« L’Oulipo par la bande » : une anthologie lécroartienne…

L’Oulipo, acronyme d’Ouvroir de littérature potentielle, est un groupe de recherche littéraire créé en 1960 par l’écrivain Raymond Queneau et le mathématicien François Le Lionnais. Petit à petit, d’autres formes d’expressions tentèrent l’aventure créant ainsi l’univers d’Ouxpo. En 1992 naquit l’Oubapo (Ouvroir de bande dessinée potentielle). L’Association rassemble dans « L’Oulipo par la bande » (collection Esperluette) l’ensemble des travaux d’Étienne Lécroart : l’un des piliers de l’Oubapo.

Le principe général des différents ouvroirs — Oulipopo (Ouvroir de littérature policière potentielle), Ouphopo (Ouvroir de photographie potentielle), Oumupo (Ouvroir de musique potentielle) et bien sûr Oubapo — est de s’imposer des contraintes afin d’encourager une forme de création ludique. Le groupe d’origine des Oulipiens avait coutume de se définir comme des « rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir ».
La bande dessinée — mêlant textes et images — peut donc jouer d’un de ces deux aspects, du mélange des deux et parfois même du support de la planche elle-même, puisque certaines publications suggèrent d’intégrer le pliage des pages pour obtenir un résultat oubapien (comme le propose déjà Étienne Lécroart dans son album « Pervenche et Victor » de la collection Patte de mouche à l’Association).

Étienne Lécroart se dessine en tête de chaque chapitre, afin de présenter la contrainte ou la thématique qui suivra. Nous trouvons donc des zeugmes dessinés, des portraits, des logorallyes alphabétiques dessinés, des histoires sous contrainte épicène et quelques travaux en vrac.
Le zeugme dessiné consiste à dessiner et assembler une série d’expressions commençant de la même manière afin d’en tirer une histoire.

Sur l’ensemble des portraits, seuls deux sont dessinés. La plupart sont, comme vous avez pu le voir plus haut, réalisés en creux de manière typographiques. Étienne Lécroart nous explique que « le portrait en creux est un texte d’une page décrivant une personne tout en dessinant le portrait par les blancs du texte ». Deux autres portraits dits géographiques sont faits en dessinant sur une carte routière des parcours liés à la personnalité portraiturée, un texte accompagnant chacune de ces pérégrinations.


Le logo-rallye alphabétique dessiné est peut-être l’exercice le plus bluffant. Il consiste à intégrer, dans le texte d’une bande dessinée, l’ensemble des mots se trouvant entre deux mots de l’édition 1988 du Larousse de poche — choisis préalablement — et en respectant l’ordre alphabétique de la liste ainsi obtenue.

Pour la contrainte liée à l’épicène, Étienne Lécroart a repris une dizaine de textes (« La Déclaration des droits de l’homme », « La Genèse », « El Desdichado » de Gérard de Nerval, « Frère Jacques », « La Marseillaise »…) en gommant tout mot genré : pas une seule notion masculine ou féminine. Le tour de force est encore plus remarquable lorsqu’il décide de reprendre quelques pages d’« Astérix » et de « Tintin » en appliquant la même contrainte au nom et au physique des personnages.

Après ce morceau de choix, le Vrac propose des variations autour d’une méthode pour apprendre à danser le rock : deux planches en acrostiches dont les cases sont empruntées à un strip de François Ayroles (1), une page dont les cases sont permutées, une planche composée d’images piratées et une dernière page reprenant le même strip, mais avec un texte différent à chaque fois.

Accompagnant Étienne Lécroart depuis longtemps dans sa création d’albums oubapiens (« Cercle vicieux », « Bandes de sonnets » ou « Comptes et décomptes »), L’Association réunit dans « L’Oulipo par la bande » une partie des planches qu’il réalisa pour les Mardis (ex-Jeudis) de l’Oulipo, le groupe proposant toujours une rencontre mensuelle en partenariat avec la BNF.
La lecture de cet album crée une sorte de connivence ludique entre l’auteur et son lecteur. Étienne Lécroart nous offre son univers à système, rigoureux, drôle et enthousiasmant pour nos méninges.

Il est à noter qu’Étienne Lécroart a illustré (en octobre 2020) « Les Gens qui comptent » : un petit recueil écrit par Hervé Le Tellier, le président en exercice de l’Oulipo (Les Venterniers, collection Les Gens).

Brigh BARBER

« L’Oulipo par la bande » par Étienne Lécroart

Éditions L’Association (25,00 €) — EAN : 978-2-84414-938-1

Parution 2 juin 2023

(1) François Ayroles est lui aussi membre de l’Oubapo et nous avions précédemment chroniqué son album « Une affaire de caractères ».

Galerie

5 réponses à « L’Oulipo par la bande » : une anthologie lécroartienne…

  1. Olivier Northern Son dit :

    En résumé, Etienne Lécroart est un génie !

  2. Brigh dit :

    Franchement, je ne saurais mieux dire !
    Disons qu’il fait partie d’un groupe de personnes inventives. Vous pouvez aussi retrouver plusieurs albums autour de l’Oubapo au sein du catalogue de l’Association, ainsi que trois boîtes de jeu : le « DoMiPo », « Coquetèle » et le « ScrOUBAbble ». Ce dernier est malheureusement réservé aux adhérents de l’Association.

  3. Olivier Northern Son dit :

    J’ai ces livres et ces trois jeux très inventifs et que je recommande à mon tour.

    Hélas, quand mon libraire a essayé de commander le nouvel album, il était signalé déjà épuisé!?

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