Tome 40 de « Jeremiah » : la fin ?

Abandonné en mauvaise posture dans l’album précédent, Jeremiah brille par son absence tout au long des 42 pages de ce quarantième épisode. À 85 ans, Hermann poursuit les aventures de son personnage fétiche : celui à travers lequel il règle ses comptes avec notre société moderne, qu’il juge sévèrement. Bien qu’il ne soit pas conseillé de découvrir la série avec cet ouvrage, il demeure indispensable à tous ceux qui suivent, depuis de longues années, le duo Jeremiah/Kurdy.

« Je vais le saigner, l’écraser ! » hurle cette brute d’Aloïs, tout en bastonnant le corps ensanglanté de Jeremiah. Cette vision de notre héros mal en point est la dernière à nous avoir été proposée par son créateur dans l’album précédent (« Rancune »). L’histoire s’est close en laissant le lecteur angoissé quant au sort réservé à son héros, traqué par les hommes de Madame.

Ce nouvel épisode est, hélas !, tout aussi avare en informations nouvelles le concernant. Traqué aussi bien par les flics que par la racaille, échoué dans un dépotoir à ferrailles, Kurdy Malloy — son inséparable compagnon d’aventures — le recherche en vain. Pisté par les hommes du prophète Sakhal, Kurdy croise la route de Sho : un gosse paumé, qui va l’accompagner tout au long sa quête. Kurdy — l’homme au casque ! — vide une bouteille provenant d’un laboratoire qui traînait abandonnée dans la fange et dont le contenu provoque de violentes hallucinations. Mal en point, Kurdy — qui se fait appeler Tom par son nouveau compagnon — demeure la tête brûlée que nous connaissons : toujours prêt à fanfaronner dans les pires situations. Leur route croise de nombreux personnages secondaires plus ignobles les uns que les autres,cherchant à survivre par tous les moyens dans un monde postapocalyptique sinistre, où règne le désespoir. « Ah, putain de putain, Jer’ ! C’est où que tu traînes ? » questionne Kurdy dans le superbe dessin ouvrant cette histoire. Pour savoir s’il finit par retrouver Jer’, ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler l’étonnante dernière page de ce récit (qui en compte seulement 42).

Nombreux seront ceux qui trouveront les pires défauts à cet épisode qui — il est vrai — repose plus sur ses ambiances, ses personnages sordides et ses cadrages audacieux que sur sa trame scénaristique, parfois difficile à suivre. Hermann ne ménage pas ses efforts, dessinant avec l’enthousiasme d’un jeune homme, assurant scénario, dessin et couleurs. Des couleurs à l’aquarelle, aux tons délavés, où dominent jaunes, gris et sépia. Hermann veut tout contrôler, souhaitant proposer à ses lecteurs une œuvre personnelle : de l’écriture du scénario à la mise en couleurs. Mais confier à un professionnel son lettrage — rendu quelque peu hésitant par l’âge — n’ôterait rien à ce respectable souhait, bien au contraire ! La dernière planche laissera plus d’un lecteur perplexe, s’interrogeant sur l’avenir des personnages. Pour ma part, je dis : « Encore ! » Hermann prend toujours le même plaisir à dessiner. Les lecteurs, qu’il a régalés pendant plus d’un demi-siècle, lui doivent de respecter sa vision.

Né le 17 juillet 1938, dans la province de Liège, Hermann Huppen commence en parfait autodidacte sa carrière auprès de Greg, lequel lui écrit les scénarios de ses deux premières séries : « Bernard Prince » dès 1966 et « Comanche » à partir de 1969. Il crée, seul, « Jeremiah » en 1977, puis « Les Tours de Bois-Maury » en 1982. On lui doit également de très nombreux one-shots, parfois réalisés avec le concours de son fils Yves H. au scénario. Au cours de sa longue carrière, Hermann a réalisé plus de 120 albums et a été lauréat du Grand Prix du festival d’Angoulême en 2016. Respect !

Henri FILIPPINI

« Jeremiah T40 : Celui qui manque » par Hermann

Éditions Dupuis (12,95 €) — EAN : 979-1-0347-6880-6

Parution 6 octobre 2023

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2 réponses à Tome 40 de « Jeremiah » : la fin ?

  1. Kroustilyion dit :

    Je suis fidèle à l’oeuvre de Hermann, merci à lui pour toutes ces évasions ! Je viens de relire encore ce dernier opus, pour mieux saisir les lignes blanches entre les cases… Question : mais où est passée Esra ?

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