Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...« Astérix T40 : L’Iris blanc » : dites-le avec des fleurs…
40e aventure d’Astérix, tirée à cinq millions d’exemplaires le 26 octobre, « L’Iris blanc » innove : Fabcaro signe en effet son premier scénario dans le village gaulois, toujours dessiné de mains de maître par Didier Conrad (interviewé en fin d’article). Au menu : une critique amusée de la pensée positive, mode philosophique qui… ne fait pas que des heureux, à commencer par le couple Abraracourcix-Bonemine, à fleur de peau. En s’y risquant par le rire, les irréductibles Astérix et Obélix arriveront-ils à apaiser la situation de cet irrésistible meilleur des mondes ?
Hasard ou coïncidence, le 40e opus d’« Astérix » (initialement « Une aventure d’Astérix le Gaulois » jusqu’au tome 24, « Astérix chez les Belges », en 1979) ne pouvait pas être tout à fait comme les autres. C’est ainsi que les éditions Albert René annoncèrent en décembre 2022 que Fabcaro (Fabrice Caro), connu pour ses satires sociales hilarantes depuis le succès de « Zaï zaï zaï zaï » en 2015, devenait le quatrième scénariste de la série, après René Goscinny (24 albums entre 1961 et 1979), Albert Uderzo (10 albums entre 1980 et 2009) et Jean-Yves Ferri (5 albums entre 2013 et 2021). La continuité était assurée du côté graphique par Didier Conrad, dont le travail est salué depuis dix ans déjà sur les titres évoqués successivement dans nos chroniques dédiées : « Astérix chez les Pictes » (2013), « Le Papyrus de César » (2015), « Astérix et la Transitalique » (2017), « La Fille de Vercingétorix » (2019) et « Astérix et le griffon » (2021 ; 1,5 million d’exemplaires vendus).
Comme l’a expliqué – et traduit en dessin – Fabcaro, l’annonce de sa nomination scénaristique par Céleste Cérugue (directeur général des éditions Albert René) s’est effectuée dans un café, après une prise de rendez-vous par mail pour le moins énigmatique. La surprise et la joie furent heureusement de mises ; mais – avant de se jeter des fleurs (sic) – lui restait encore à imaginer le canevas du prochain album. Un titre devant a priori respecter l’alternance jadis initiée par Goscinny, entre décor gaulois local et aventure extérieure. « J’aime particulièrement les albums d’Astérix où un élément extérieur s’introduit dans le village et vient en perturber l’équilibre, et observer la réaction des villageois, avec leur mauvaise foi légendaire », explique Fabcaro, en songeant certainement à quelques classiques : « La Zizanie » (T15 en 1970), « Le Devin » (T19 en 1972), « Obélix et compagnie » (T23, 1976) ou encore « La Rose et le glaive » (T29, 1991). Dans « L’Iris blanc », le chef Abraracourcix se retrouve décontenancé par une nouvelle mode de pensée positive venue de Rome et qui commence à se propager dans les grandes villes, dont Lutèce. César a décidé que cette école de pensée, prônant bienveillance, régime végétarien et méditation, peut avoir un effet bénéfique sur les camps qui se trouvent autour d’un certain village gaulois. Mais les préceptes de ce courant d’épanouissement philosophique exercent aussi une curieuse influence sur les Gaulois qui croisent son chemin… avec plus ou moins de bonheur.
Campagne promotionnelle et effet teasing obligent, pendant six semaines, les lecteurs de Ouest-France et des réseaux sociaux abonnés à la page officielle asterix.com purent suivre une histoire exclusive (non incluse dans l’album classique) en six strips : entre remise en question, mots doux et partage de sanglier, Abraracourcix fait de son mieux pour tenter d’apaiser l’orage qui plane au-dessus de son couple avec Mimine. Dans cette belle machine médiatique, des réussites indéniables (la planche inédite dévoilée le 20 décembre 2022 ; le titre et une couverture provisoire en mars ; une édition collector de L’Équipe, illustrée le 26 juillet 2023 par Didier Conrad et Fabrice Tarrin, à un an des JO 2024), mais aussi un grain de sable aussi inattendu qu’inédit : par Toutatis, un mois et demi avant sa parution, voici que la couverture de l’album fuite le 7 septembre sur le site de vente en ligne Vinted ! Dans l’après-midi du 8 septembre, le groupe Hachette réagit en officialisant le visuel de cette 40e aventure, via ses réseaux et un communiqué de presse. Habituellement, la couverture n’était dévoilée qu’une dizaine de jours avant la parution de l’album… La conférence de presse organisée le 16 octobre, dans l’auditorium des éditions Hachette, en présence des auteurs, d’Anne Goscinny et de Sylvie Uderzo, se contente dès lors de dévoiler quelques informations inédites : l’antagoniste de nos héros, apparent grand sage visible en couverture (dans une composition épurée, inspirée de celles de « Le Devin »), a pour nom Tulius Vicévertus. Côté traductions, trois nouvelles langues se rajoutent à une liste déjà longue : avec le danois, le grec et le mexicain, ce nouvel « Astérix » est publié simultanément en vingt dialectes !
Concernant la méthode de travail, Fabcaro (qui réside près de Montpellier) explique être modestement en intérim de Jean-Yves Ferri, lequel pourrait ultérieurement reprendre le pilotage scénaristique d’un album : « Je ne me suis pas mis une grosse pression, car l’excitation a vite repris le dessus […] J’écris et je gribouille pour placer les bulles, mais je laisse à Didier [lequel habite Austin, au Texas] la mise en scène. Je donne les intentions, il finalise les expressions. » Achevé dès mars 2022, mais en perpétuelle évolution, le scénario de « L’Iris blanc » met en perspective, dès son titre, un objet physique symbolique, selon un modus operandi précédemment souligné avec « La Serpe d’or » (T2, 1962), « Le Bouclier arverne » (T11, 1968), « Astérix et le chaudron » (T13, 1969) et « Les Lauriers de César » (T18, 1972). L’iris est ici un apparent motif de bienveillance et d’épanouissement. Histoire et sciences botaniques nous apprennent que cette fleur est apparue il y a 80 millions d’années, au Crétacé, avant d’être parée de tous les symboles dans les cultures égyptienne (l’iris est associé à Horus, dieu du lever et du coucher du soleil) et grecque (la déesse Héra et l’arc-en-ciel, iris), puis chez les Francs (l’iris étant la réalité de la fleur de lys). Sagesse, fidélité, intelligence, courage, porteuse de bonnes nouvelles, l’iris ornait les temples antiques tout en éloignant les mauvais esprits. Nul doute, donc, qu’avec cette aventure, la mine renfrognée d’Abraracourcix, chef rustre et machiste, en perpétuelles difficultés face à la modernité et ayant du mal à exprimer ses sentiments amoureux, ne disparaisse au profit d’un discours plus posément fleuri.
En couverture, un nouveau protagoniste à la chevelure digne de Bernard-Henri Lévy, mais également inspiré par Dominique de Villepin (sous un autre nom, il aurait aussi pu avoir le physique de Vincent Lacoste !), chancre d’une philosophie transcendantale, semble diviser les opinions : selon Fabcaro, « Intellectuellement, il est une agrégation de personnalités qui travaillent sur le développement personnel (la thématique de l’album) ; mais physiquement, c’est un mélange de deux célébrités charismatiques qui peuvent avoir des fulgurances intellectuelles. » « Vicévertus, au-delà d’être un penseur, est un donneur de leçon, le genre de personne qui pourrait dire « Faites ce que je dis, pas ce que je fais » ; c’est un personnage qui a tendance à s’exprimer par des citations et des aphorismes parfois assez obscurs, qui donnent l’impression qu’il dit des choses profondes. »
Un jeu de positions et de regards intellectuels qui interroge en creux la filiation de la série : placé de manière bisannuelle sous le regard symbolique de Goscinny et d’Uderzo tout autant que de ses millions de lecteurs et spectateurs (côté cinéma, le très critiqué « Astérix et Obélix : L’Empire du milieu » de Guillaume Canet est pourtant devenu le plus gros succès francophone en salles de l’année avec 4,6 millions de spectateurs… devant « Les Trois Mousquetaires » (3,3 millions) et même « Indiana Jones et la cadran de la destinée » (2,9 millions)), Astérix est au centre de l’œil du cyclone éditorial et médiatique, à l’iris et ses périls…
Bonjour Didier Conrad. Ce 40e opus d’Astérix est en soi un événement, marqué par l’arrivée de Fabcaro au scénario : comment ce passage de relai s’est-il effectué, au sein du calendrier toujours restreint séparant deux albums ?
D. Conrad : « Jean-Yves Ferri avait prévenu bien en avance qu’il avait besoin de souffler pour se consacrer à son travail personnel. Il se consacre complètement à ce qu’il fait et « Astérix » lui prenait tout son temps. Céleste Surugue a préparé l’arrivée de Fabcaro de telle façon que cet album a été réalisé sans heurts, tout en douceur… »
Est-ce que ce changement de partenaire scénaristique à influer sur la genèse de l’album, par exemple sur les choix thématiques, sur le titre de l’album ou sur les personnages caricaturés ?
« Fabcaro et Jean-Yves sont des hommes très différents ; leurs approches du scénario et leurs méthodes de travail leur sont tout-à-fait personnelles. Ils amènent leurs thèmes, leurs écritures et leurs gags à chaque fois. Rien ne leur est imposé, même si leur travail est soigneusement suivi par toutes et par tous. Le titre, la couverture et les caricatures sont un peu plus du domaine de tous et l’éditeur est plus impliqué sur ces choix et décisions. »
Dans le chantier opérationnel et médiatique de « L’Iris blanc », un couac inattendu : début septembre, la couverture a « fuité » sur Vinted. Qu’avez-vous ressenti à cet instant ?
« J’ai été informé alors que la situation était déjà résolue. Que la couverture soit révélée un ou deux mois plus tôt n’a pas grande importance. »
Cet album, circonscrit au village gaulois, a-t-il été un peu plus simple à dessiner que le voyage précédent, qui implique la réalisation de nouveaux décors plus conséquents ?
« Oui, cet album a été plus simple pour les décors et les personnages. Je me suis concentré sur l’expressivité et l’acting des personnages… J’ai encore du chemin à parcourir pour approcher Albert Uderzo. »
D’autres projets, hors « Astérix » ?
« Non, c’est vraiment du plein temps ! »
Philippe TOMBLAINE
« Astérix T40 : L’Iris blanc » par Didier Conrad et Fabcaro
Éditions Hachette et Albert René (10,50 €) – EAN : 978-2014001334
Version luxe – Éditions Hachette et Albert René (42 € – 128 pages) – EAN : 978-2017253006
Artbook – Éditions Hachette et Albert René (200 € – 112 pages) – EAN : 978-2017253013
Parution 26 octobre 2023
Bonjour
Il y a une particularité concernant les versions « Luxe ». En effet, pour celles concernant les albums inédits, donc ceux de Conrad/Ferri et maintenant Fabcaro on ne trouve nulle part le tirage de la version. Pour les autres, reprises de Goscinny et Uderzo, le tirage apparaît ici et là à l’intérieur des albums. Une explication ? Merci !
J’ai bien aimé, cependant trop de textes pour pas assez d’action, de mouvements ! Le dessin est très réussi.
La première partie du scénario et des dialogues est exceptionnelle ! … pour finir l’album, on a l’impression que Fab a eu du mal .. Quant au dessin, il parait très réussi de prime abord … mais quand on regarde dans le détail, Conrad ne semble pas très à l’aise dans les compositions d’ensemble (son pinceau semble trembler à l’ombre tutélaire de son grand prédécesseur)…. sans compter le lettrage, qui n’est pas bon;