« Loser Jack » : readers are the winners !

Convoquant leurs aînés Dubout, Mazel ou Uderzo, le duo formé par le scénariste Erroc et le dessinateur Rodrigue a concocté une réjouissante série de gags dans l’univers de l’Ouest américain : « Loser Jack », dont le tome 2 — dédié au regretté Raoul Cauvin — sort début mars. « Hacienda ! »

Depuis que les Ricains ont libéré l’Europe du joug nazi en 1944-1945, la culture populaire américaine déjà présente avant-guerre — la France s’avère le premier pays au monde à publier un Journal de Mickey  — a littéralement déferlé sur le vieux continent, lui apportant son rock ‘n roll, son pop art, son cinéma hollywoodien, comme son cinéma d’animation dominé par le label Disney : et elle a influé la bande dessinée européenne alors vouée à la distraction de la seule jeunesse. Daté de 1931, le Franco-belge « Tintin en Amérique » témoigne ainsi de cet attrait précoce pour les States.

S’inscrivant dans une riche tradition de séries BD nées durant les Trente Glorieuses, le duo Michel Rodrigue/Gilles Corre (dit Erroc) surfe sur le renouveau de ce genre en publiant chez Bamboo une nouvelle série western : « Loser Jack », une série de gags en une planche dans l’esprit humoristique de ses aînés « Lucky Luke », « Tuniques bleues », « Jessie Jane » et autres « Smith et Wesson » (1982) de l’excellent Pierre Tranchand sur scénario de François Corteggiani.

Comme son nom l’indique, Looser Jack, fermier de petite taille, pleutre et maladroit, hypocondriaque également, est un antihéros : une sorte de Calimero des saloons et des plaines de l’Ouest américain, aussi bête que le cow-boy de la série « Horace, cheval de l’Ouest » du regretté Jean-Claude Poirier (1942-1980). Nommé initialement Jo la Loose par un Michel Rodrigue souhaitant animer un « cow-boy foireux », Loser Jack se mue en chasseur de primes sous l’imagination d’Erroc : un gagman prolifique et drôle de surcroît, qualité qui n’en gâche rien en la matière.

Notons que chasseur de primes est une fonction rarement usitée dans le genre, sauf dans le « Lucky Luke » éponyme de 1972 : celui avec le fameux chasseur au physique de l’acteur Lee van Cleef. Entre adolescent et adulte, le jeune fermier Loser Jack entend s’affirmer dans son bourg improbable de Pistol Rock, faire la Une du Daily Telegraphe, s’imposer dans le rude monde de l’Ouest américain, appréhender les bandits, empocher les dollars promis et ainsi séduire l’inaccessible Rita, la belle chanteuse du saloon. Cependant, rien n’est gagné pour l’éternel amoureux contrarié : même sa propre mère, une mère protectrice et castratrice bâtie sur le type de la grosse dame d’Albert Dubout, le considère comme un perdant. Même les poules de leur propre basse-cour se gaussent du pauvre fermier ! De facto, avec son pistolet traînant à terre et sa monture, un poney gourmand, lâche et rigolard nommé Big Belly, l’improbable chasseur de primes n’a aucun atout dans son jeu pour assouvir ses ambitions. Bref, celui qui renouvelle avec sa mère le duo formé par le célèbre couple de Dubout — la grosse dame et le mari falot — suscite aussi les moqueries de tous, notamment des bandits qui le raillent plus qu’il ne les capture.

Ces hors-la-lois, justement, participent aussi au charme de la série en devenir : ce sont des faire-valoir récurrents, comme le vieil Indien au langage imagé, puis soudainement décodé. Dès les pages de garde affichant des avis de recherches, le duo Erroc/Rodrigue multiplie les clins d’œil à leurs auteurs et séries d’élections, tel l’efficace et drôle Henri Jenfèvre par exemple.

Le dessinateur Jean-Luc Garréra inspire ainsi au duo le personnage secondaire du bandit mexicain El Garrera qui déguerpit en bas de planche en lançant son cri de guerre : « Hacienda ! », un private jokeinitialement inventé au festival suisse Bédémania de Belfaux.

Graphiquement dans une veine mâtinée du génial Uderzo d’« Oumpah-Pah », du généreux Bussemey de « Moky et Poupy » et du souple Mazel de « Jessie Jane », Rodrigue prend aussi un rare, mais malin plaisir à brosser une grande scène regorgeant de personnages comme dans les grandes illustrations du Tour de France signées Pellos.

Son dessin dynamique, expressif et sympathique, est magnifié par son goût pour les encrages tout en pleins et en déliés, servi par la charmante mise en couleur numérique de Mikl.

Troisième série signée du duo Erroc/Rodrigue, après leur « Cubitus », puis leur « Roméo et Juliette » auxquels les auteurs demeurent attachés, « Loser Jack » pourrait s’imposer comme leur série emblématique dans cet impitoyable Far West contemporain qu’est devenu le monde de la BD : synonyme de surproduction et de paupérisme des auteurs depuis deux décennies. Gageons que, dans les plaines écossaises ou celles de l’Ouest parisien, ces aficionados de la bulle deviennent des légendes sous le vocable de Winner Michel et Successful Gilles.

Après un premier tome paru en février 2021 sans autre titre que celui de la série (voir En ce début d’année, les éditions Bamboo misent sur de nouveaux héros !), voici le second titre qui pointe le bout de son nez en ce mois de février 2022, riche de 44 planches et autant de gags bon enfant. Souhaitons longue vie à Loser Jack dont la bêtise engendre sourire et rire, dont la permanence dans l’échec suscite aussi sympathie et tendresse, comme jadis le télévisuel « Calimero » aux garnements des Trente Glorieuses : « We are not lonesome readers ! Hacienda ! »

Jean-François MINIAC 

« Loser Jack » T2 par Michel Rodrigue et Erroc 

Éditions Bamboo (10, 95 €) — EAN : 978-2-8189-9027-8

Parution 2 février 2022

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