Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Somptueuse et voluptueuse adaptation graphique d’un roman de Richard Malka !
Yannick Corboz (1), déjà remarqué pour ses « Célestin Gobe-la-Lune » et « L’Assassin qu’elle mérite » avec Wilfrid Lupano, sa version BD des polars à succès de Pierre Lemaître (« Brigade Verhoeven ») avec Pascal Berho ou son diptyque « Les Rivières du passé » avec Stephen Desberg, s’est attaqué à la mise en cases du roman sombre, fantasque, historique et romantique du célèbre avocat Richard Malka : « Le Voleur d’amour », sorte de retranscription du mythe de Dracula et de la jeunesse éternelle, publié chez Grasset en 2021. Le résultat, qui privilégie le narratif sur le plan des textes, est graphiquement lumineux et éblouissant…
La figure du vampire est donc ici réinterprétée avec le personnage torturé du mystérieux Adrian von Gott : un enfant mal-aimé de la bourgeoisie vénitienne des années 1780, épuisé par les siècles qu’il a vécus, qui ne se nourrit plus du sang des vivants, mais vole à  ses victimes les hormones de l’amour et de la jouissance, dont il tire force, invincibilité et immortalité.
Lors de la parution du roman, Richard Malka a expliqué que cette idée lui est venue en partant du fait, qu’aujourd’hui, la valeur centrale était l’amour : « un bien que tout le monde recherche, et qui a remplacé le devoir. » Ainsi, son héros ne s’abreuve plus de sang, mais d’amour, sous l’effet d’une métabolisation qui puise son origine dans un blasphème un peu particulier.
Cela dit, « Le Voleur d’amour » est aussi un voyage dans le temps et l’espace, qui nous entraîne dans une folle cavalcade sur tous les continents, de Paris à Constantinople, et à travers les siècles. En effet, Adrian traverse tous les conflits, en tant que témoin ou acteur : de la Révolution française à la boucherie de la Grande Guerre…
Il verra le monde changer, rencontrera de nombreux artistes (peintres, poètes, musiciens ou écrivains) et, amoral en diable, ne s’interdira rien : inceste, luxure, cupidité, blasphème… Pourtant, s’il a possédé plusieurs femmes, collectionnant les conquêtes, une seule a réussi à lui faire changer sa perception de la vie…
Or, de nos jours, sa route croise celle d’Anna à New York, et tout bascule. Il retrouve dans cette jeune danseuse la même saveur que détenait l’unique femme qu’il n’ait jamais aimée. Pour la première fois de sa vie, il refuse l’inéluctable et jette un regard amer sur son existence passée. Anna pourra-t-elle mettre fin à son insatiable quête d’amour ?
Richard Malka, spécialisé dans la défense de la liberté d’expression et de la laïcité, est notamment connu pour être l’avocat de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, mais il a aussi été scénariste de bandes dessinées (2) et aurait très bien pu réaliser lui-même l’adaptation de ce livre qui lui tient à cœur : car il en a entrepris l’écriture en 2015, après l’attentat qui a coûté la vie à ses amis de Charlie Hebdo, et il y a mis comme une sublimation de tous les sentiments de haine, de colère, de tristesse et de désir de vengeance qu’il ressentait alors.
Il a pourtant laissé ce soin au talentueux dessinateur qui reprend tel quel le style élégant de l’érudit avocat-écrivain — il y a très peu dialogues — et l’enlumine de son virtuose trait raffiné, tout au long des quasiment 200 pages de ce gigantesque ouvrage de fort belle facture !
Gilles RATIERÂ
(1)           Voir sur BDzoom.com : « Les Rivières du passé » : entre deux mondes…, « Brigade Verhoeven » : un polar signé Pierre Lemaître…, « Célestin Gobe-la-Lune » par Yannick Corboz et Wilfrid Lupano, « L’Assassin qu’elle mérite » T2 (« La Fin de l’innocence ») par Yannick Corboz et Wilfrid Lupano…
(2)           Voir sur BDzoom.com : « Les Z » T1 (« Sétif-Paris »), L’Ordre de Cicéron T.3 : Le Survivant, La Face karchée de Sarkozy par Riss, Richard Malka et Philippe Cohen, La Face karchée de Sarkozy, L’Ordre de Cicéron T.2 : Mis en examen, Section financière T.1 : Corruption, Richard Malka : l’interrogatoire !…
« Le Voleur d’amour » par Yannick Corboz, d’après Richard Malka
Éditions Glénat (36 €) — EAN : 9 782 34 405 235 8
Parution 6 novembre 2024
36 € le volume ? Diable !
On espère la faute de frappe de M. Ratier…
Eh non ! Pas de faute de frappe, c’est bien le prix !
Il faut dire que l’ouvrage fait environ 200 pages de grand format très bien imprimées avec une belle reliure et tranchefile…
Bien cordialement
Gilles Ratier
En effet, tout s’explique.
Merci pour ces précisions.
Oui, en effet, un livre luxueux, à la finition impeccable (couverture, tranche et dos de conception spéciale, avec caractères dorés, tranchefile et signet tissu). Au vu du nombre de pages et du format, avec cette finition, le prix se justifie. Il n’est d’ailleurs pas exagéré rapporté au nombre de pages.
C’est par ce genre de produit que l’édition BD classique perdurera et laissera une trace, à côté des albums courants eux aussi utiles.
Depuis que la BD a réussi sa légitimation, les livres qui se transforment en ouvrages pour bibliophiles et affichent une présentation luxueuse hors de propos se multiplient. Voilà plusieurs années maintenant que les éditeurs ciblent les CSP+ qui ont les moyens de s’offrir des albums à 40€, voire beaucoup plus.
Un exemple parmi tant d’autres : le tout récent « Sweet dreams » de Charles Burns sorti chez Cornélius. 104 pages, un dessin en noir et blanc imprimé une page sur deux, soit en réalité une cinquantaine de pages : 35,50 €. Ceux qui n’ont aucune envie de mettre un tel prix ou n’en ont pas la possibilité devront s’en passer quand bien même ils aiment le travail de Burns. On peut toujours justifier par la qualité du papier, l’épaisseur du carton, les dorures, tout ce que l’on veut mais le résultat est que la BD, comme tout le reste devient une illustration des inégalités, un marché à deux vitesses.