Jean-Louis Pesch : « Sylvain et Sylvette » pour la vie, et jusqu’à la mort…

C’est avec tristesse que nous venons d’apprenons le décès, à la suite d’un cancer généralisé, du dessinateur Jean-Louis Pesch (l’un des plus célèbres repreneurs de la série « Sylvain et Sylvette »), ce 17 mai 2023, à six heures du matin, alors qu’il venait tout juste de prendre sa retraite à l’âge vénérable de 94 ans…

Photographie de Jean-Louis Pesch.

Jean-Louis Poisson est né à Paris le 29 juin 1928, d’un père alors âgé de 25 ans et chef d’un atelier de dessin pour tissus, et d’une mère de 18 ans, fraîchement sortie des Arts appliqués.

Le jeune couple gagne bien sa vie, mais l’enfant, né d’une « fausse couche ratée » — propos tenus par sa mère selon Jean-Louis —, est élevé à la campagne, à Juvardeil (Anjou), par sa tante maternelle et par sa grand-mère paternelle.

Il voit ses parents de temps en temps, s’évade en lisant les ouvrages de Samivel, les albums de « Mickey » chez Hachette, ceux de « Bicot » et les aventures de Zig et Puce, qu’il suit dans Dimanche-illustré. Plus tard, son père l’abonne à Robinson, Hop là !, Aventures et au Journal de Mickey.

À 14 ans, il est admis à l’école des Arts appliqués (où il entre en 1942) et la quitte un an plus tard, se sentant incompris par ses professeurs. Après avoir brièvement travaillé pour les studios d’animation de Paul Grimault, il s’engage pour trois ans dans la Marine, en décembre 1945. Démobilisé, il découvre la céramique, puis entre dans un atelier de dessin pour tissus tout en multipliant les essais de bandes dessinées.

« Pinpinville » planche réalisée pour démarcher les éditeurs d'illustrés.

Publicité pour les biscottes St Honoré.

De la publicité…

Il présente son premier projet, « Pinpinville », au dessinateur Mat (Marcel Turlin), qui ne l’encourage pas.

Déçu, il se tourne vers la publicité : secteur où la demande est forte, car boudé par les dessinateurs. Le créneau s’avère riche et les travaux publicitaires sont sous toutes les formes : buvards, jeux ou protège-cahiers s’accumulent pour Soleil d’or, les biscottes Hirondelles, Delft, Pelletier et Jacquet, Exona, Avia, Ripolin, les rubans adhésifs Scotty…

Mais aussi des bandes dessinées : « Gilles et Bertrand » pour les cafés Gilbert, « Pinpin » pour les biscottes Saint-Honoré, « Poussinet et Poussinette » pour les aliments Dusquesne-Purina, « Castor » pour les hypermarchés Montréal, « Noisette » pour la margarine Arcy, « Canigou et Ron-ron » pour les marques éponymes, « Les P’tits Mordus » pour les fromages Meule d’or, les volailles de Loué, « Robert Tigre grand reporter » pour Panhard…

Publicité pour les calendriers Duquesne-Purina (1975).

Publicité pour la margarine Arcy.

Il loue des locaux rue Fontaine à Paris, en 1951, puis rue de la Convention. Trouvant son patronyme trop commun, il adopte le pseudonyme de Pesch qui signifie poisson en patois gascon. Notons que la scénariste Henriette Robitaillie rédige certains de ces travaux publicitaires. Bien que le dessin soit de moins présent, au profit de la photo, dès les années 1960, Pesch poursuit cette activité lucrative au-delà des années 2000.

« Les Aventures de Canigou et Ron-ron » publicité avec Henriette Robitaillie publiée dans La Revue du club des bons maîtres en 1967.

… à la bande dessinée !

Il faut attendre 1954 pour découvrir sa première bande dessinée classique dans le mensuel Capucine publié par les éditions des Remparts. Nouni, son premier héros, est un gentil petit garçon évoluant dans l’univers de la piraterie.

« Nouni » Capucine n° 19 (15/06/1954).

Dans le même journal, il propose aussi à nouveau la série « Pinpinville » qui est enfin publiée, dès l’année suivante..

« Pinpinville » Capucine n° 51 (15/09/1955).

En 1957, grâce au scénariste Lucien Bornert, il entre aux éditions Mondiales de Cino del Duca, lequel lance une série de magazines au format de poche.

Couvertures Yoyo n° 47 et Oscar n° 5.

Il y propose diverses bandes : « Yo-Yo » (l’écureuil créé par Maric, dont il poursuit les aventures),

« Yoyo » Yoyo n° 60 (juillet 1962).

 puis « Panchito » (la tortue cow-boy) dans Saxo avec Henriette Robitaillie,

« Panchito » O’Gust n° 43 (décembre 1961).

enfin « Oscar et Totor » (toujours avec Robitaillie) dans Oscar.

« Oscar » Oscar n° 5 (11/1958).

On lui doit égalementles couvertures de Bambino.

Couvertures Bambino n° 44 et O’Gust n° 43.

Après avoir animé brièvement « Mous’tik » dans L’Intrépide en 1958, il dessine la même année « Couinou » dans Mireille, de nouveau avec Henriette Robitaillie. Ces gags animaliers totalisant plus de 400 pages se poursuivent jusqu’en 1964 : année où il quitte les éditions Mondiales.

« Couinou » Mireille n° 257 (07/01/1959).

Pour la S.F.P.I. de Jean Chapelle, il anime en 1957 « Pancho et Fillasse » dans Pancho : série écrite par Ginou Richer, une amie d’Édith Piaf.

« Pancho et Filasse » Pancho n° 4 (avril 1958).

Chez le même éditeur, pour les journaux issus de la télévision, il campe en 1966 « Couik » (le caneton), avec Henriette Robitaillie, dans Le Journal de Nounours,

« Couic » le Journal de Nounours n° 24 (février 1967).

et adapte jusqu’aux années 1980 « Père Lipopette et Sacripan » pour le journal homonyme.

Enfin, en 1981, à l’occasion de la nouvelle formule de Marius qui héberge L’Épatant, il reprend les fameux « Pieds nickelés », avec le concours de Jean-Claude Roussez au scénario.

Deux albums (« Les Pieds nickelés rois du pétrole » chez Bédésup en 1985 et « Les Pieds nickelés au gouvernement » en 1999 au Club des Pieds nickelés) réunissent ces pages.

« Les Pieds Nickelés » Marius-L’Épatant (novembre 1981).

Sylvain et Sylvette pour la vie

Jean-Louis Pesch entre aux éditions de Fleurus en 1954, signant de courtes histoires dans les journaux Cœurs vaillants et Âmes vaillantes.

En 1956, la maladie de Maurice Cuvillier — qui décède l’année suivante — conduit les éditions de Fleurus à chercher un nouveau dessinateur pour les aventures de Sylvain et Sylvette, la série vedette de Fripounet et Marisette que Cuvillier avait créée en 1941.

Jean-Louis Pesch lui succède à la page 23 de l’album « On a volé l’éléphant blanc » (publié en 1958), premier d’une série d’albums sans prépublication. Il en réalise quatre autres jusqu’en 1965. Pour l’hebdomadaire, différents dessinateurs reprennent la série, principalement Claude Dubois (voir Disparition de Claude Dubois : Sylvain et Sylvette perdent l’un de leurs pères adoptifs !) et notre auteur.

« Sylvain et Sylvette : On a volé l’éléphant blanc » Fleurus (1957).

Après trois années d’alternance, Claude Dubois devient titulaire des histoires destinées à Fripounet et Marisette, tandis que Jean-Louis Pesch dessine la plupart des histoires inédites proposées dans la collection Fleurette, puis dans la Nouvelle Collection Fleurette : du « Repas interrompu » en 1957 à « Une fausse piste » en 1975. Il réalise une centaine d’épisodes de 16 à 20 pages au format à l’italienne.

« Sylvain et Sylvette : L’Attaque de la chaumière » Fleurus (1965).

À partir de 1973, il signe les albums au format classique de la collection Séribis pour Fleurus jusqu’en 1986, puis aux éditions du Lombard jusqu’en 2001, et enfin chez Dargaud, où il publie l’ultime épisode en 2022. Cette collection — dont quelques albums sont dessinés par Bérik (Frédéric Bergèse)— est rééditée par le label Hachette collection depuis 2021.

« Sylvain et Sylvette : Magie dans la forêt » Le Lombard (2000).

Très vite, Jean-Louis Pesch tombe sous le charme de cette série campagnarde dont les ventes dépassent alors — et au total — les 20 millions d’exemplaires. Il fait entrer dans la chaumière où vivent le frère et la sœur de nouveaux animaux qui viennent rejoindre Cui-Cui, Mignonnet, Gris-Gris, Moustachu, Raton, sans oublier les fameux compères Renard, Sanglier, Loup et Ours : Barbichette, Panpan, Hurluberlu, Olga, Coin-Coin, Cloé…

« Sylvain et Sylvette : Cascade de gags » Dargaud (2002).

À ces albums au format classique — dont 60 sont dessinés par Jean-Louis Pesch — s’ajoutent sept hors-séries et des ouvrages de petit format destinés aux plus jeunes.

Quelque 16 mini-albums sont proposés par Le Lombard de 1993 à 1995, puis réédités par les éditions P’tit Louis, lesquelles proposent des inédits à partir de 2011. La série compte 28 albums réalisés par Jean-Louis Pesch.

Ne souhaitant pas que les deux enfants lui survivent, il publie en 2022 « La Belle Aventure » : ultime épisode où Sylvain et Sylvette retrouvent leur maman qu’ils recherchent… depuis 1941 ! La boucle est enfin bouclée : voir « Sylvain et Sylvette : La Belle Aventure » : la boucle est bouclée !.

Il nous confiait, il y a peu, qu’il se sentait plus serein après avoir réalisé cet album final qui assurait une retraite paisible à ses deux héros.

Ultime page de « Sylvain et Sylvette : La Belle aventure » Dargaud (2022).

L’envol de Bec-en-Fer

Tout en animant « Sylvain et Sylvette », Jean-Louis Pesch crée « Bec-en-Fer » dans les pages du Pèlerin en 1961.

Cette histoire écrite par Henriette Robitaillie met en scène des oiseaux évoluant à la cour du roi Dagobert. Quatre pages sont publiées, puis le personnage est abandonné, les lecteurs de l’hebdomadaire catholique trouvant que les auteurs manquaient de respect envers saint Éloi en le représentant en oiseau. Bec-en-Fer est un méchant, prêt à employer tous les moyens pour hériter de la fortune de son neveu.

En 1980, les éditions de Fleurus — souhaitant se lancer dans de nouvelles créations — permettent de redonner vie à Bec-en-Fer avec un premier album intitulé « Le Complot de Bec-en-Fer ».

Quatre nouveaux épisodes sont édités par Fleurus jusqu’en 1986, puis trois autres aux éditions du Lombard de 1988 à 1995. Ces sept ouvrages ont été réédités en 2012 chez L’Apart éditions, puis en trois volumes d’une intégrale chez Hachette collections en 2022.

« Bec en fer au mont Saint-Michel » Le Lombard (1999).

 Au début des années 1980, des gags imaginés par Belom (Jean-Loïc Belhomme), et proposés sous forme de 400 strips destinés à l’agence Agépress, sont publiés dans Ouest France, puis réunis dans un album édité par les éditions P’tit Louis en 2009.

« Bec en fer : Moult-gags diantrement désopilants » avec Jean-Loïc Bélom P'tit Louis (2009).

Il faut aussi mentionner « Les Primeurs » : une brève série, dont les héros sont des légumes, réalisée avec la complicité de son voisin sarthois Franz (Franz Drappier). Ces courtes histoires sont publiées par l’hebdomadaire Tintin en 1983.

« Les Primeurs » Tintin n° 419 (20/09/1983).

On lui doit aussi quelques ouvrages indépendants : « Pik-Pik le hérisson » avec Henriette Robitaillie aux éditions Hemma (1965), « Feu vert sur le rail » avec Glachant aux éditions Hachette (1967), « La Bête du Gévaudan » dans un style plus réaliste, aux éditions De Borée (2005).

« La Bête du Gévaudan » De Borée (2005).

L’Écho de la chaumière n° 4 (janvier 2009).

Il a également illustré « Le Code de la route » de Louis Voeltzel en 1959.

Jean-Louis Pesch propose aussi aux amoureux de ses personnages L’Écho de la chaumière : le bulletin de l’association des Amis de Sylvain et Sylvette, dont six numéros seront publiés de juin 2006 à avril 2012.

Ceux qui souhaitent retrouver « Sylvain et Sylvette » peuvent se lancer dans l’achat de la réédition hebdomadaire par Hachette collection — depuis 2021 — des albums Séribis publiés à l’origine par Fleurus à partir de 1973, puis aux éditions du Lombard et enfin par Dargaud jusqu’en 2022.

En 2011, Julien Derouet lui consacre un ouvrage de 250 pages publié par L’Àpartéditions : « Jean-Louis Pesch et ses héros de papier ».

La rédaction de BDzoom.com adresse évidemment toutes ses condoléances à la famille et aux proches de Jean-Louis Pesch qui avait également reçu les insignes de commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres, le 17 septembre 2022.

Henri FILIPPINI

Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER

Original d'une planche de « Bec-en-Fer T7 : Bec-en-Fer chez Dracula » réalisée avec Luc Deroubaix et publiée au Lombard (1995).

Galerie

10 réponses à Jean-Louis Pesch : « Sylvain et Sylvette » pour la vie, et jusqu’à la mort…

  1. Thark dit :

    Mais… :( Mais qu’est-ce que c’est que ce mois de Mai ?!?…
    En quelques jours seulement, Patrice Serres, Jean-Yves Brouard et là… Jean-Louis Pesch. (Quelques mois après le décès de ce cher Claude Dubois, autre « père adoptif » talentueux de Sylvain et Sylvette).

    Ces très tristes actualités forment décidément une sale série, noire comme la couleur des deuils qui envahissent en ce moment la rubrique « Patrimoine »…
    Parcourir et (re)lire tous ces extraits, toutes ces planches, qui résument tant d’aspects du parcours de J-L Pesch – un grand merci, à Henri F. et Gilles R. pour cet article, bien sûr – cela redeviendra sûrement une partie de plaisir ; mais là, pour le moment, c’est la mort dans l’âme que je dépose ici ces quelques mots. En hommage à l’un des enchanteurs de mon enfance et de ma bibliothèque intérieure, faite d’autant d’images et de textes que de souvenirs et d’émotions. Celles-ci restant toujours aussi vivaces au cÅ“ur des pages plus ou moins jaunies…
    On ne remerciera jamais assez tous ces créateurs infatigables pour tout ce qu’ils nous ont apporté et tout ce qu’ils laissent en « cadeau », aussi bien pour les vieux-de-la-vieille-qui-n’ont-pas-trop-abîmé-l’enfant-qui-vit-encore-en-eux… que pour les jeunes générations.
    Tout mon respect et ma gratitude…

  2. BARRE dit :

    Ne soyons pas tristes, surtout lorsque les gens qui partent sont atteints d’une grave maladie.
    Jean Louis Pesch a non seulement eu une longue vie, mais il l’a embellie avec ces deux formidables personnages que sont Sylvain et Sylvette.
    Je viens de me procurer à Bruxelles le dernier volume de la série que vous avez, Monsieur Filippini, magnifiquement commenté.

  3. Maher Younsi dit :

    R.I.P , Jean-Louis Pesch .

  4. Julien derouet dit :

    Bonsoir,
    Petit rectificatif, les éditions P’tit Louis n ont édité qu un seul bec en Fer.
    Pensées émues
    Julien

  5. GASNIER JARNIOU Annie dit :

    OH Jean-Louis, repose-toi. Nous ne t’oublierons pas. Nous avons eu la chance de te connaitre et de t’apprécier notamment lors de la sortie du timbre Sylvain et Sylvette en septembre 2007 à Juvardeil. Tu étais si généreux dans tes dédicaces. Tu avais cette jolie habitude, simple, de dire que tu étais un besogneux. C’était toujours un bonheur de te croiser. Tu étais toujours attentif et tu remarquais les moindres détails ou changements comme me dire en septembre dernier à Juvardeil : Annie c’est la 1ère fois que je te vois sans boucle d’oreilles… Merci Jean-Louis.

  6. BOX OFFICE STORY dit :

    Un artiste. Une oeuvre remarquable et une vie bien remplie et magnifique.

  7. Moser Michel dit :

    Bonjour,
    Tout d’abord je m’associe à tous les commentaires en rapport avec le décès de monsieur Jean Louis Pesch je m’adresse à vous en désespoir de cause je voudrais me procurer ou au moins pouvoir consulter « les pieds nickelés au gouvernement » de monsieur Pesch la raison profonde est que j’habite à côté de La chartre sur le Loir dont il est question dans cette BD (avec des noms déformés) pouvez-vous m’indiquer une piste pour trouver ou lire cette BD.
    En vous remerciant de votre réponse
    Cordialement
    Michel Moser

  8. Dominique TARDIVEL dit :

    Ainsi, « Sylvain et Sylvette » auront perdu leurs papas adoptifs à quelques mois d’intervalle. Une page se tourne. (C’est le cas de le dire.) Je connaissais un peu l’un et l’autre, l’un pour avoir correspondu avec lui (Claude Dubois) , l’autre pour l’avoir rencontré à un festival de bande dessinée à Saint-Malo ou à Perros-Guirec lors d’une séance de dédicaces. . Et je ne sais pas si nos charmants héros champêtres ont un repreneur.
    Par ailleurs, ayant une collection de « Pèlerins » , j’ai, en effet, vu la bande dessinée « Bec-de-fer » , en octobre 1961, (quelques mois avant la publication « d’Astérix » dans cette revue) qui, effectivement, s’est arrêtée au bout de quatre planches seulement. Je sais pourquoi maintenant.
    Cordialement,

  9. Janine LAY dit :

    Très émue par l’annonce du décès de Lou Pesch. En Mai 2021, dans une longue conversation téléphonique dans laquelle il m’avait annoncé souffrir d’un cancer, il souhaitait surtout évoquer ensemble les bons souvenirs de nos débuts dans la Bande dessinée (années 50). Qu’il repose en paix.
    Janine LAY

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