Après Jacobs, Van Hamme vise juste !

Avant « Blake et Mortimer » — exactement en 1943, il y a donc très longtemps —, Edgar P. Jacobs démarrait sa carrière en bandes dessinées avec « Le Rayon U », dans l’hebdomadaire belge Bravo !… Ce récit unique s’achevait par la prise du rayon U par les forces de la Norlandie (les gentils) contre les menées de l’empire d’Austradie (les méchants). Lord Calder et le professeur Marduk (prototypes de Blake et Mortimer), avec l’assistante Sylvia Hollis et le major Walton, affrontaient l’empereur Babylos III et l’infâme capitaine Dagon des services secrets… Une suite a été imaginée par Jean Van Hamme : le premier scénariste de la reprise, en 1996, de « Blake et Mortimer », la série phare du même Jacobs.

Désormais, Marduk dispose de ce rayon U, « dont l’élément principal serait une pierre magnétique appelée uradium », et qui permet de déclencher une force considérable de type nucléaire. Le scénariste appelle cette arme absolue la Flèche ardente. Tout est en place — dans ce théâtre jacobsien — pour le bain de nostalgie et le grand saut dans le temps que nous offre cette suite inattendue et peut-être improbable, entre grandiloquence feutrée et ixième degré.

Ayant appris les possibilités destructrices de l’uradium lorsqu’il est associé avec le rayon U, l’Austradie cherche, coûte que coûte, à mettre la main sur le minerai, localisé à proximité d’un volcan au centre des îles Noires. L’empereur dépêche le général Robioff avec son armée en Norlandie. En parallèle, Dagon, déjà sur place, parvient à rejoindre cette armée qui soumet bientôt celle de Norlandie.

Ex-libris.

De son côté, le professeur Marduk a réussi sa démonstration scientifique et technique avec l’arme nouvelle ; mais, sur place, les problèmes s’accumulent.

Et l’Austradie tombe sur un obstacle de taille, car sacré : l’uradium est sous la garde du dieu du Feu, Puncha Taloc.

© centaurclub.com.

Au palais de Norlandie occupé, un cataclysme sème la destruction, affole et met en fuite l’armée occupante.

C’est là que Kellart Hollis — le père de Sylvia —, disparu et donné comme mort depuis la première page du « Rayon U », apparaît aux côtés du prince Nazca (roi des îles Noires), délivré après de vaines tortures.

Plus tard, il racontera son épopée, et des couples inattendus se formeront…

« Le Rayon U » nous semblait complet et achevé, mais apparemment on se trompait… Il restait, selon Van Hamme, à véritablement mettre la main sur l’uradium et à statuer sur l’arme absolue.

Ligne claire elle aussi absolue, trait volontairement épuré, ambiances et attitudes assez raides, bien entendu théâtrales : tout est fait pour respecter le style Jacobs ancien. Un exercice de style en quelque sorte, dont les auteurs se sortent avec efficacité et même brio.

Trois bandes par page, longueur limitée à 42 planches, citations graphiques du tome 1 : les efforts n’ont pas été ménagés pour coller au plus près de l’univers jacobsien. Jusqu’aux couleurs de Bruno Tatti, qui les a aquarelléesfinement. Douces, avec un beau modelé — mais théâtrales et contrastées selon les scènes —, elles apportent beaucoup au rendu final. Une suite-hommage décalée par rapport à notre époque, mais bien dans le ton dans le cadre d’un retour vers le passé.

À noter que l’éditeur republie l’album « Le Rayon U » avec de nouvelles couleurs du même Bruno Tatti, dans le même respect de Jacobs: à noter qu’il existe aussi une version pour bibliophiles.

Patrick BOUSTER

« Le Rayon U T2 : La Flèche ardente » par Christian Cailleaux, Étienne Schréder et Jean Van Hamme

Éditions Dargaud (16,50 €) — EAN : 978-2-87097-311-0

Parution 24 mars 2023

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14 réponses à Après Jacobs, Van Hamme vise juste !

  1. BARRE dit :

    Quel culot, et quel talent ce Van Hamme !
    Lui seul pouvait oser imaginer une suite à cette bande dessinée culte.
    Reprenant une phrase célèbre extraite des Tontons Flingueurs on pourrait dire en hommage à Van Hamme :  » Les scénaristes talentueux ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ! »

    • BARRE dit :

      Bd lue hier.
      Je confirme l’excellence du scénario de Van Hamme.
      En revanche, les dessins ne possèdent pas la richesse du trait de Jacobs.
      Ils ont fait de leur mieux mais c’est pas ça…

  2. Pascoe dit :

    Hum… Votre article est bien écrit, Patrick Bouster, mais…
    Quand même, soyons sérieux. Parler de « brio » pour qualifier le travail graphique dans cet album… (!)… No comment… Cela pullule de maladresses et de postures mal campées, bancales, très très loin de la rigueur d’un Jacobs (qui était pourtant encore en ‘progression’ puisque c’étaient ses débuts en « BD » après seulement 5 pages de Gordon fin 1942).
    Quant à la démarche cynique de Van Hamme, bien plus moqueuse que respectueuse, c’est hallucinant. Il se demande lui-même en interview « qui peut bien acheter ça »… Bravo, quel superbe respect de l’œuvre et du lecteur, de la part d’un scénariste qui prétend rendre hommage alors qu’il emploie systématiquement l’expression « kitchissime » quand il parle du Rayon ‘U’… (Serait-il le seul à ne pas savoir replacer ces pages dans leur contexte de l’époque ?!).
    Pas sûr que l’éditeur mesure à quel point il se tire une balle dans le pied en laissant un Auteur maousse-costaud « faire mumuse » librement dans son bac à sable. Quelle crédibilité reste-t-il quand on autorise ça – en visant le portefeuille des inconséquents qui se laisseront avoir – et qu’on publie sans sourciller des albums qui prennent la place de vrais beaux et nouveaux projets créatifs ?!…

    Sans aucune mauvaise humeur mais simplement en toute franchise, messieurs-dames, je pense qu’il finit par y avoir des questions à se poser sur un problème évident que j’énonce ainsi :
    - Soit on est face à un phénomène de cécité gravissime (et contagieux), qui se répand sur un certain nombre de plateformes et de médias dès qu’il s’agit de « l’intouchable JVH » – ou d’autres ‘sommités’ qui ne se gênent même plus pour afficher leur arrogance ; pourquoi le feraient-elles, d’ailleurs, puisqu’on s’incline toujours devant elles ?!
    - Soit on assiste à une épidémie d’articles promotionnels, motivés par je ne sais quelle raison. (Se faire bien voir ? Etre dans les bonnes grâces des groupes éditoriaux ?!).
    No comprendo…

    Très cordialement,
    Pascoe.

    • Patrick BOUSTER dit :

      La critique est toujours bienvenue… La démarche éditoriale de BDzoom est de présenter et commenter les albums qui nous ont séduit avec bienveillance et recul, en respectant les auteurs (et donc les éditeurs).

      Suis-je allé trop loin dans la bienveillance ? Peut-être. Mais ça et là il y a dans mon texte des bémols et des constatations de second ou troisième degré de cette suite au premier Jacobs : « une suite inattendue et peut-être improbable », « ixème degré », « mais apparemment, on se trompait… », « attitudes assez raides », « Une suite-hommage décalée par rapport à notre époque ».

      Jacobs a été quelquefois maladroit, souvent raide et grandiloquent dans sa première BD, il fera beaucoup dans « Le secret de l’Espadon ». Les dessinateurs de la suite s’en ont bien tirés, en essayant de respecter ces critères. D’ailleurs, Cailleaux dans « Le cri du Moloch » a réalisé un « Blake et Mortimer » très honorable. Nul doute qu’il aura été plus inventif et personnel dans son adaptation de Simenon à paraitre bientôt (« Le passager du Polarlys », Dargaud).

      Que Van Hamme ait eu envie de s’amuser, de décaler et de trouver l’original kitsch, c’est son droit, surtout à son age. Même l’aspect sentimental des rapprochements à la fin sont décalés. C’est un excercice de style, et qui contient donc une part de moquerie, d’amusement. Jusqu’au dictateur Babylos III, et son système à la Nazi, est détourné à la fin, pour tomber très bas (cela m’a fait penser au Mynablos de Gotlib, en parodie de chef exotique cruel…) Bref, une suite un peu parodique, qui logiquement s’arrêtera là.

      On verra l’accueil que feront les lecteurs… Mais je préfère Van Hamme lorsqu’il nous étonne avec « Kivu » ou qu’il nous ravit avec « Le dernier Espadon »…

      • Pascoe dit :

        Merci pour votre réponse, M. Bouster. :)
        Je tiens à préciser une chose ou deux : jusqu’au « Dernier Espadon » et, pire encore, cette « Flèche ardente », je n’avais rien contre JVH, scénariste à l’efficacité redoutable. Je le tiens même en haute estime pour ses deux 1ères ‘reprises’ de B&M avec le regretté Ted Benoit. Mais désormais, surtout vis-à-vis de Jacobs, il dit (et fait) tout et n’importe quoi, sans filtre et sans garde-fou.
        Si je peux me permettre, ni son « envie de s’amuser » ni son âge ne sont des arguments valables. Ses propos actuels plus que sarcastiques – qui ont au moins le mérite de ne plus laisser aucun doute sur sa démarche parodique, presque « démolisseuse » -, beaucoup les trouvent plus que malvenus et fortement irrespectueux. Vous parlez de « bienveillance »… En a-t-il, lui ?!

        Malgré ma passion pour son oeuvre, Jacobs n’est pas une icone « sacrée et intouchable » à mes yeux. Mais j’estime que de la part de ces messieurs – éditeurs inclus – qui gagnent beaucoup d’argent en surexploitant un filon doré toujours plus élargi, tout en faisant semblant de rendre hommage au créateur original, retrouver un peu de respect et un vrai sens des responsabilités serait le minimum…

        D’autant plus que cet « avatar’ improbable du Rayon ‘U’ lui est désormais étroitement associé (alors qu’il n’a RIEN à voir avec ce que Jacobs aurait réalisé lui-même s’il ne s’était pas embarqué dans l’aventure « Tintin ») par une entourloupe de ‘collection’ intitulée « Avant Blake et Mortimer » 1 et 2…
        Cette pure parodie réalisée presque « pour rigoler » (la « suite » de JVH, Cailleaux et Schréder) est donc mise au même niveau qu’un travail qui, à l’époque, fut fait avec sincérité et intensité. C’était candide, certes, mais ces planches splendides n’offraient pas que des poncifs, loin de là : Le Rayon ‘U’, ce sont aussi et surtout de fortes trouvailles colorées innovantes en leur temps (1943), une richesse d’influences passionnantes à redécouvrir, des cadrages et compositions remarquablement soignés, un graphisme ‘in progress’ mais d’une grande rigueur, un encrage superbement élégant, etc…

        Que vont bien pouvoir « comprendre » et apprécier, et avec quel recul, les lecteurs.trices d’aujourd’hui qui ne connaissent pas toute l’histoire des débuts de Jacobs ? Ce futur maître de la BD qui, à travers son Rayon U, apprenait encore (et sur le tas) les spécificités de son art-du-9è-Art ??…

        Tout est brouillé, confus, et pour tout dire… abîmé. C’est purement et simplement désolant… … Merci de m’avoir lu (à nouveau)…
        Bien cordialement,
        Pascoe

  3. Denis G. dit :

    Bonjour à toutes et tous
    Au secours Edgar, reviens chasser les marchands du temple !!!
    Quand en finirons nous avec ces reprises mercantiles ?……
    En ces temps où l’on parle beaucoup de retraites, que n’en est-il pas temps pour Van Hamme….
    Pourquoi un tome 2 (Jacobs n’a jamais intitulé : le rayon U T.1) à cette oeuvre unique pour laquelle Jacobs lui-même n’a jamais évoqué la moindre suite ?
    Ah ! Rentabiliser la nostalgie…..
    Bref, à éviter.
    Vive l’oeuvre originale !!

  4. Pascoe dit :

    Un Post Scriptum (désolé pour l’encombrement ;) ) :
    On a longtemps critiqué Nick Rodwell & co pour sa gestion de l’Héritage d’Hergé et des droits autour des albums de Tintin.

    Aujourd’hui, quand on voit ce fourre-tout (teinté de mauvais goût pour ce qui est de la Flèche Ardente) qu’est devenu « l’Héritage Jacobs », quelques albums exceptés, on peut estimer que malgré certaines exagérations occasionnelles, « Moulinsart/Tintinimaginatio » avaient et ont plutôt raison d’être aussi stricts…

    • Kroustilyion dit :

      Oui, heureusement que l’héritage de Hergé est protégé comme il l’est ! Sans cela, on aurait fait n’importe quoi avec son univers. Tintin restera éternel comme il l’est et c’est très bien ainsi. Quand on voit le saccage des séries Spirou, Blake et Mortimer, Buck Danny, les Schtroumpfs, et bientôt… Gaston (avec tous ses repiquages^^) ! Grrr…

      • Pierre dit :

        Je vais me faire l’avocat du diable… Il y a évidemment beaucoup à dire (et à médire) sur les reprises des séries dont les créateurs nous ont quittés, mais il faut quand même souligner que sans ces reprises, ces séries auraient disparu des rayons des libraires.
        Quant à Tintin (que je vénère), essayez d’en faire lire un à un(e) jeune lecteur(trice)..
        9 fois sur 10, c’est le sourire en coin. Dans une génération, quand tous les tintinophiles seront boulevard des Allongés, le nom même de Tintin ne dira plus rien à personne….

  5. BARRE dit :

    Ça y est! C’est officiel !
    Moulinsart et Casterman viennent d’annoncer que Jean Van Hamme reprendra le scénario des aventures de Tintin pour de nouvelles aventures !!
    Affaire à suivre…

  6. Thark dit :

    Ahhh, ce bon vieux 1er avril !
    C’est bien de réveiller un peu des traditions qui se perdent !
    (Pas entendu le moindre canular à la radio ce matin… Tout fout l’camp ma pauv’ dame)

  7. Lakatos dit :

    Bonjour
    J’ai un exemplaire de » L’affaire du collier » (Blake et Mortimer) que je ne parviens pas à classer, ni en me référant au BDM, ni sur BD Gest:
    page de garde au portrait, dernier titre au 4e plat « L’affaire du collier », noté D.1967/0086//32 (jusqu’ici comme dans l’EO), mais avec Imprimerie H. Dessain – Mechelen, puis en page de titre LES EDITIONS DU LOMBARD, avenue Paul-Henry Spaak, 1-11, 1070 BRUXELLES (soit l’adresse où les Editions du Lombard ont déménagé en 1958). Noté « Imprimé en Belgique » à la page 64
    Merci si possible d’éclairer ma lanterne
    Ronald

  8. Olivier Northern Son dit :

    Je suis étonné de lire vos commentaires.
    J’ai, pour ma part, passé un bien bon moment avec cette suite du rayon U. Bravo aux talentueux auteurs!
    Peut-être manque-t-elle de fantaisie, Jacobs aurait sans doute colorié le dinosaure comme sa pieuvre…

    Mais c’est un bel exercice de style. Et tous les nouveaux albums n’enlèvent rien aux chefs d’oeuvre de Jacobs que l’on peut toujours lire. Mieux, les nouveautés font que la série est connue des plus jeunes…

    En vous lisant, on dirait que l’on vous a obligé à acheter ces albums!

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