Le Conan français célèbre ses 50 ans… ou presque !

Au début des années soixante-dix, les éditions Lug de Lyon publiaient avec succès les aventures en BD de Conan le barbare : le comics réalisé par Roy Thomas et John Buscema, d’après les récits de Robert E. Howard, édité aux États-Unis dans le magazine Savage Sword of Conan. Le succès de celles-ci donna l’idée au directeur de Lug, Marcel Navarro, de lancer un succédané français. Ainsi, le 5 décembre 1975, le premier numéro de Kabur, tout en couleur, fit son apparition dans les kiosques.

Page 1 du premier épisode de « Kabur » par Luciano Bernasconi et Claude-Jacques Legrand.

Couverture du n° 1 de Futura, par Jean-Yves Mitton.

Navarro (1) avait confié la création de ce personnage au traducteur de « Conan » : l’écrivain Claude-Jacques Legrand (7 avril 1928-1er mai 2009).

Ancien photographe de mode et directeur artistique pour des maisons de disques, Legrand avait déjà créé et scénarisé plusieurs séries à succès pour Lug dans le magazine Futura en 1972 : « Jaleb le télépathe » et « Larry Cannon » (dessinées par Annibale Casabianca), « La Brigade temporelle » (dessinée par Edmond Ripoll) et « Jeff Sullivan » (dessinée par Luciano Bernasconi).

Il était aussi l’auteur de bon nombre de courtes nouvelles de science-fiction, dans un style qui n’était pas sans évoquer celui de Robert Sheckley, publiées entre deux bandes dessinées dans les magazines de l’époque, et même dans les célébrissimes revues Lunatique et Fiction.

Depuis, ces nouvelles ont été rassemblées chez Rivière blanche, dans deux recueils : « Le Dernier Homme de chair » (2010) et « Projet Point-final » (2011).

Il fut aussi l’auteur de trois romans : le polar « La Virée » et l’anticipation « Projet Nouvelle-Vénus » — publiés tous deux en 1988 au Fleuve noir —, et « Les Créateurs de futurs », œuvre ambitieuse sur le thème des terres parallèles saluée par la critique, publiée par Rivière blanche en 2005.

Le scénariste Claude-Jacques Legrand.

Couverture du n° 1 de Kabur par Jean Frisano.

En créant Kabur, Legrand ne s’éloignait pas trop de son modèle : en effet, la terre de Kabur rappelle fortement celle de Conan.

Elle se situe dans un très lointain passé protohistorique et inclut des continents mythiques : tels Thulé, Hyperborée, Gondwana et Gondaxa.Tout au plus peut-on y détecter une notre discrète de science-fiction, absente chez Robert E. Howard.

Comme c’est le cas pour « Conan », la structure des histoires est picaresque : les personnages errant d’une cité à l’autre, affrontant monstres et sorciers en chemin.

La plus grande différence réside dans la personnalité de leurs héros respectifs. Si Conan est un barbare, Kabur, lui, est le fils banni du roi de Thulé ; et s’il ne manque pas de courage, sa jeunesse et sa relative inexpérience font de lui un homme plus réfléchi, moins violent, moins brutal, que la création de Howard.

En fait, sous bien des rapports, Kabur ressemble beaucoup plus au Prince Vaillant (Prince Valiant) de Hal Foster : surtout à ses débuts.

Page 2 du deuxième épisode de « Kabur » par Luciano Bernasconi et Claude-Jacques Legrand.

Kabur par Luciano Bernasconi.

Comme c’était souvent le cas pour de nouvelles séries, le dessin fut confié au grand Luciano Bernasconi, avec qui Legrand avait déjà collaboré sur « Jeff Sullivan » et « Le Gladiateur de bronze » : une série de super-héros qui complétait le sommaire du magazine Kabur.

Les prémices de départ imaginées par Legrand étaient simples, inspirées sans doute par les feuilletons télé américains.

Injustement accusé de forfaits qu’il n’a pas commis, Kabur est exilé de la cour de Thulé.

Accompagné de Lagrid, une jeune et belle servante, le jeune prince part en quête de l’auteur desdits crimes — un double maléfique créé par un vil sorcier —, afin de prouver son innocence.

Le classicisme des dessins de Bernasconi et le charme des scénarii de Legrand — plus proche ici des planetary fantasies de Jack Vance ou de Catherine Moore — n’avaient pas le punch retentissant du « Conan » de Roy Thomas, John Buscema et Alfredo Alcala.

Page 3 du premier épisode de « Kabur » par Luciano Bernasconi et Claude-Jacques Legrand.

Force est de convenir que Kabur avait un look déjà un peu démodé lors de sa sortie. De plus, le magazine était en couleurs, et les coûts afférents firent que Lug arrêta l’expérience après seulement cinq numéros, sans avoir eu, hélas, l’impact qu’elle méritait. Disparu, mais pourtant pas oublié !

Page 5 du premier épisode de « Kabur » par Luciano Bernasconi et Claude-Jacques Legrand.

Couverture du n° 163 de Spécial Zembla par Philippe Xavier.

Quand Thierry Mornet arriva chez SEMIC, le successeur de Lug, il découvrit en fouillant dans les archives, une sixième aventure de Kabur par Legrand & Bernasconi qui était demeurée inédite à l’époque, et qu’il s’empressa de publier dans Spécial Zembla n° 157 (en 2000).

Puis, il demanda au scénariste Jean-Marc Lofficier, récemment engagé pour relancer divers anciens personnages de Lug, de poursuivre — et conclure — la saga entamée 25 ans plus tôt !

Quatre nouveaux épisodes, scénarisés par Lofficier, dialogués par Mornet, et dessinés par Bernasconi (ravi de reprendre en main l’une de ses créations favorites), furent donc publiés dans Spécial Zembla, du n° 158 au n° 161, en 2001.

Lofficier poursuivit ensuite la série jusqu’à la disparition de Spécial Zembla en 2003, au n° 175, avec la collaboration occasionnelle de Mornet ou de Jean-Marc Lainé aux dialogues, et Mike Ratera, Willy Hudic ou Manuel Martin Peniche au dessin.

Non seulement le héros rentrait à Thulé couvert d’honneurs, mais les trois derniers épisodes le relançaient sur une autre quête : retrouver la belle Lagrid kidnappée par un sorcier résidant à l’autre bout de la planète.

Planche 1 de la deuxième histoire du n° 24 de « Kabur » par Roberto Castro et Jean-Marc Lofficier.

La faillite et disparition de SEMIC mettait-elle un terme, pour la deuxième fois, aux aventures de Kabur ?

Non, car ce héros — qui, décidément, refuse de mourir — fit un retour enthousiaste en 2019 avec un 24e épisode aux éditions Hexagon Comics.

23 avaient été jusque-là publiés, et ce dernier poursuivait et concluait la quête de Lagrid, en reprenant l’histoire juste là où elle s’était interrompue 16 ans plus tôt, avec 11 nouveaux albums de 48 pages publiés jusqu’en 2023 (voir https://www.riviereblanche.com/kabur.html).

Outre Lofficier, on vit aux scénarii la participation du célèbre Roy Thomas (avec qui Lofficier avait souvent collaboré aux États-Unis), mais aussi de Romain d’Huissier et Julien Heylbroeck.

Au dessin, le regretté José Luis Ruiz Pérez illustra six numéros, les autres étant dessinés par Roberto Castro, Mario Guevara,  Juan Roncagliolo Berger, Manuel Martin Peniche et même Luciano Bernasconi, toujours vaillant.

Planche 1 du n° 28 de « Kabur » par José Luis Ruiz Pérez et Jean-Marc Lofficier, d'après une histoire de Julien Heylbroeck.

La conclusion laisse prévoir une suite qui raconterait le long voyage de retour de Kabur : « Kabur est un peu un phénomène », commente Jean-Marc Lofficier. « C’est peut-être le premier héros d’heroic fantasy français en BD (à part le Thorkael de Loro et Serge de Beketch ?), réalisé par deux grands professionnels au sommet de leur talent, mais le format de sa publication l’a fait tomber dans un oubli quasi total, ce qui est vraiment injuste. Sans l’intelligence et le talent éditorial de Thierry Mornet, il serait resté aux oubliettes pour toujours. Pour moi, reprendre et poursuivre ses aventures, c’était l’occasion de marcher sur les pas de mon mentor, collaborateur et ami Roy Thomas, et faire à ma façon, tenant compte des particularités du personnage, du “Conan” classique. »

Planche 5 du n° 21 de « Kabur » par Juan Roncagliolo Berger et Jean-Marc Lofficier.

L’an prochain — en décembre — la série « Kabur » célébrera ses 50 ans : une saga de près de 1 000 pages de BD, qui n’a pas à rougir comparée à ses homologues français ou américains. Gageons qu’elle aura encore de beaux jours devant elle !

 Gilles RATIER

Une planche du n° 22 de « Kabur » par Manuel Martin Peniche et Jean-Marc Lofficier.

(1) Sur Marcel Navarro, voir notre « Coin du patrimoine » : Marcel Navarro alias J.-K. Melwyn-Nash.

Couverture de Mario Guevara.

Galerie

3 réponses à Le Conan français célèbre ses 50 ans… ou presque !

  1. Aymeric dit :

    Une passionnante saga injustement méconnue qu’il est bon de remettre en avant pour son cinquantenaire ! Ne pas oublier aussi l’épilogue que constitue l’album King Kabur qui voit son retour parmi les vivants des siècles après sa disparition. Une magnifique aventure dans un climat de Dark Fantasy par Jean-Marc Lofficier et Mike Ratera.

  2. Thierry Marcaille dit :

    Que rajouter aux propos d’Aymeric mis à part un grand merci Gilles de mettre en lumière l’un de mes personnages cultes de l’univers Hexagon.

    Et tellement heureux d’avoir pu presque 20 ans plus tard en lire la conclusion…. Jusqu’à la prochaine saga.

  3. Frederic CRISTOFARO dit :

    bonjour ;

    intégrale en vue?

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