Si Versailles m’était dessiné…

Abordant les sujets historiques majeurs, la série documentaire « Les Reportages de Lefranc » s’échappe du XXe siècle pour nous ouvrir les portes du majestueux château de Versailles. L’occasion de redécouvrir l’évolution de cet ancien relais de chasse, devenu le théâtre de la monarchie absolue avec Louis XIV. Complété par les textes de la journaliste Sophie Humann, ce travail de reconstitution aura occupé Alex Evang… pendant 14 ans !

Le 21 mai 1952, Jacques Martin démarre dans la version belge du journal Tintin les aventures de Lefranc avec « La Grande Menace ». Initialement publiés au Lombard, puis chez Casterman, les albums mettant en scène ce journaliste-reporter des années 1950-1990 se doubleront, en 2004, des « Voyages de Lefranc » : titres documentaires eux-mêmes calqués sur « Les Voyages d’Orion», série initiée avec Pierre de Broche depuis 1990. Ayant en tête la triple idée d’associer les recherches historiques les plus récentes avec la modélisation graphique des grands sites et la reproduction des modes de vie associés, Jacques Martin et ses successeurs auront, de fait, décliné le concept autour de tous leurs héros : Orion et Alix pour l’Antiquité, Jhen pour le Moyen Âge, Loïs pour l’époque moderne et Lefranc pour la période contemporaine.

« Versailles de Louis XIII » : l'un des rares voyages effectués par Loïs (Casterman, 2006).

Devenus des références pédagogiques, ces « Voyages » et « Reportages » se heurtèrent à plusieurs difficultés. S’il fut relativement simple d’éclipser le peu médiatique Orion au seul profit des « Voyages d’Alix » (40 titres parus à ce jour dont « L’Helvétie » en 2019) et d’« Alix raconte » (trois albums), s’il fut également assez aisé de développer « Les Voyages de Jhen » à partir de 2005 (18 albums parus), d’autres défis attendaient les ayants droit de Jacques Martin, disparu à 88 ans en janvier 2010. La première des difficultés étaient inhérente au projet lui-même : après avoir traité les sites ou thèmes les plus fédérateurs, comment vendre et faire connaitre les titres suivants ? Autre sujet de questionnement : la popularité des héros eux-mêmes. Ainsi, la disparition de toute nouveauté « Loïs », après 2015, rendit naturellement impossible la mise en chantier d’un quelconque « Voyage de Loïs ». Avec deux titres publiés seulement en 2006 (« Versailles de Louis XIII » par Jérome Presti et Olivier Pâques) et 2010 (« Le Portugal » par Luís Diferr), la série documentaire n’eut pas le temps de se faire connaitre. À ceci près que, en 2009, le dessinateur Alex Evang est contacté pour entreprendre un « Versailles disparu » consacré à l’époque de Louis XIV et, par conséquent, censé être la suite du précédent. Initialement annoncé en avril 2017 au sein des « Voyages de Loïs », puis de nouveau en avril 2021, l’album ne parait donc – avec des coloriages refaits et un titre simplifié – que ce mois-ci, après un incroyable périple créatif et éditorial long de 14 années.

Versailles avant Versailles (Casterman, 2023)

Crayonné pour le dessin de couverture et maquette initiale.

Question annexe : que vient donc faire « Versailles » dans la série des « Voyages de Lefranc » ? Devenu aussi intemporel qu’Alix (qui voyage de fait autant sur la terre des pharaons qu’en Étrurie, 500 ans avant notre ère, dans la Rome du premier siècle ou chez les Vikings), Lefranc aurait-il l’étrange faculté de reculer jusqu’au Grand Siècle de Louis XIV ? Voyons plus prosaïquement que cet album consacré à l’immense château du Roi-Soleil ne pouvait décemment pas s’accorder avec Alix ou Jhen, aux ancrages historiques bien définis. Ne restait donc plus que Lefranc, dont la qualité de journaliste excuse tout : « Aviation » de la Première Guerre mondiale (pour les trois premiers « Voyages de Lefranc », publiés entre 2004 et 2007), « Débarquement » de 1944 ou « Conquête de l’espace », en attendant les probables « Guerre de Corée », « Guerre froide » ou « Guerre d’Algérie », notre reporter peut tout raconter, surtout quand il s’agit d’en apprendre davantage aux lecteurs sur les époques et personnages célèbres.

Vue panoramique du Grand Trianon et des jardins (crayonné)

Le Grand Trianon depuis son péristyle (crayonné)

La Galerie des Glaces (crayonné)

L’on pardonnera aisément ce tour de passe-passe bien compréhensible, Lefranc lui-même étant complètement absent des textes et dessins de l’album. L’on profitera dès lors du minutieux et patient travail de reconstitution exigé par cet album : déjà coauteur de l’ouvrage « Les Voyages d’Alix : Orange-Vaison-la-Romaine » (2010, avec Marco Venanzi) et d’« Aquae-Sextiae (Aix-en-Provence) » (2013, avec Yves Plateau), Alex Evang aura au préalable pris le temps de modéliser une bonne partie de Versailles en 3D, afin d’en restituer fidèlement les perspectives et les détails. De l’ancien pavillon de chasse érigé par Louis XIII (1607) aux débuts des travaux (1670), puis aux agrandissements successifs (jusqu’en 1685), l’on appréciera ainsi de pouvoir visualiser et comprendre chaque étape de cette monumentale entreprise. 700 pièces, 800 hectares de parcs et jardins, grotte de Thétys, galerie des Glaces, chambre du roi, petit et grand Trianon, ménagerie, bibliothèque de Louis XVI ou hameau de Marie-Antoinette, vous deviendrez incollable sur ce palais mythique des rois de France. Un plaisir de lecture, accordé aux textes instructifs de Sophie Humann, journaliste au Figaro littéraire.

Galerie de personnages (crayonné)

Philippe TOMBLAINE

« Les Reportages de Lefranc T11 : Versailles » par Alex Evang, Sophie Humann et Jacques Martin

Éditions Casterman (14,50 €) – EAN : 978-2-203122956

Parution 5 avril 2023

Galerie

Une réponse à Si Versailles m’était dessiné…

  1. Olivier Northern Son dit :

    J’ai un peu décroché de ces séries. Il y a tellement de volumes!
    Mais ceux que je connais sont formidables et ce volume ne semble pas faire exception.
    L’idée de Jacques Martin est bien respectée, son esprit est là, tant dans les textes que dans les dessins.

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