« Quand souffle le vent » : l’Apocalypse selon Raymond Briggs…

Raymond Briggs (1934–2022) est — à l’instar de Ronald Searle, Posy Simmonds et Quentin Blake — un auteur important du monde des dessinateurs britanniques. S’il est un peu tombé dans l’oubli de ce côté-ci de la Manche, le voici remis à l’honneur grâce aux éditions Tanibis qui rééditent son album peut-être le plus important : « Quand souffle le vent ».

Raymond Briggs accéda à la notoriété par le biais de la littérature jeunesse, avec des histoires ayant pour cadre les fêtes de Noël : « Sacré Père Noël », « Les Vacances du sacré Père Noël » et « Le Bonhomme de neige », éditées en France par Grasset jeunesse. Très vite adaptées en dessins animés, ces aventures sont devenues des classiques de la programmation télévisuelle britannique de fin d’année.

Au mitan de la quarantaine, Raymond Briggs tente un pas de côté avec « Les Aventures de Gentleman Jim » : gardant son graphisme bonhomme, il tente une histoire plus adulte. Sorti en 1980, cet album présente un homme simple, James Bloggs, et sa femme Hilda. Ce petit homme est responsable de la propreté de toilettes publiques, mais cette fonction lui pèse, il rêve d’un changement de carrière. Malheureusement, n’ayant pas fait d’études, il lui est impossible de trouver un nouvel emploi.

Son seul bagage étant la littérature populaire, Jim Bloggs se voit bien espion, pilote ou cow-boy. Finalement, il se décide pour une carrière de bandit de grand chemin afin de voler les riches pour aider les pauvres. Plein de bonne volonté, secondé par sa femme, Jim se lance à l’aventure, mais cela ne sera pas si facile.

Le changement de ton pris avec « Gentleman Jim » s’accentue en 1982 avec le magistral « Quand souffle le vent ». M. et Mme Bloggs sont maintenant à la retraite. Ils vivent tranquillement dans un petit cottage au milieu de la campagne anglaise du Sussex. Très vite, nous comprenons que nous sommes face à une bande dessinée de politique fiction : dès la seconde page, le monde s’apprête à entrer en guerre. Les tensions entre l’URSS et les forces de l’OTAN sont à leur paroxysme, les autorités britanniques annoncent que, sous trois jours, les hostilités débuteront. Heureusement, James a eu l’intuition de rapporter des brochures éditées par le conseil du comté donnant des consignes pour construire un abri, organiser le rationnement, se protéger des radiations, etc.

James se lance dans les préparatifs, sous l’œil de sa femme qui trouve que tout cela cause bien du souci dans leur quotidien routinier. Ayant connu la Seconde Guerre mondiale et les bombardements allemands, le couple ne s’inquiète pas trop. À l’époque, la résistance populaire soutenue par l’assurance des discours de Winston Churchill et les victoires militaires de Montgomery avait permis au peuple britannique de tenir et de vaincre les forces fascistes, alors pourquoi cela ne fonctionnerait-il pas de nouveau ? La confiance du couple envers les responsables politiques et stratèges militaires est sans faille.

Subitement, un flash radio : l’attaque est imminente, les missiles ennemis toucheront le sol britannique dans trois minutes. La catastrophe est là. Survivant au bombardement, James et Hilda passent la nuit suivant l’attaque et leur première journée dans l’abri que Jim avait eu le temps de construire. Dès le deuxième jour, face aux dégâts occasionnés par le souffle, ils décident de nettoyer leur cottage et d’organiser leur survie en attendant les consignes officielles. Ces dernières tardent à arriver et la santé de Jim et Hilda se détériore…

« Quand souffle le vent » fut à l’époque un cri d’alerte de Raymond Briggs face à la course aux armements menée par les belligérants de la guerre froide. Au début des années 1980, le Royaume-Uni, membre de l’OTAN, avait autorisé l’installation de missiles nucléaires sur son territoire, créant une vague de protestations pacifistes. « Quand souffle le vent » devint rapidement un phénomène de société, à tel point que chaque membre du Parlement en reçut un exemplaire. L’engagement antinucléaire de Briggs l’incita à proposer à la BBC d’adapter son histoire pour la radio et il aida à sa transposition au théâtre. Afin de mieux diffuser son message, Briggs participa à l’écriture du film d’animation réalisé par Jimmy T. Murakami. Sorti en 1986, le film remporta l’année suivante le grand prix du long métrage au Festival international du film d’animation d’Annecy.

« Quand souffle le vent » révèle un autre aspect du travail de Raymond Briggs : son acuité à peindre avec justesse — et une vraie tendresse — la vie des petites gens. Les souvenirs de James et Hilda sont ceux de la classe ouvrière. Il se sert — pour les décors et l’ambiance mémorielle — de la vie de ses parents, et leur rendra hommage quelques années plus tard (en 1998) avec le magnifique et touchant « Ethel & Ernest ».

Plus d’une quarantaine d’années après sa publication initiale, « Quand souffle le vent » n’a rien perdu de sa puissance narrative. Le graphisme et les inventions visuelles de Briggs nous mettent au plus près de la vie de James et Hilda. L’intelligence de son travail a enfanté un chef-d’œuvre intemporel, en résonance avec notre époque.

Raymond Briggs (à droite) découvrant la version néerlandaise de « Quand souffle le vent »

Brigh BARBER

« Quand souffle le vent » par Raymond Briggs

Éditions Tanibis (17,00 €) — ISBN : 978-2-8484-1082-1

Parution 18 octobre 2024

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2 réponses à « Quand souffle le vent » : l’Apocalypse selon Raymond Briggs…

  1. Je me souviens d’avoir lu cette œuvre pour la première fois avec une certaine légèreté, attiré par le style graphique doux et presque enfantin de Briggs, mais rapidement, le récit a pris un tournant beaucoup plus sombre. Ce contraste entre l’innocence des personnages principaux et la dureté de la réalité apocalyptique est à la fois déchirant et terriblement poignant.
    L’histoire de Jim et Hilda m’a rappelé à quel point les conséquences d’une guerre nucléaire peuvent être incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas directement impliqués dans les décisions. Leur naïveté face à l’ampleur de la catastrophe est un rappel troublant des dangers de l’ignorance en temps de crise. C’est un livre qui, sans être explicitement politique, offre une réflexion profonde sur la vulnérabilité humaine.
    Briggs a su capturer la fragilité de la vie ordinaire face à des forces destructrices hors de notre contrôle, et c’est sans doute ce qui rend cette œuvre si inoubliable.

  2. Brigh BARBER dit :

    Merci pour votre élégant commentaire.

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