Ouvrez « La Porte de l’univers » de l’absurde avec Goossens !

Retour en force du maître de l’absurde en album (chez Fluide glacial), sept ans après son hilarant « Combats » et, pour l’occasion, Daniel Goossens propose, fait rarissime, 65 planches d’une aventure censée être continue : le scénario ayant été exceptionnellement écrit entièrement, avant qu’il commence à le dessiner ! En fin de compte, il nous livre un petit bijou de drôlerie, doublé d’une réflexion sur l’humour et la création…

À noter que cette chronique est suivie d’une interview que Daniel Goossens a accordée à notre collaborateur Patrick Bouster…

Chapeau en arrière, la trogne rougeaude et la moustache bien gauloise, Robert Cognard est un humoriste has been. Lui qui triomphait autrefois en tutu rose et mollets poilus est aujourd’hui confronté à la panne d’inspiration. Cette ancienne gloire du comique est donc à la recherche d’un nouveau souffle : d’autant plus qu’il se sent comme un citron pressé dans ce monde exigeant, où les gens veulent toujours de l’inédit. 

Être continuellement drôle, en dégotant le bon gag et le mot qui fonctionne bien pour ne pas passer pour un ringard, n’est pourtant vraiment pas évident… Surtout quand on va de désillusion en désillusion, que votre patron ne vous soutient plus et que votre femme menace de vous quitter !

Pour essayer de trouver une idée qui le fasse finir en beauté, il se rend alors au salon du rire. Hélas !, après avoir brillamment théorisé sur Popeye, Corto Maltese ou Chopin, Cognard dérape sur une mauvaise blague : et pour une bête histoire de punaise rouillée glissée sous des fesses, il se retrouve en prison, à la suite d’un fracassant procès tenu devant une cour de justice. 

Tandis que notre héros croupit dans sa geôle, un conseil d’urgence du FBI décide finalement de le transférer dans une sorte de camp de rééducation dont aucun comique ne s’est jamais évadé : chez les militaires bien burinés de l’Alabama… Ceci jusqu’à ce qu’on lui propose un aller simple et sidéral, vers la porte de l’univers… Où les plus grands mystères vont nous être révélés !

Nous avons donc droit à des situations toutes plus absurdes et décalées les unes que les autres, bourrées de références sophistiquées et de clins d’œil culturels (on y croise allégrement François Mitterrand, Sharon Stone, Tintin et le capitaine Haddock, Goscinny et même Dieu…) : bref, c’est du Goossens délirant, comme on l’aime !

Aujourd’hui retraité de son métier d’informaticien et d’enseignant-chercheur en intelligence artificielle, Daniel Goossens (né en 1954) a été remarqué par Gotlib dès ses premières apparitions dans Pilote. Ce dernier le fait entrer au mensuel Fluide glacial, en 1977, et il en devient rapidement l’un des piliers. Célébré par la critique et par ses pairs, notamment pour sa vingtaine d’albums parus chez Fluide glacial, il a été sacré Grand Prix du festival d’Angoulême, en 1997. Il continue aujourd’hui d’essayer de comprendre comment les choses fonctionnent, en se mettant au service d’un humour complètement dingue, bien à lui, qu’il image d’un remarquable trait semi-caricatural.

Gilles RATIER 

(1)  Pour en savoir plus sur Daniel Goossens, voir : Daniel Goossens, mais où allez-vous chercher tout ça ?!...

« La Porte de l’univers » par Daniel Goossens 

Éditions Fluide glacial (18,90 €) — EAN : 979-1038200944

Parution 4 mai 2022

Entretien avec Daniel Goossens

Daniel Goossens

BDzoom.com — Pour une fois depuis longtemps (« Retour vers l’enfer », « Voyage au bout de l’enfer »), ton nouvel album est une histoire en continuité. Pourtant, au-delà du personnage principal qui en est le point commun, les chapitres, bien distincts, auraient pu être complètement indépendants. Pourquoi alors avoir voulu rompre avec tes habitudes ?

Daniel Goossens —C’est pour exploiter des scènes qui ne peuvent pas exister de façon autonome. Pourtant elles ont été prépubliées dans Fluide glacial ; mais en chapitres séparés, quelque chose manque au lecteur. Dans le précédent, « Combats », chaque histoire est isolée, le sujet se ferme. Et puis, « La Porte de l’univers » est une histoire sérieuse (en tout cas, elle a sa logique) : il faut une fin. Et ça, personne n’y arrive vraiment : dans les séries, BD ou télé, et même au cinéma c’est assez rare ; je parle de vraies fins qui se tiennent, pas celles qui sont artificielles. Dans cet album, il fallait bien finir ; et ça reste superficiel, parce que difficile. Ici, trois chapitres concluent l’album : donc trois fins, comme si ça ne pouvait pas finir. 

 BDzoom.com —Le personnage principal, Gognard, est un raté, un has-been ; il semble que cela te fascine, comme on le constate dans tes albums, n’est-ce pas ? 

Daniel Goossens —J’ai envie de valoriser les perdants, les ratés, parce que leur situation est injuste. Pour autant, je n’en fais pas un combat, mais j’aime bien les gens qui sont « à côté ». En musique ou en films, je préfère aller chercher des gens peu connus, avec une vraie originalité.BDzoom.com - Quel besoin, ou plaisir malin, d’utiliser/déformer/détourner des figures connues (Sharon Stone dans « Basic Instinct »), Tintin, Goscinny, Corto Maltese… ou moins connues (l’acteur disparu depuis longtemps, Jean Bouise) ? On croise même ton Louis au détour d’un épisode. 

Daniel Goossens —Dans le chapitre où apparaît furtivement Sharon Stone, il n’y a que des clichés de séries et de films américains. Ça n’a ni queue ni tête, mais les têtes sont très travaillées pour être vraies, pour faire américaines. Ce sont de nouvelles gueules pour moi, soit inspirées de photos de magazines, soit inventées. Il y a là tous les types humains ou presque qui apparaissent progressivement, dans une sorte d’obsession très américaine de représenter tous les groupes, y compris les minorités, même sans justification. En dehors des têtes, je me suis efforcé de mettre beaucoup de détails réalistes, issus des séries (costumes, décors, accessoires…), pour une scène qui reste volontairement superficielle et convenue en apparence. Jean Bouise, c’est un petit clin d’œil (au cinéma passé) et Louis arrive après une scène un peu longue, entre le cowboy et la vache, dans un environnement militaire où il n’y avait pas besoin de Cognard.

BDzoom.com — Sept ans séparent cet album du précédent, avec quelques histoires courtes ou gags publiés dans Fluide glacial. Et pourtant, entretemps, tu es devenu retraité de ton activité salariée, donc avec plus de temps disponible. Alors, comme Gotlib ou d’autres, tu espaces les travaux vers la fin de carrière ?

Daniel Goossens —Pour Gotlib, c’était différent : il était dans une déprime qui l’empêchait de dessiner, ou de créer. Chez moi, ce n’est pas cela. Je peux prendre enfin mon temps, ne pas avoir le stress du besoin d’être présent dans les publications. C’est lorsque je devais rendre ce travail à temps — et à un rythme soutenu — que cela pouvait être parfois déprimant. Donc, maintenant, je ne me force pas. Il peut y avoir une maturation d’une histoire, d’un gag, pendant des semaines, voire plus, ce n’est pas un problème. Et d’ailleurs, pour bien maîtriser, faire aboutir une création, on a besoin de ce temps de maturation, de réflexion (même sans y penser). Quand je travaille trop vite (comme je l’ai fait dans le passé), il y a une lassitude, des effets de répétition, moins d’enthousiasme. Un gag, une intrigue, une idée dans un tiroir, elle y reste et un jour elle ressort, car je sais comment l’utiliser. Dans ce métier, il faut avoir des « munitions » ! C’est donc avec une énergie décuplée que je me mets à la tâche, mais seulement lorsque je suis prêt.

Patrick BOUSTER

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2 réponses à Ouvrez « La Porte de l’univers » de l’absurde avec Goossens !

  1. Capitaine Kérosène dit :

    Oooooooh ! Un nouvel album de Goossens.
    Oooooooh ! Et un entretien.
    Merci à vous deux de nous gâter. Je l’attendais tellement longtemps cet album.

  2. Patrick BOUSTER dit :

    Merci Capitaine ! Oui, c’est toujours un évènement, un OVNI.

    Comme c’est presque l’équivalent de 2 albums de 44 planches, en poussant un peu, il pourrait sortir 1 album en 3 ans et demi… Mais c’est lui l’auteur. Ne boudons pas notre plaisir !

    Entretemps, l’éditeur pourrait publier les nombreuses BD encore inédites en album…

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