Chumbo, Ivo, tous au Brésil !

Matthias Lehmann s’est imposé, à travers « Chumbo », un sacré défi : celui de raconter l’histoire du Brésil parallèlement à celle d’une famille pendant plusieurs générations s’étalant sur près de 70 ans, des années 30 aux années 2000… et sur plus de 360 pages, racontées et dessinées par lui-même. De son côté, Nicolaï Pinheiro, envoie Pedro sur les traces d’un certain Ivo, dans le Nordeste des années 1990…

Tout commence à Belo Horizonte (Minas Gerais), en 1937, où nous découvrons un père de famille insupportable : Oswaldo Wallace. C’est le type d’homme parvenu qui n’a pas fini de vouloir parvenir et qui, pour cela, écrase les autres sans discernement, les siens en premier ! Égoïste, menteur, manipulateur, il est tout ce qu’on peut détester, et il dirige de main de fer des mines… de fer !

Il a plusieurs enfants dont deux frères que tout oppose : Severino et Ramires, que nous suivrons dans les chapitres suivants, quand ils seront adultes. Severino est journaliste, écrivain, discret, là où Severino, plutôt violent, penche pour les militaires qui vont prendre le pouvoir de 1964 à 1985 : les « années de plomb ». C’est de là, d’ailleurs que vient le titre de l’album puisque Chumbo signifie « plomb » en portugais.

Tant un noir et blanc fouillé, certaines pages regorgent de cases là ou d’autres s’inventent des combinaisons surprenantes. De fait, la lecture est dense, nourrie de documents souvent empruntés à la presse (traduits) et il faut des heures pour découvrir tous les pans de l’histoire du pays matinée d’une histoire familiale conflictuelle, quelquefois cruelle ; d’autant que Matthias Lehmann s’est inspiré de la propre histoire de sa famille, ce qu’il indique en postface, évoquant « un jeu de l’autofiction », comme il dit, qui « brasse les névroses familiales » !

Dans « Ivo a mis les voiles », Nicolaï Pinheiro, s’appuyant sur un roman de Mauro Pinheiro (même famille, à l’évidence), joue sur deux histoires parallèles : toutes deux menant vers le nord à partir de Rio. La première, c’est celle d’Ivo – un quinquagénaire qui a la bougeotte -, mécanicien de son métier, qui semble un jour disparaitre corps et bien. En découvrant cette histoire, un jeune Carioca se lance sur ses traces, pour comprendre, sinon le retrouver.

Les deux cheminements sont faits de rencontres d’hommes et de femmes aux caractères singuliers, aux parcours atypiques le plus souvent, dont l’évocation au fil de l’album permet de brosser le portrait d’un Brésil multiforme et riche. C’est une vie au quotidien, faite de petits métiers, d’échanges amicaux, d’amours sans lendemain, le tout très joliment dessiné. On devait déjà à l’auteur « Lapa de nuit » (même éditeur, en 2018), un récit qui tissait peu à peu une chronique assez sombre du Brésil nocturne entre amourettes et corruption, drogue et prostitution, à Lapa, au Brésil, une ville en ébullition. Nicolaï Pinheiro, scénariste, dessinateur et coloriste, signe là, à nouveau, un album remarquable tant par ses personnages que par ses décors, un album qui n’est pas sans rappeler par la thématique « L’Ombre qui marche » (traité ici-même), dont le héros vient au Brésil rechercher un frère mystérieusement disparu…

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

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« Chumbo » par Matthias Lehmann

Éditions Casterman (29,95 €) – EAN : 9782203215181

Parution 30 août 2023

« Ivo a mis les voiles » par Nicolaï Pinheiro

Editions Sarbacane (26 €) – EAN : 9782377318360

Parution 23 août 2023

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