« Thorgal : Adieu Aaricia »… L’odyssée du temps !

Débarqué en mars 1977 dans les pages du journal Tintin, « Thorgal » connaitra un destin hors du commun. 20 millions d’albums vendus plus tard, la saga d’heroic fantasy imaginée par Van Hamme et Rosinski n’a rien perdu de son aura. Après « Les Mondes de Thorgal » (26 albums au total pour trois séries parallèles), voici que Le Lombard dépose une nouvelle pierre runique dans ce riche univers : une collection de one shots, conçus comme autant de visions d’auteurs et d’aventures inédites… à raconter au coin du feu. Premier opus avec « Adieu Aaricia », magnifique hommage de Robin Recht (interviewé en fin d’article) à deux albums-clés de la série : « L’Enfant des étoiles » (T7, 1984) et « Aaricia » (T14, 1989). Une vision très humaine du légendaire viking…

Le chagrin de Thorgal (planches 1 et 2 - Le Lombard 2023).

En couverture, sous une sombre nuit bleutée, le juvénile visage d’Aaricia, la fiancée de Thorgal, s’évanouit entre le étoiles. Au premier plan, dans une vision crépusculaire et onirique, une silhouette connue mais visiblement âgée regarde s’éloigner un drakkar enflammé. Nul doute : Thorgal, vieillissant, vient lui-même de rendre un ultime hommage à sa bien-aimée pour son passage dans l’au-delà : le Walhalla. Dans cette vision très romanesque des funérailles vikings (plus historiquement réduites au bûcher, au tumulus ou – pour un chef – au bateau-sépulture enterré), c’est bien sûr l’âge du héros qui nous interpellera. Si les plus fidèles lecteurs savent que « Thorgal » est précisément l’une des très rares séries franco-belges où les personnages vieillissent et ont des enfants, voyons que le scénario s’intéresse de manière forte aux liens intergénérationnels. Comment le héros, désormais très âgé, peut-il sauver celle qu’il aime ? De « La Jeunesse de Thorgal » à « Louve », en passant donc par quelques titres clés de la série principale, les scénaristes successifs (Van Hamme, Yves Sente et Yann) n’ont de fait jamais cessé d’interroger le temps, d’explorer les liens familiaux et de tisser des intrigues opposant destins des personnages et manigances divines.

Première proposition encrée pour la planche 3 et mise en scène finalisée (Le Lombard, 2023).

Si la série principale est pilotée par Yann et Fred Vignaux depuis 2019 (« T37 : L’Ermite de Skellingar » ; voir notre chronique du T40), Rosinski continuant de dessiner les visuels de couvertures, Robin Recht n’a pas hésité à relever le défi de ce premier opus HS à la pagination dense (112 pages pour la version classique ; 120 pour l’édition augmentée). Sorte de « Thorgal vu par… », à la manière des « Spirou », « Lucky Luke » ou « Blake et Mortimer » déjà réalisés selon le même modèle, ce one shot a pour mission de redynamiser un univers franco-belge risquant éternellement de virer vers le poussiéreux. Outre « Adieu Aaricia », divers autres albums ont déjà été annoncés : « La Forêt verticale » (par Fred Duval et Corentin Rouge en 2024), « Shaïgan-sans-merci » (par Yann et Roman Surzhenko) et un titre (encore inconnu) de 80 pages pour Mohamed Aouamri.

Un marché de dupes ? (Planches 4 et 5 - Le Lombard 2023).

Le pitch annoncé d’« Adieu Aaricia » est résolument tragique : au crépuscule de sa vie, après la mort de celle qu’il aimait, Thorgal se voit proposer l’anneau d’Ouroboros par le perfide dieu serpent Nidhogg. S’il le met à son doigt, le héros pourra revoir sa dulcinée, en revenant dans son propre passé, lors de son enfance. Évidemment, l’aventure ne sera pas sans risques ni périls… Annoncé depuis la fin de l’année 2020, ce premier album de « Thorgal Saga » (un nom de série qui n’apparait qu’en quatrième de couverture) débute cette nouvelle formule de très belle manière : récit intense, rebondissements crédibles, dialogues sonnant justes et émotion belle et bien présente. L’humour n’est pas oublié : à 70 ans, Thorgal est devenu trop vieux pour ces c… ascades ! Essoufflé, la vue qui baisse, le personnage n’est cependant pas encore prêt à apparaitre dans « Les Vieux Fourneaux » : l’on songera de fait plus au « Batman – Dark Knight Returns » de Frank Miller, pour ce qui est d’un héros éprouvé par ses 1001 aventures. Rajoutons à cela un dessin très fidèle à celui de Rosinski, ce dernier n’ayant d’ailleurs pas manqué de donner quelques conseils (sur les visages et les ambiances) tout au long des 60 premières planches.

Deux héros pour le prix d'un ! (Illustration pour un ex-libris).

Comme Robin Recht nous l’explique, l’entreprise fut de longue haleine : « En novembre 2018 (un autre monde, avant la Covid !), je venais de sortir mon adaptation de « La Fille du géant du gel » [T4 de la collection « Conan le Cimmérien » chez Glénat]. J’étais fatigué et je tardais un peu à me mettre au story-board de mon album suivant. Pour me changer les idées, j’avais choisi d’adapter un roman contemporain de Franz Bartelt et j’étais un peu inquiet de me frotter au nouveau style graphique que demandait cette histoire. C’est à ce moment là que Mathias Vincent, éditeur au Lombard, m’a contacté. Il souhaitait qu’on se rencontre pour parler un peu du futur. Il avait aimé mon « Conan » et mon travail sur la série « Elric » et il désirait savoir si j’avais des projets dans mes tiroirs. Je n’en avais pas vraiment. Je suis un lent, un laborieux, comme une vache devant des rails de train, je rumine et je rumine encore avant de bouger. Mes projets, je les porte pendant des années avant de m’y mettre. « La Cage aux cons » (Delcourt, 2020), j’y pensais depuis cinq ou six ans. « Conan », c’était toute ma culture de l’heroic fantasy que je portais depuis l’enfance. C’est ainsi, dans mes projets comme en toute chose, je ne sais pas improviser… »

Que s’est-il passé lors de ce rendez-vous éditorial ? Possédiez-vous déjà un canevas scénaristique, en tant qu’auteur complet de cet album ?

« Fin 2019, dans un petit restaurant, près de l’église de Jourdain, j’ai rencontré un jeune éditeur ambitieux, proche des auteurs, plein de curiosité et moderne dans son approche des livres et du marché. La conversation est agréable, détendue ; un peu sans y penser, avec le ton bravache de celui qui n’a aucune chance, je lâche que ce serait un rêve de signer un « Thorgal ». Dans ma tête, c’était – sans l’ombre d’un doute – impossible. La série principale était sur le point d’être reprise par le très talentueux Fred Vignaux et je savais, pour avoir vu les mésaventures de collègues qui avaient tenté d’approcher le personnage, que monsieur Rosinski défendait comme un loup la qualité et l’orientation éditoriale de sa série. Mathias a tout de même l’œil qui frise en entendant ma bravade. Il me confie que le directeur éditorial (Gauthier Van Meerbeeck) et lui-même pensent à proposer des cartes blanches pour que des auteurs puissent donner leur vision de ce personnage si populaire, qui a irrigué de ses aventures 50 ans de bande dessinée franco-belge. Je n’ose vraiment y croire, d’autant qu’il me confie que l’idée est encore très neuve et qu’elle demande à être précisée. Rendez-vous est tout de même pris pour en rediscuter en janvier à Angoulême. Dans les semaines qui suivent, je sens qu’un peu malgré moi, une partie de mon cerveau commence à ruminer sur « Thorgal ». Une idée émerge lentement du néant… Très vague et chaotique au départ. C’est plus une sensation de ce que pourrait vivre le personnage qu’une idée précise. Au fur et à mesure que j’essaye de préciser ma pensée, je me rends compte que c’est aussi une idée vouée à l’échec, tant elle malmènerait le personnage. Malgré tout, je m’y accroche, je ne me résous pas à l’oublier. D’ailleurs, je ne cherche pas d’autres pistes. Angoulême arrive et, malgré les agendas surchargés de chacun, nous arrivons enfin à nous voir tous les trois, avec Mathias et Gauthier. Je commence à exposer mon idée sans y croire une seule seconde. À la fin de mon laïus, Gauthier me dit :« C’est bien, c’est ce qu’on cherche pour « Thorgal ». Est ce que tu peux nous écrire un script à partir de cette idée ? » Franchement je n’en reviens toujours pas de ce qu’ils ont validé… Rien n’était fait, il restait des personnes importantes à convaincre et tout un scénario original à écrire mais je venais de faire les premier pas d’une longue ballade aux côtés d’un des plus importants héros de mon enfance. Et comme on dit : qui aime bien châtie bien. J’allais lui en faire baver au chef de famille viking ! Ceci dit, je viens de finir les 100 pages du story-boardde l’album et je peux dire qu’il m’en fait baver au moins tout autant

Deux références : « L’Enfant des étoiles » et « Aaricia » (Lombard, 1984 et 1989).

Illustration de couverture.

Que pouvez-vous nous dire sur la conception de la couverture, où l’on pourra notamment voir un hommage au visuel de « L’Enfant des étoiles » ?

« C’est une image réalisée en numérique. Mon idée a été très rapidement d’exploiter la scène d’ouverture de l’album avec les adieux vikings à Aaricia. Ça tombait sous le sens, avec le titre que j’avais choisi pour l’album. J’ai bien testé quelques pistes, mais rien de très convaincant n’est venu. Concernant le titre d’un album où la couverture, j’ai la conviction (et l’expérience l’a corroborée) que la première intuition est la bonne si elle vient de manière évidente, naturelle. Dans le cas contraire, je ne trouve jamais la bonne idée. Bref, mon idée a donc été de partir de cette scène pour le narratif. Je souhaitais également m’inscrire dans une tradition « thorgalienne » en reprenant certains codes déjà utilisés par Rosinski pour ses propres couvertures. Plusieurs albums reprennent le motif de la silhouette en pied, avec un visage mythologique qui se fond dans l’arrière-plan de l’image : « Le Maître des montagnes » ou « Au-delà des ombres », par exemples. Le visage de la jeune Aaricia s’est bien sûr imposé, toujours pour faire un lien narratif avec le titre. Il permettait avec son regard d’incarner l’émotion alors que la silhouette abattue de Thorgal nous tourne le dos. Enfin, avec le ciel nocturne étoilé, je voulais effectivement faire un clin d’œil à « L’Enfant des étoiles », dont la couverture m’a toujours fasciné. Voilà, les idées étaient en place, il restait à mettre de l’huile de coude pour en faire une image si possible belle et efficace. Pour moi, la couverture est un élément important d’un album. C’est la promesse. Pour moi, une bonne couverture doit promettre au lecteur un genre, une humeur, une histoire. » Initialement prévu en 70 planches, l’album en totalise 106 dans sa version finalisée : nul ne s’en plaindra, tant l’aventure profite des paysages, des échanges de regards ou des scènes d’affrontement désespérés.

Couverture pour l'édition augmentée (Le Lombard, 2023)

Philippe TOMBLAINE

« Thorgal : Adieu Aaricia » par Robin Recht

Éditions Le Lombard (23,50 €) – EAN : 978-2803679065

Parution 3 février 2023

« Thorgal : Adieu Aaricia – Édition augmentée» par Robin Recht

Éditions Le Lombard (39,99 €) – EAN : 978-2808210812

Parution 3 février 2023

Galerie

Une réponse à « Thorgal : Adieu Aaricia »… L’odyssée du temps !

  1. BOX OFFICE STORY dit :

    Superbe histoire et on croirait lire du Rosinski / Van Hamme. Un énorme bravo.
    Travail phénoménal pour le dessin.

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