« Les Fantastic Four » (2ème partie)

Chapitre 4 : Les raisons d’un succès

Le succès des  » Fantastic Four  » doit d’abord beaucoup à Lee, développant une caractérisation des personnages tout à fait inédite, qui trouvera son apogée avec  » Spider-Man « .

Fantastic Four 51, l’un des meilleurs épisodes de la série…

Car les FF sont avant tout une famille – la famille standard américaine -, avec un père (Reed), une mère (Sue, bien qu’elle ne soit pas mariée à Reed au début… Il faudra attendre l’annuel 3 de 1965 pour cela !) et deux ?enfants? : Johnny (le jeune frère de Sue) et Ben (l’ami et rival de Reed), qui ne cessent de se disputer.

Lee confère à la Chose une intensité dramatique inédite, faisant ressentir au lecteur la terrible difformité de Ben et, accessoirement, la culpabilité de Reed, responsable de la métamorphose du groupe. Les premiers épisodes mettent rapidement en place les personnages secondaires (les Skrulls dans le # 2, le retour de Namor dans le # 4, Dr. Doom dans le #5…).

Les FF n’auront leurs uniformes qu’à partir du numéro 3 (certainement pour ne pas affoler DC et leur distributeur par cette concurrence nouvelle dans le domaine du super-héros) et les cross-overs chers à Lee commenceront à partir du # 12 (Hulk), avec respectivement Antman (# 16), Nick Fury (#21), Avengers (#26), X-Men (#28), Daredevil (#39)…


Le premier cross-over paru dans Fantastic Four… bientôt suivi d’autres.

Dès le début, Stan Lee développa un culte de la personnalité autour des créateurs, en les nommant (en les surnommant même !) sur les splash pages, comme dans des génériques de films.

Lee mit également en place un courrier des lecteurs, répondant directement aux missives des fans et instaurant un dialogue inédit jusqu’alors.


Une lettre du jeune fan Roy Thomas est publiée dans le courrier des lecteurs du n°5

Concernant les deux premiers épisodes des FF, une question a divisé la communauté des fans pendant des décennies : Qui a encré ces numéros ?

Mark Evanier semble avoir percé le mystère… Il explique dans les pages du Jack Kirby Collector # 48 qu’il s’agirait de George Klein, un artiste méconnu d’Atlas. Ayers encra ensuite avec talent la plupart des 20 premiers épisodes, cédant sa place à George Roussos (21-27), au trait assez lourd, puis à Chic Stone (28-38), au style très ?ligne claire?. Le calamiteux Vince Colletta (bien connu pour effacer les détails des dessins et ainsi simplifier son travail, Time is Money !) sévit du # 40-43. Joe Sinnott embellissait enfin la série du # 44 à la fin (après un bref passage sur le # 5), son immense talent lui valant le titre d’encreur définitif des FF.


Si les planches originales du premier numéro ont bel et bien disparu, il reste quelques photostats…


Les encrages de Stone, Colletta et Sinnott (pour Ayers, voir la 1ère partie de cet article).

D’un point de vue éditorial, Lee maîtrisa la situation sur les quarante premiers épisodes des FF, co-produisant des histoires variées et courtes (sur un seul numéro). Le succès de Fantastic Four et Spider-Man fut tel qu’il conduisit rapidement Lee, Kirby, Ditko et quelques autres (parmi lesquels Bill Everett et Don Heck) à produire d’autres séries. Ainsi naquirent  » Hulk « , ? Iron Man ?, ?Ant Man ?, ? Thor ?,  » X-Men « , « Sgt. Fury « ,  » Daredevil « , ? Doctor Strange ?, ? The Torch ?, ? S.H.I.E.L.D. ?, ? Sub-Mariner ?, ? The Watcher ? et bien d’autres… Les magazines manquant pour publier toutes ces séries, les personnages étaient rassemblés deux par deux dans les titres Strange Tales, Tales of Suspense, Tales to Astonish ou Journey into Mystery

Avec la profusion des nouvelles séries et la charge accrue de travail en résultant, Lee devait petit à petit abandonner la direction des  » Fantastic Four  » à Jack (et celle de  » Spider-Man  » à Ditko), se contentant de remplir les bulles avec des dialogues très tendance, décalés et parfois humoristiques.
Avec l’essor des ventes, Goodman devait vite dénoncer son contrat de distribution avec Independent News et Marvel trouvait en 1968 son propre diffuseur, s’affranchissant du nombre limité de magazines (8 mensuels ou 16 bimensuels) imposé par son concurrent DC. Chaque personnage obtenait enfin son titre. La révolution Marvel pouvait commencer…

À partir des numéros 40 donc, Jack prit le contrôle scénaristique de la série et les histoires se rallongèrent sur plusieurs numéros. Le dessinateur était complètement immergé dans sa création, accouchant de mondes cosmiques extraordinaires qui constitueront la pierre d’angle de l’univers Marvel. Les numéros 44 à 93 restent à ce jour des sommets du comic book, véritables chefs-d’Å“uvres pop-art. C’est la quintessence de Kirby, aidée en cela par la direction éditoriale – aussi légère soit-elle – et les textes ?second degré? de Lee. Aucune Å“uvre du King (pas même les  » New Gods  » !) n’arrivera à ce niveau, car toutes manqueront du regard extérieur et décalé de Lee (Kirby sera son propre éditeur chez DC sur ses séries des 70s).

Jugez du peu : ces épisodes magiques ont donné naissance aux Inhumains, au Silver Surfer et Galactus (pour le tryptique des FF # 48-50, Lee avait donné comme seule indication à Jack : ? Fais les affronter Dieu ?!), à Black Panther (le premier héros noir), à la zone négative, à Him-Warlock, au monde des Skrulls…


La couverture rejetée et celle finalement publiée du premier «  Black Panther « …

Des nouvelles mythologies parfaitement en phase avec la conscience politique de l’époque… La jeunesse des années 60 voyait en effet dans les rapports entre Galactus et le Surfer un conflit père-fils. Elle reconnaissait une communauté hippie dans les Inhumains et pressentait des trips sous acide dans les voyages cosmiques des FF (servis, il est vrai, par les collages photographiques psychédéliques de Jack)…

À partir du numéro 66 (l’épisode de ? Him ?), Kirby se rendit compte que Lee et lui n’étaient plus sur la même longueur d’onde. Le système Marvel exploitait Jack(1) et lui pillait ses idées. Jamais il n’obtiendrait le titre d’auteur à part entière auquel il aspirait tant (à part sur le numéro 148 de Strange Tales que Stan, en vacances, n’avait pas signé), les intéressements aux ventes promis par Goodman depuis des années ou même une rétribution pour son travail non officiel de directeur artistique.

À partir du n°94, Jack ne s’investit plus et les histoires redevinrent courtes et beaucoup moins imaginatives. Les mêmes méchants (les Frightful Four, le Penseur Fou…) furent réutilisés jusqu’à la fin de la période Kirby, le King préférant garder ses nouvelles idées pour lui… Et pour un éditeur qui en ferait plus cas.

Chapitre 5 : Après les FF…

Les soucis d’asthme de sa femme Roz et de sa fille Lisa, obligèrent Jack et les siens à quitter l’air pollué de New York pour le soleil de Californie.


Un dessin de Kirby pour un catalogue de convention, encré et coloré par Reed Man.

En 1969, en échange d’un prêt dérisoire pour leur déménagement, Goodman n’hésita pas à faire signer à Jack un avenant à son contrat stipulant qu’il était employé par la société, récupérant « de facto » les copyrights de toutes les créations du King, et ce juste au moment où Joe Simon attaquait Marvel en justice pour les droits de Captain America… Jack continua d’envoyer ses planches à Marvel de façon hebdomadaire par Fedex. Mais son contrat avec Marvel arrivait à échéance. Goodman étant trop occupé à essayer de vendre sa maison d’édition alors au sommet de sa valeur pour prendre sa retraite, plus question pour Jack d’obtenir ses intéressements…

De plus, ses originaux (n’appartenant pas à Marvel, mais à l’artiste) commençaient à disparaître des bureaux, pour réapparaître sur les étals des marchands dans les conventions… Quand Carmine Infantino, alors directeur de publications chez DC, fit un pont d’or à Jack pour rejoindre la concurrence, ce dernier sauta sur l’occasion. Il pouvait enfin devenir un auteur à part entière, écrivant, dessinant et éditant lui-même ses histoires (avec une poignée de collaborateurs, dont Mark Evanier, Jim Sherman et le talentueux Mike Royer à l’encrage).


L’un des premiers «  Fantastic Four  » post-Kirby, dessiné par John Romita.

Il quitta donc Marvel en 1970 et ce départ fit l’effet d’une bombe à la ?House of Ideas?. Devait-on arrêter les  » Fantastic Four  » ? Lee n’y pensa pas une seule seconde ! Il confia le titre à un John Romita peu enthousiaste. Romita travaillait déjà sur  » Spider-Man « , remplaçant Ditko parti pour les mêmes raisons que Jack en 1965…

Romita s’acquitta honorablement de la tâche, copiant les compositions et les positions des personnages du King pendant cinq numéros, avant de laisser la place au grand John Buscema (à partir du # 107). Lee devait par la suite très vite laisser son poste de scénariste à Archie Goodwin, qui reprit véritablement les rennes du titre (à partir du # 116). Lee prouva ainsi à tous que les FF et Marvel en général pouvaient survivre au départ du King…

Martin Goodman souhaitait donc se retirer de ses activités. En 1968, grâce à des manÅ“uvres souterraines de Stan Lee, la compagnie Cadence avait racheté Magazine Management (dont Marvel était une branche). Cadence rebaptisa le groupe en ?Marvel Comics Group? et confia sa Présidence à… Stan Lee, en 1972 ! Goodman était furieux, car il avait négocié avec ses racheteurs : son fils Charles, dit ?Chips? devait lui succéder à la direction.

Le falot Charles Goodman, évincé de la présidence de Marvel par Stan Lee…

De rage, Martin réinvestit son capital et monta en 1974 la maison d’édition Seaboard – Atlas, la confiant à ?Chips? et à… Larry Lieber, le jeune frère de Stan ! Le but avoué était de couler Marvel. Sans succès… Car, malgré les hauts tarifs à la planche qui leur étaient proposés, les dessinateurs étaient sur leurs gardes : trop de revues sortaient en même temps…

Et Seaboard – Atlas fut coulée dans les deux ans qui suivirent. Jack devait rire jaune en observant ce combat des chefs, entre Martin et son neveu Stan… En tant que nouveau boss de Marvel, Lee répartit habilement les tâches. Ses nouveaux directeurs de collections étaient d’anciens scénaristes et la direction artistique fut donnée à John Romita. Lee confia la direction éditoriale à Roy Thomas et se tourna vers d’autres horizons…


John Romita & Roy Thomas, les nouveaux patrons de Marvel…

Marvel poursuivait son ascension, grâce notamment à Conan The Barbarian, Tomb of Dracula, Master of Kung-Fu, Howard The Duck et à la ligne des magazines noir et blanc (Savage Sword of Conan, Vampire Tales, Horror of Dracula…).

La direction éditoriale de Marvel passa ensuite entre les mains de Len Wein, Gerry Conway, Archie Goodwin, Jim Shooter, Tom De Falco… En 1974, Lee céda sa place de Président à Jim Galton, préférant l’aspect créatif aux tableaux financiers. Il rédigea alors  » Origins of Marvel Comics  » (Fireside, Simon & Shuster, 1974), le premier de trois ouvrages ? Best Of ?, s’attribuant l’entière paternité des histoires Marvel. Viendront ensuite  » Son of Origins « ,  » Bring on the Bad Guys  » (1975) et  » The Superhero Woman  » (1976).

Suite et fin la semaine prochaine !
Lien vers la première partie : http://bdzoom.com/spip.php?article5279.

Jean DEPELLEY

(1) Concernant les problèmes relationnels entre Stan et Jack, on conseillera la lecture du livre  » Tales to Astonish  » de Ronin Ro (Bloomsbury, 2004) et l’excellente série d’articles de Mike Garland, intitulée ? A Failure to Communicate ?, parue dans The Jack Kirby Collector.

mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet

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4 réponses à « Les Fantastic Four » (2ème partie)

  1. jmf dit :

    Juste une petite précision concernant le courrier des lecteurs. Julius Schwartz fut véritablement le premier à créer un courrier des fans qui eut énormément de répercussion puisqu’il conduisit à la création du fandom des comics avec notamment Alter Ego.

    • Jean Depelley dit :

      Oui, Jean-Michel a raison… La politique éditoriale de Schwartz fut réellement déterminante pour le fandom. En publiant les adresses complètes des fans dans le courrier des lecteurs, il leur permettait de se fédérer à travers tous les États-Unis, ce qui conduisit à l’éclosion des fanzines comme Alter Ego. Je voulais dire que grâce au courrier des lecteurs, Stan Lee sut donner un ton particulier à ses revues, très différent de celui de DC. Il y avait un réel dialogue, une écoute des fans et de leurs critiques qu’il n’y avait pas ailleurs. Sauf peut-être chez EC Comics dans les années 50…

  2. Zaitchick dit :

    Au fait, c’est qui le plus fort , La Chose ou Hulk ?

  3. Quileur dit :

    Toujours aussi intéressant : le passage sur la liberté de création de Jack Kirby sur les FF sur les numéros 44 à 93, le passage sur la manière dont il s’est fait avoir -et de manière durable- sur ses droits, en 69, pour pouvoir emmener sa famille dans un climat plus sain que celui de New-York. Enorme.

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