« Journal d’Oaxaca » par Peter Kuper

Oaxaca est une ville du sud-ouest du Mexique, dans l’état du même nom. En mai-juin 2006, la ville pittoresque et touristique, devient fébrile au fil de manifestations d’enseignants qui luttent pour la revalorisation de leurs salaires. Le gouverneur ne fait pas dans la dentelle pour mater la rébellion qui se solde par plusieurs morts. C’est là, en pleine grève et dans une ville en état de siège, que Peter Kuper vient s’établir, avec femme et enfant, pour trouver tranquillité et dépaysement, loin de George W. Bush et de son administration…

Journal d’Oaxaca réunit les textes écrits par Kuper pendant son séjour, les photos prises dans les rues de la ville et les nombreux dessins qu’il a exécutés sur le vif pendant les événements. Ce livre-reportage n’est pas de la bande dessinée; seuls quelques passages en relèvent vraiment. Pourtant, écrit-il, « Mes dessins, dont j’avais commencé par remplir mon carnet a priori au hasard, ont fini par former une narration visuelle cohérente ». L’expression « narration visuelle » peut-elle s’appliquer à ce patchwork de personnages et de saynètes en noir et blanc ou au crayon de couleurs ? Pourquoi pas ! De fait, tout ces éléments qui la composent, se juxtaposent, se succèdent, s’enchainent, s’entremêlent jusqu’à nourrir peu à peu des pages aussi composites que surréalistes décrivant des choses vues, des anecdotes comme des scènes fortes, des détails comme des faits graves. Kuper évoque aussi bien les chiens errants et les papillons (les Monarques et leur mystérieuse migration) que l’acharnement d’un gouverneur lamentable (qui perdra d’ailleurs les élections suivantes).

Peu à peu un puzzle patrimonial et politique, où ne manquent ni les vestiges zapotèques, ni la fête du radis, témoigne de la richesse de cette ville et de la lutte de son peuple pour la justice et la démocratie. « Fête du radis » ? Oui, on célèbre à Oaxaca le radis lors de la Noche de Rábanos, le soir du 23 décembre, par une exposition de crèches réalisées avec des produits de l’agriculture uniquement (radis, des fleurs, des feuilles de maïs…).

Peter Kuper, né en 1958, est un auteur américain atypique. Il décide par exemple dans « Arrête d’oublier de te souvenir » (éditions çà et là, 2009) de raconter sa vie quotidienne de 1972 à 2005, avec multiples retours en arrière à sa jeunesse et l’actualité, celle du 11 septembre 2001 ou l’élection de Bush, par exemple. Il avait précédemment réalisé des œuvres critiques et inventives comme les deux tomes de « Points de vues » (éditions çà et là, 2005 et 2006), des histoires en quelques cases. Au recto de chaque page, 4 dessins sans paroles offrent d’une situation 4 visions différentes ; au verso, l’auteur nous donne la réponse, c’est-à-dire la découverte de qui a vu ces scènes. Toutes brossent à leur façon un portrait humoristique et souvent critique des citoyens new-yorkais et de la société de consommation.

Sur ce thème, les éditions de L’an 2 avaient publié dès 2004 « Le Système » : dans une grande ville contemporaine qui ressemble à New York, différents personnages, du clochard à l’homme d’affaires et du policier corrompu au couple d’amoureux, se croisent en s’ignorant généralement. L’ensemble constitue une fresque sur la circulation de l’argent dans nos sociétés qui se déroule limpidement sans dialogue, sans texte hormis ceux écrits sur les journaux ou les écrans apparaissant au sein des cases.
Signalons enfin « La Métamorphose et autres récits » (éditions Rackham, 2004) où Kuper adaptait brillamment l’œuvre de Kafka.

Alors, bons voyages…

Didier QUELLA-GUYOT (L@BD et blog)

 » Journal d’Oaxaca  » par Peter Kuper
Éditions Rackham (24 €)

Ces faits sont à redécouvrir sur ce très bon diaporama du Monde « ici ».

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