« Une révolution nommée Raspoutine » : un monde sous influences…

Durant l’hiver 1916, l’énigmatique Raspoutine est devenu l’homme de confiance de la tsarine. Il reçoit une fillette prénommée Alissa, venue lui réclamer de l’aide, afin d’éviter la déportation de son père… Or, entre Première Guerre mondiale et montée de l’antisémitisme, celui que l’on surnomme Le Moine fou est devenu la cible de conjurés. Au-delà de la fascination, Hernán Migoya et Manono Carot interrogent la vérité historique plutôt que la légende, dans le tumulte de la pré-révolution russe.

Une relique pas comme les autres ! (Planches 1 et 2 - Glénat 2023).

Jouant avec les effets caractéristiques des premières affiches de propagande soviétiques (avant l’apogée des photomontages du style constructiviste), le visuel de couverture se décline sur deux niveaux. Au sommet, le visage inquiétant de Raspoutine, pour ainsi dire apparenté à un vampire, dont les traits sémites accentués traduisent l’angle dénonciateur. Associée à l’idée antisémite d’un péril juif souverain et envahissant, cette froide figure du mal incarné semble à la fois contrôler et s’opposer à la Révolution russe. Sous le drapeau rouge, symbole de la révolte bolchevique, une foule armée s’en prend déjà aux représentants du pouvoir : autrement dit le tsar Nicolas II et sa famille. À l’avant-plan droit, une fillette semble échapper à la colère populaire, dans une nuit que l’on devine ensanglantée. Cette dernière, un livre (ou plutôt un journal intime…) entre les mains, est-elle sous la protection de Raspoutine ?

Raspoutine en 1916.

La tsarine Alexandra Feodorovna Romanova (1894-1917).

Plus ou moins directement, ce visuel soulève deux questions primordiales : qui fut au juste Raspoutine ? Quel rôle a-t-il pu jouer – consciemment ou malgré lui – dans les prémices des révolutions ayant eu lieu en février et en octobre 1917 ?

Né en janvier 1869 dans les confins sibériens, Grigori Raspoutine est sujet à des crises mystiques avant ses 18 ans. Devenu moine, il effectue de nombreux pèlerinages et perfectionne ses dons pour l’hypnose et la magie. De Kiev à Saint-Pétersbourg, ses talents d’orateur finissent par séduire la tsarine Alexandra Feodorovna Romanova : cette dernière, inquiète de ne pas avoir donné un héritier mâle à la couronne, s’entoure à la même époque de guérisseurs et confesseurs plus ou moins fiables. Bientôt chargé de soigner la famille impériale (dont le tsarévitch Alexis, hémophile), Raspoutine fascine… et inquiète : homme saint, médecin, amant, charlatan, escroc, manipulateur, espion, être maléfique, on prête tous les rôles à cet être désormais aussi admiré que détesté. Son regard perçant et magnétique, difficile à soutenir, tout autant que ses beuveries, sa vie de débauche, ses cheveux gras et sa barbe emmêlée, ne facilitent guère les choses.

Le couple impérial - Nicolas II et Alexandra Feodorovna - sous la coupe de Raspoutine diabolisé (caricature de 1917).

Affiche du film « Raspoutine, le moine fou » avec Christopher Lee (Don Sharp, 1966).

L’entrée en guerre de la Russie envenime un peu plus la situation : en 1915, après une sévère défaite face à l’Allemagne, Nicolas II prend le commandement de l’armée, laissant la régence à son épouse et à Raspoutine, foncièrement pacifiste. Des calomnies accusent le starets (l’ermite ou celui qui a quitté le bon chemin) de faire le jeu de l’ennemi et d’avoir une influence néfaste sur la famille impériale. Un complot, diligenté en sous-main par le renseignement britannique, vire à l’assassinat : ce dernier est planifié dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, alors que Raspoutine est invité à la table du prince Ioussoupov à Petrograd. Partiellement empoisonné, tué de plusieurs balles, Raspoutine est finalement jeté dans la Petite Neva gelée. Son cadavre, retrouvé le 30 décembre 1916 et brûlé en mars 1917, ne met pas fin aux plus folles rumeurs. La légende noire de Raspoutine ne faisait que commencer, l’homme laissant la place au mythe… Corto Maltese lui-même ne s’en est pas remis !

Raspoutine et l'un de ses assassins, le prince Félix Ioussoupov.

Qui s'y frotte... (Planche 3 - Glénat 2023).

Dans le présent one shot, le metteur en scène et scénariste espagnol Hernán Migoya suit la chronologie évoquée : entre 1915 et 1917, l’aristocratie russe – mais aussi la droite ultranationaliste et l’Église orthodoxe – veut voir tomber celui qu’elles considèrent comme un fanatique idolâtré. La tsarine, toujours aussi dévouée à son conseiller spirituel, ne voit pas le danger. Elle présente ses quatre belles filles à Raspoutine et les place sous la protection bienfaitrice de l’homme de foi. C’en est trop, même pour le tsar Nicolas II ! La chute de Raspoutine est proche. Mais bientôt, c’est toute la Russie tsariste qui va être entrainée dans la destruction… Mis en scène de manière expressive par Manolo Carot (« Millenium » avec Sylvain Runberg en 2014-2015 et « La Chute de Dante » en 2022), le destin de Raspoutine continue d’étonner. L’intrigue, qui débute ironiquement de nos jours – avec une pièce maitresse exposée dans l’inattendu musée de l’érotisme de Saint-Pétersbourg ! – rajoute un curseur supplémentaire : elle fait d’Alissa – la jeune protégée de Raspoutine – la future écrivaine américaine Ayn Rand, promotrice de l’objectivisme, de l’athéisme forcené et du capitalisme individualiste. En un mot, tout, sauf le communisme. Pour celle qui fut contrainte de fuir la Russie de 1917 avec sa famille (suite à la confiscation de la pharmacie de son père par le gouvernement révolutionnaire), on aura compris pourquoi !

Philippe TOMBLAINE

« Une révolution nommée Raspoutine » par Manolo Carot et Hernan Migoya

Éditions Glénat (15,50 €) – EAN : 978-2-344050132

Parution 31 mai 2023

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9 réponses à « Une révolution nommée Raspoutine » : un monde sous influences…

  1. EC Comics fan dit :

    Et bien , elle me donne bien envie cette BD après lecture de votre retour = inscrite sur ma check~list .
    Merci BDzoom …

  2. BARRE dit :

    À lire en écoutant Boney M à fond!

    • EC Comics fan dit :

      Et pourquoi pas plutôt du Carlos ou Annie Cordier , non ? … Qu’en penses-tu ?π√® ¶ ^^
      Perso ma musique de lecture c’est le silence , mais bon tout-est dans la tête de tout-un chacun … A chacun son trip
      (PS : je suis actuellement sur  » La rôtisserie de la reine Pétanque des Éd. Mosquito , je te le suggère

  3. EC Comics fan dit :

    Ah ok ^^ … Voilà donc le rébus . Je connais pas trop les titres des Boney M , d’où ma surprise .

  4. HOLLE Hubert dit :

    EC Comics ne connait pas trop les classiques musicaux et littéraires. La Rôtisserie de la Reine Pédauque (pest un roman d’Anatole France et il existe plusieurs restaurants portant ce nom

  5. HOLLE Hubert dit :

    Désolé mon texte est parti avant la fin d’où un (p qui n’a rien à faire. Bonne lecture à EC Comics

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