Comprendre le XXe siècle à partir d’une trilogie familiale brestoise…

Pour bien comprendre l’histoire avec un grand H, il faut la suivre à hauteur d’homme avec un petit h. C’est ce que propose le Brestois Yan Le Gat dans la trilogie « Allons Z’enfants » dessinée par Pierre Fouillet. Génération après génération, les Quélennec participe modestement au récit national de leur Finistère natal : ils entrent dans la carrière quand leurs ainés n’y sont plus… De 1914 à 1945, l’étendard sanglant est trop souvent levé avant des jours plus heureux.

De 1870 à 1918, nous avons suivi deux générations de Quélennec dans le premier volume de la série « Allons Z’enfants ». C’est une famille d’agriculteurs dans le Finistère qui a sa ferme près de Brest. Joseph et Jeanne-Louise ont deux garçons : François et Yves aux caractères opposés : l’ainé a été assidu à l’école républicaine, il veut découvrir le vaste monde, alors que son cadet a choisi les valeurs d’une Bretagne encore très catholique. Le père, républicain, admirateur de l’œuvre de Jules Ferry, se dispute souvent avec une mère très cléricale : mais en breton, pour que les enfants ne comprennent pas. Ce qui n’est pas gagné ! Devenu adulte, François s’engage dans l’armée coloniale pour découvrir le vaste monde. Il est le témoin des violences de la colonisation en Afrique et des guerres menées par les Européens en Chine. Le jeune Breton s’initie aussi à la photographie, avant d’épouser la tendre Josette. De leur union nait le petit Jean, avant que François ne soit l’une des dernières victimes de la Première Guerre mondiale.

11 novembre 1921.

« Allons Z’enfants » T2 page 12.

Le deuxième volume de la trilogie s’ouvre trois ans après l’armistice de 1918 sur une cérémonie devant le monument aux morts dans un cimetière brestois. Josette tient la main de Jean, orphelin de père plein de vie. Le garçon de dix ans a besoin de se dépenser et se défoule avec une vigueur communicative sur son vélo. De quoi gagner quelques courses cyclistes avant de réussir le concours d’entrée des apprentis des constructions navales de l’arsenal de Brest.

Jean grandit dans la France des années 1920-1930, dans son quartier populaire, loin des années folles parisiennes. Il fonde une famille avec Suzanne, la sœur de son meilleur ami, mais n’est pas rassuré par la montée en puissance des régimes totalitaires en Italie, URSS et en Allemagne. Prisonnier en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, il parvient à s’évader et à rejoindre la Résistance à Londres. De quoi revenir en libérateur sur le territoire national, avant que Brest ne subisse de terribles bombardements à la fin du conflit.

Né à Brest, agrégé d’histoire et enseignant dans sa ville natale, Yan Le Gat s’est inspiré, en la romançant, de son histoire familiale pour construire le scénario de la trilogie « Allons Z’enfants ». Pas de didactisme professoral ennuyeux ici, mais une saga familiale enjouée autour des événements heureux ou tragiques qui touchent ses membres.

La vie reprend toujours le dessus pour les Quélennec : une famille attachée à son terroir du Finistère. Les garçons voyageurs, parfois malgré eux, y reviennent toujours après des périples lointains qui leurs permettent de découvrir comment se fait l’Histoire avec, de temps à autres, une grande hache comme l’écrivait Georges Perec : dans l’Afrique colonisée, la Chine soumise aux puissances européennes, dans les tranchées de la Grande guerre, puis à Berlin soumis aux nazis ou en Russie communiste.

Une gueule cassée de la Grande guerre.

Le récit fait aussi la part belle à la vie en Bretagne de la fin du XIXe au mitan du siècle suivant. Les grands-parents Quélennec vivent dans leur ferme de Kerlouan, en pays pagan, commune marquée par des querelles liées à la laïcité et à l’application de la Loi de séparation des Églises et de l’État. Comme relatée dans la bande dessinée les débats y ont été particulièrement vifs.

À Brest, le récit s’attarde sur la vie dans les Capucins, les gigantesques ateliers de l’arsenal, agités parfois de mouvements sociaux : comme en 1935, où lors d’une manifestation liée à une grève contre la baisse des salaires un homme, Joseph Baraër, père de quatre enfants, est tué par un tir de la police.

Retour à Kerlouan.

Le dessin de Pierre Fouillet facilite la lecture pour les plus jeunes. Stylisé, coloré, très expressif, son trait parfois caricatural dynamise les séquences de jeux entre enfants, tout en rendons compte avec le sérieux nécessaire des scènes plus dramatiques. Il y a dans le dessin autant d’humour que dans le récit : de quoi vulgariser intelligemment le récit national dans une bande dessinée documentée, mais toujours vivante et prenante. Le coté pédagogique se retrouve en fin d’ouvrage dans un dossier documentaire illustré à destination des plus jeunes du primaire et du collège. Il y est, dans ce volume, question des régimes totalitaires et de la Seconde Guerre mondiale.

Les Capucins, atelier de l'arsenal de Brest.

Nous attendons avec impatience le mois de mai prochain et la publication du dernier tome d’« Allons Z’enfants » : consacré aux premières années des Trente glorieuses, de 1945 à 1963, il sera sous-titré « Louise & Gaspard ».

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Laurent LESSOUS (l@bd)

« Allons Z’enfants T2 : Jean et Suzanne » par Pierre Fouillet et Yan Le Gat

Éditions Sarbacane (13,90 €) – EAN : 978-2-37731-817-9

Parution 5 janvier 2022

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