparus loin de chez eux, autant dire nulle part. Alors, proposer un voyage à Douarnenez pour évoquer les pêcheurs de sardines qui partent à la journée, cela semble dérisoire et peu aventureux. On a tort et « Les Chasseurs d’écume » le prouvent aisément…

Le scénariste François Debois, en adaptant le roman de Jean-Claude Boulard,  » L’Épopée de la Sardine, un siècle d’histoires de pêches  » (Éditions Edilarge, 2008), entend en effet montrer la vie quotidienne de ces hommes et de ces enfants bretons luttant avec la mer, même toute proche des côtes, à la recherches des bancs de sardines, dans une course contre la montre car la concurrence est rude (10 000 pêcheurs au début du 20e siècle !).

Outre qu’il s’agit d’un savoir-faire ancestral (ne serait-ce que pour préparer la rogue qui appâte la poiscaille), « le blé de la mer », comme on surnomme les sardines, est devenu l’enjeu d’une industrie, et c’est là que l’album devient passionnant. Derrière les marins, il y a leurs femmes, souvent devenues ouvrières dans des conserveries inhumaines où l’on est payé au « mille de sardines », et pas à l’heure : le combat va s’imposer dans les années 20 pour l’obtenir. Et puis, les bancs ne sont pas inépuisables, il y a des années où ils désertent la région, où la précarité s’installe, terrible, désastreuse. Mais la surabondance, à d’autres moments, casse les prix !


 

Bref, si les sardines baignent dans l’huile, ce n’est pas le cas des conditions de travail ! L’âge d’or de l’épopée sardinière est celui des patrons qui doivent leur fortune aux eaux poissonneuses, certes, à l’invention de la boîte de conserve (à Nantes), et surtout  aux paysans toujours plus nombreux qui viennent travailler sur les bateaux et dans les usines dans des conditions difficiles. C’est ce que raconte, à un passager du train, Jos Gloaguen, la soixantaine, qui vient représenter à Paris, les intérêts des pêcheurs de Bretagne Sud au comité interministériel de la sardine. Se mêle à tout cela une histoire d’amours adolescentes et de clans familiaux, qui rend le projet à la fois technique et documenté, mais également sensible et romanesque.

Serge Fino, de son trait classique et réaliste est au dessin de ce cycle qui comptera 4 tomes s’échelonnant de 1901 à 1920. Il s’est attaché à un travail de documentation important pour les vêtements, les rues de Douarnenez, la vie à bord… Quant à François Debois, sa passion pour ses racines bretonnes lui a déjà inspiré quelques scénarios : «  Les Contes de Brocéliande « , «   Le Sang de la sirène  » ou  » Le Gardien du feu « , chez Soleil.

 

Pour ceux que la condition des marins pêcheurs intéresse, rappelons l’album de Christophe Chabouté, «  Terre-Neuvas  » (Éditions Vents d’Ouest), et son Doris qui quitte la France à destination des bancs de morue de Terre-Neuve, une histoire très sombre, aussi passionnante qu’éprouvante, située en 1913. Makyo, lui, avait célébré, dans « Le Cœur en Islande  » (Éditions Aire Libre), ces hommes  qui appartiennent à la caste des « Islandais », ces « bagnards de la mer » qui s’en allaient  au 19e siècle pêcher la morue et dont Pierre Loti a raconté les tourments dans son célèbre roman.

 

Alors, bon voyage !

 

Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook)

 

«  Les Chasseurs d’écume  » T1 par Serge Fino et François Debois

Éditions Glénat (13, 50 €) – ISBN : 978-2-7234-7780-2

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