Le nouveau Vivès : rencontre passionnée au festival d’Angoulême !

Après nous avoir donné une version de « Corto Maltese » qui a suscité quelques controverses, le talentueux Bastien Vivès (1), chef de file d’une génération d’artistes mêlant roman graphique, manga, animation et jeu vidéo, sort deux nouveaux albums en même temps. (2) Même s’ils sont bien différents, ils sont toujours aussi intimes et sensuels, et méritent tous les deux le détour ! Attardons-nous cependant sur « Dernier Week-end de janvier » : une période quasi immuable pour le festival d’Angoulême où l’auteur de « Polina » situe une improbable histoire d’amour. Tout en profitant de cette idylle extraconjugale qui peut sembler presque banale pour nous parler de son rapport à la BD et à l’art en général, avec toute l’intelligence et la délicatesse qu’on lui connaît !

Le récit se déroule donc pendant le festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Les amateurs habitués de l’événement en reconnaîtront les lieux mythiques : la bulle du champ de Mars, la rue Hergé, le bar du Mercure, le Vaisseau Mœbius, le Magic Mirrors, la gare… Cependant, à l’exception d’un Manara cité au stand d’un exposant-vendeur d’originaux, les patronymes évoqués ne sont pas ceux de véritables auteurs de BD. D’ailleurs, le héros, dessinateur pourtant reconnu de la série best-seller « Opération Hitler », se nomme Denis Choupin.

Il aurait pu s’appeler Alain Dodier, Régis Loisel, Lewis Trondheim, Zep, Riad Sattouf, Pascal Rabaté, Christophe Blain, Jean-Louis Tripp… ou Bastien Vivès. Qu’importe, il n’y a qu’à Angoulême que le visage de ces artistes, venus exécuter ce qui est souvent une corvée de représentation, sont connus des aficionados : le grand public, lui, ne connaît que leurs œuvres, pas leurs noms. Or, dans « Dernier Week-end de janvier », les lecteurs vont cependant pouvoir découvrir le côté routinier de ces festivaliers invités, dont certains deviennent des stars pendant quelques jours : entre les dédicaces, les repas sur le pouce, et les copains que l’on ne fait que croiser en coup de vent.

Pas vraiment extraverti avec son air toujours fatigué, le cinquantenaire à la calvitie naissante Denis Choupin est donc loin d’être un débutant. Il connaît bien les rouages de cet événement incontournable dans le monde du 9e art ! Comme il doit avancer son retour pour les fiançailles de son fils, il est surtout venu montrer ses originaux à un galeriste et, bien entendu, se plier à quelques séances de signatures. C’est ainsi que, pendant la journée du vendredi, une énigmatique et très élégante femme en imperméable lui demande, sur un ton détaché, un dessin pour son mari collectionneur : un ingénieur en aéronautique fan de son travail.

Jouant à merveille sur les regards et avec les expressions des corps, Bastien Vivès — qui excelle narrativement et graphiquement dans l’exercice de la comédie romantique bouleversante — met remarquablement en évidence les rapports entre le dessinateur et la ravissante épouse : grâce à son efficace mise en scène, on devine tout de suite que ce couple, transporté par une idylle naissante, va assurément goûter bientôt aux délices d’une passion extra-conjugale sur les quelques jours restants du festival.

« Dernier Week-end de janvier », livre qu’on ne lâche pas avant la dernière page quand on l’a commencé, démontre une fois de plus toute la virtuosité de Bastien Vivès : l’un de ces rares dessinateurs qui, avec seulement quelques traits, réussissent à exprimer et à transmettre tout ce que peuvent ressentir leurs personnages

Gilles RATIER

(1)  L’autre album de la rentrée pour Bastien Vivès (« Burne Out » aux éditions Le Monte-en-l’air) est son troisième opus de la collection BDcul où le Premier ministre profite de vacances forcées pour essayer de reconquérir sa femme dans un camp de naturistes : c’est très drôle, déconnant et déjanté, et bien entendu totalement impudique !

Extrait très sage de « Burne Out ».

(2)  Sur Bastien Vivès, voir aussi : Pour la première fois, Bastien Vivès a travaillé sur un polar, et avec un scénariste…Petit Paul… est bien ennuyé…« Le Chemisier » par Bastien Vivès« Une sœur » par Bastien Vivès« La Grande Odalisque T1 et T2 (“Olympia”) par Jérôme Mulot, Florent Ruppert et Bastien Vivès“Last Man” par Mickaël Sanlaville, Balak et Bastien Vivès“Les Melons de la colère” par Bastien Vivés“Polina”Bastien Vivès et Alexis de Raphelis

« Dernier Week-end de janvier » par Bastien Vivès

Éditions Casterman (20 €) — EAN : 978-2-203-24320-0

Parution 31 août 2022

Galerie

2 réponses à Le nouveau Vivès : rencontre passionnée au festival d’Angoulême !

  1. Patrick Sirot dit :

    Chouette article sur un excellent auteur. Marrant, dans l’extrait de Burne Out, le personnage a quelque chose de Lauzier…

  2. FranckG dit :

    Merci.
    ces quelques images et le texte montrent bien l’ambiance que l’on ressent « en off » sur le festival. J’achète les yeux (presque) fermés ;-)

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