Entretien avec Beatrice Penco Sechi et Kristøf Mishel pour « Les Damnés du grand large »…

La rentrée approche et pas seulement pour les élèves et leurs enseignants. Après la disette du début de l’été, les sorties d’albums se font de plus en plus nombreuses en cette fin du mois d’août, avant l’avalanche de publications de septembre. Parmi les nouveautés pour la jeunesse « Les Damnés du grand large » a retenu notre attention par la qualité de son scénario et de son traitement graphique. Intrigué, nous avons décidé d’en savoir davantage en nous entretenant avec ses auteurs : le néophyte Kristøf Mishel et la dessinatrice sarde Beatrice Penco Sechi.

À la fois thriller historique, légende fantastique et récit de pirates, « Les Damnés du grand large » a de quoi satisfaire le lecteur le plus exigeant – de 13 à 93 ans – d’autant plus que le dessin de Beatrice Penco Sechi apporte un charme certain et une grande fluidité à un scénario dense et à une intrigue qui n’offre toutes ses réponses qu’à la dernière page de l’album. Nous devons cette œuvre accomplie à Kristøf Mishel dont c’est le premier scénario et à Béatrice Penco Sechi que nous avions perdue de vue depuis le diptyque « Lady Doll » en 2010.  Nous les remercions sincèrement pour le temps qu’ils ont pris pour nous expliquer leur travail dans en entretien enrichissant.

BDzoom.com – Bonjour, Béatrice et Kristøf, pouvez-vous vous présenter ?

Kristøf Mishel Esprit libre et solitaire habité par un imaginaire débordant. Sauvé par l’écriture. Voyageur infatigable, curieux insatiable.

Beatrice Penco Sechi Dessinatrice et coloriste, athlète, lectrice féroce.

BDzoom.com – Kristøf, « Les Damnés du grand large » est ton premier scénario de bande dessinée publié : comment es-tu venu à ce médium ? Est-ce une volonté ancienne de ta part ?

Kristøf Mishel – « Les Damnés du grand large » est même le tout premier scénario que j’ai écrit, il y a très longtemps. À l’époque, cette histoire est venue à moi sous la forme d’une bande dessinée, probablement parce que l’intrigue repose en grande partie sur le contenu d’un carnet de dessins et la force de l’imaginaire qui en émane. Et puis je suis un enfant de la BD.

BDzoom.com – Kristøf et Beatrice, comment vous êtes-vous rencontrés ? Comment avez-vous travaillé ensemble ? Avez-vous réalisé plusieurs voyages entre les Pyrénées et la Sardaigne ?

Kristøf Mishel  C’est notre éditeur qui nous a mis en relation, mais nous ne nous sommes pas encore rencontrés. Même pas en Visio. En fait, on n’en a jamais ressenti le besoin. Nous avons deux personnalités instinctives qui se sont découvertes de façon naturelle. Nous avons eu de très nombreux échanges par mail sur les personnages, le découpage, le storyboard, les planches, les couleurs. Béatrice a un enthousiasme communicatif et des initiatives plus que constructives.

Beatrice Penco Sechi C’est vrai, travailler avec Kristøf a été vraiment facile ; tout de suite, il y a eu une entente particulière qui nous a permis de passer rapidement d’une étape à l’autre du travail, et tout ça sans nous rencontrer. N’est-ce pas incroyable ?

BDzoom.com – Beatrice, on t’a un perdu de vue depuis le diptyque « Lady Doll » paru au début des années 2010, aux éditions Soleil. As-tu publié depuis d’autres bandes dessinées en Italie ?

Beatrice Penco Sechi Je n’ai jamais publié en Italie. « Nemo propheta in patria », c’est ça, non ? Après « Lady Doll », j’ai travaillé sur des projets jeunesse, toujours en France, pendant que j’ai traversé une période difficile pour moi à un niveau personnel, qui a duré plusieurs années, où, je dois l’avouer, dessiner n’était pas dans mes pensées. Petit à petit, tout est revenu vers moi : la capacité de dessiner, l’enthousiasme à le faire, c’était comme se rappeler que je savais le faire, après l’avoir totalement oublié. Une renaissance. Et « Les Damnés du Grand Large » est arrivé. Donc pour moi, le travail avec Kristøf et l’équipe de Drakoo a une valeur toute particulière.

BDzoom.com – Kristøf, comme pour ton roman « À la recherche de Mary Easterway », tu joues dans « Les Damnés du grand large » sur plusieurs registres : aventure, policier, fantastique… Peux-tu en résumer l’intrigue pour nos lecteurs ?

Kristøf Mishel –  C’est un thriller avec tous les degrés de lecture que l’exercice suppose. Le thriller peut être psychologique, labyrinthique, fantastique ou, dans le cas présent, onirique : c’est mon schéma narratif de prédilection et j’aime y mélanger les genres.

L’intrigue des « Damnés du grand large » peut être résumée ainsi : « Je colporte la plus étrange histoire qu’il vous ait été donné d’entendre, je vous l’échange contre un repas. »

Cette phrase, qu’un curieux voyageur prononça un soir, il y a deux cents ans, en entrant dans une taverne, marqua le début d’une longue nuit.

Mais l’auditoire ne pouvait prévoir que derrière le récit fascinant du conteur se cachait quelque chose de plus sinistre que la mort elle-même…

BDzoom.com – Béatrice, ton travail pour « Les Damnés du grand large » est remarquable, tout en vivacité, avec des personnages très expressifs et des planches aux cadrages renouvelés pour les séquences maritimes. Quels sont tes sources d’inspiration et les auteurs dont le travail t’a marqué ? Peux-tu nous détailler ta façon de travailler ?

Beatrice Penco Sechi Sentir une telle appréciation pour mon travail très modeste, est vraiment une joie. J’ai tendance à adresser mon appréciation personnelle à tous les autres auteurs, jamais à moi et à mon travail… donc, merci, eh eh.

En concevant ce projet, il m’a été impossible de ne pas penser à Mathieu Lauffray et à son « Long John Silver », que j’aimais beaucoup, mais que je n’ai pas trop pris en compte visuellement, car les deux histoires, mais aussi mon style avec le sien, sont très différentes. Plus d’une fois, je suis revenue avec la pensée de mes soirées de jeu vidéo avec la saga de « Monkey Island », qui avait une merveilleuse ambiance pirate, mais aussi très comique, donc ne se mariait jamais vraiment avec ce que je faisais. Non, je dois admettre que « Les Damnés du grand large » est né avec une identité propre, il a immédiatement pris sa direction visuelle indépendamment.

Et c’est quelque chose que je fais souvent, je laisse ma façon de travailler et de faire la planche s’adapter au projet, plutôt que l’inverse. Je trouve ça plus juste. Aujourd’hui, je travaille totalement en digital : nécessaire, car je me retrouve souvent à travailler très intensément, même lorsque je ne suis pas chez moi ; mais j’ai essayé dans ce projet de conserver certains styles, surtout en ce qui concerne la couleur, qui rappellent la coloration traditionnelle. Comme un vieux parchemin dans une bouteille.

BDzoom.com – Le lecteur croise différents animaux menaçants dans le récit. Leur graphisme vient-il uniquement de l’imagination de Beatrice ou Kristøf a-t-il donné des indications précises sur les formes des baleines, crabes et autres pieuvres ?

Kristøf Mishel – J’avais une idée assez précise des animaux et des détails qui devaient les composer comme les tatouages et le sang qui font partie intégrante de la trame. J’en ai donné une vision la plus exhaustive possible à Beatrice. Elle a sublimé tout ça en s’appropriant les monstres pour leur donner vie. Là encore, je rends hommage à son fabuleux travail.

BDzoom.com – Kristøf, pourquoi avoir situé l’action entre 1789 et 1809 ? Doit-on y deviner des liens entre l’intrigue et les événements révolutionnaires qui se déroulent au même moment ?

Kristøf Mishel – L’époque où le récit se situe était importante. Il y a 200 ans, les océans étaient des prairies où l’imaginaire cultivait les terreurs. L’illettrisme était majoritaire et la révolution coupaient les têtes de ceux qui savaient lire. Dès lors, tous les ingrédients étaient parfaitement réunis pour faire infuser l’intrigue.

BDzoom.com – Au fait, Beatrice, pas trop de difficile de détailler les moindres recoins d’un trois mats ? As-tu pris des croquis dans un port sarde ou t’es-tu servi d’une riche documentation ?

Béatrice Penco Sechi Très difficile, c’est vrai, eh eh ! Je suis née et j’ai grandi dans une ville de mer, aujourd’hui je vis à côté d’un petit port en Sardaigne, où j’ai pu prendre différentes idées pour mes croquis… mais je me suis rendu compte que, pour autant de croquis et de références que nous pouvons prendre, Il est très difficile de rendre justice à la beauté d’un navire en mer. Elles ont en soi quelque chose d’incroyablement abstrait et symbolique, mais aussi réel et de concret, que même si vous faites un dessin techniquement parfait (et ce n’est pas mon cas !), parfois cela ne suffit pas à représenter « le reste ». J’ai essayé de me concentrer sur le reste.

BDzoom.com – Le narrateur est un marin aguerri au corps couvert de tatouages, y-aura-t-il un second volume pour découvrir son passé et l’histoire de ce corps tatoué ?

Kristøf Mishel – Il est arrivé bien des choses à ce conteur avant d’entrer dans cette auberge. Même si cet album est un récit complet, il n’est qu’une étape sur le chemin de ce personnage. Cette histoire est la partie immergée d’une saga beaucoup plus vaste que nous raconterons peut-être un jour si les lecteurs sont au rendez-vous de cet opus.

BDzoom.com – Terminons cet entretien, Beatrice et Kristøf, par vos projets personnels en bande dessinée ? Trouvera-t-on bientôt dans les librairies une nouvelle BD de votre plume et pensez-vous de nouveau travailler ensemble ?

Kristøf Mishel – J’ai été surpris de voir que les frasques de mes enfants de papier trouvaient un écho. C’est récent. J’écris depuis très longtemps, mais ce n’était qu’un exutoire et tous mes scénarios atterrissaient dans un tiroir. En conséquence, j’ai beaucoup d’histoires à soumettre à notre éditeur.

L’avenir nous dira si elles passent les étapes du comité de lecture. Un nouveau projet remet les compteurs à zéro. Je serais heureux de retravailler avec Beatrice, nous sommes loin d’être allé au bout de ce tout que nous avons à raconter.

Beatrice Penco Sechi Avant même d’être dessinatrice des « Damnés », je suis la première fan de l’histoire de Kristøf. Donc, en tant que fan, je dis que j’aimerais arriver à des nouveaux chapitres de ce conte. J’espère vraiment que nous reviendrons bientôt travailler ensemble, mais j’espère que les lecteurs le souhaiteront aussi, car cela signifie qu’ils ont aimé ce que nous avons fait aujourd’hui, et qu’ils voudront nous revoir demain.

Laurent LESSOUS (l@bd)

« Les Damnés du grand large » par Beatrice Penco Sechi et Kristøf Mishel

Éditions Drakoo (15,90 €) – EAN : 978-2-3823- 3012-8

Parution 10 août 2022

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