Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Des âmes, perdues et exploitées par les Soviétiques… : une fiction vraisemblable !
En 1921, les autorités d’URSS ont permis à l’Académie des sciences et au neuropsychologue Louzhin de poursuivre des recherches et expérimentations sur des enfants doués de certaines capacités hors du commun. On les nomme les dusha (les âmes). Ce programme, appelé YM, est pourtant abandonné en 1928, peu après l’accession de Staline au pouvoir. Le scientifique est alors envoyé au goulag et des massacres ont lieu parmi les dusha. Cependant, en 1937, les autorités lui commandent de reprendre ses expériences. Torturé par ses souvenirs et ses remords, il ne cesse de penser à la jeune Martina, la plus douée de ses sujets.
Mêlant histoire et science-fiction à peine romancée, cet épisode nous plonge dans les débuts de l’URSS stalinienne,prête à tout pour instrumentaliser son pouvoir. Premier tome d’un diptyque, « Dusha » — par son graphisme — rend bien cette époque « froide », mais avec beaucoup d’humanité.
Ces dusha possèdent des capacités de télépathie, de savoir à distance et de prémonition, que l’album nous fait percevoir de façon à la fois crue et digne. Beaucoup de ces enfants ont été massacrés sans état… d’âme, par les services secretssoviétiques, comme bien d’autres exécutions ordonnées par Staline. En recrutant d’anciens survivants d’YM, Louzhin saisit cette occasion pour tenter de retrouver Martina. Celle-ci, qui a survécu, s’est mariée à un boxeur renommé et vit en Sibérie. Elle a maintenant une fille, Likha, qui se révèle avoir des pouvoirs psychiques encore plus importants que ceux de sa mère.
L’album effectue plusieurs allers-retours entre passé et présent, puisque le destin du scientifique se joue sur deux périodes charnières. On assiste à la fois à la marche de la machine autoritaire et au parcours individuel de Martina et de ses proches, du scientifique et de quelques autres : tous sous la surveillance et la menace du pouvoir bureaucratique et policier. À sa reprise d’activité dix ans plus tard, Louzhin (un patronyme issu de « Crime et Châtiment » !) n’est plus le même : brisé, comme ses anciens sujets, et désenchanté quant à son rôle et devant cette curieuse avancée de la science.
L’histoire est tellement peu croyable, saisissante et atroce pour les protagonistes, qu’on espère qu’elle n’a jamais eu lieu. Pourtant, elle est très vraisemblable, puisque les Soviétiques, dès l’époque de Staline, utilisaient sportifs, scientifiques et artistes comme des machines pour leur propagande : quel qu’en soit le prix humain. Il en était de même des nazis : tant, finalement, ces régimes se ressemblaient dans l’horreur et dans leur volonté de créer un « homme nouveau »…
L’Espagnol Francisco Ruizge n’en est pas à son coup d’essai dans la grande histoire, « fictionnisée » ou non. Après ses débuts de dessinateur avec « Luxley » (chez Quadrants en 2005) et « La Geste des chevaliers dragons » (chez Soleil en 2009), il s’est fait récemment remarquer avec « La Part de l’ombre » (chez Glénat en 2021) : un diptyque sur l’homme qui a failli tuer Hitler. Il récidive donc à propos d’un autre bloc totalitaire, pour notre grand bonheur, avec cette histoire plus spécialisée, touchant à l’intime, mais aussi universelle. Pour ce récit, il exerce les deux rôles de scénariste et de dessinateur.
Son trait réaliste, mais qui va à l’essentiel, à fois fin et brut — ménageant les espaces pour la couleur —, fait merveille. On sent une grande justesse et une sincérité totale. Il n’y a pas dans cet album que des univers froids ou glaçants, mais toute une variété d’ambiances : y compris certaines qui sont spectaculaires.
« Dusha T1 : La Fille de l’hiver » par Francisco Ruizge
Éditions Glénat (14,50 €) — EAN : 978-2-344-05190-0
Dans ce genre d’expériences, croyez moi, les États-Unis ne sont pas en reste non plus!
Peut-être, je ne sais pas, vraisemblable aussi.
C’est sans doute le propre des Empires…
Au moins, ce qu’on sait publiquement, c’est que les États-Unis surveillent et guident efficacement leurs « alliés » ou obligés, et répandent leur culture/spectacle jeune et immature (comics, super-héros, malbouffe), le contraire du raffinement qui existait en Europe. Celle-ci n’a pas voulu rester un Empire…
Vous avez tout à fait raison
Vous avez tout à fait tort ! personne ne vous oblige à manger de la culture américaine ; et les USA nous ont apporté l’internet, espace de la liberté et de l’esprit critique;
Chacun ses opinions, le mieux étant de dire « je pense que vous avez raison ou tort… » .
Le discours sur la liberté est un cliché pratique, sur une notion ambivalente et très variable selon le point de vue. On connait l’expression « le renard libre dans le poulailler libre »…
La culture USA s’impose car elle est simple, facile à consommer et peu chère : elle ne peut que prospérer lorsque qu’on ne souhaite pas y résister, ici en Europe totalement ouverte. Quand on permet à des fast-food de s’appeler « restaurant », bien sûr on renonce.
On le voit aussi avec le phénomène manga : faute de cadrer, limiter ou taxer, d’autres produits lointains font échec à nos productions, nos créateurs, et donc à notre culture, notre société.
S’il faut prendre le modèle US , japonais et autres, alors il faut les mêmes protectionnisme, patriotisme économique efficace, extra-territorialité, addition des peines (154 ans de prison), responsabilité et mérite individuels. Toujours d’accord ?
Quant à l’esprit critique, je vois surtout beaucoup de (nouveau) conformisme, et des discours très prévisibles, automatiques.
Débat intéressant, en tout respect, cher correspondant. Bonnes lectures.