Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Le retour réussi de Goldorak…
Eté 1978, il y a 43 ans, il y a une éternité, le grand public en France découvre les dessins animés japonais avec la diffusion de « Goldorak » dans l’émission Récré A2. Énorme succès pour cet anime qui devient vite culte et qui est à l’origine de la vague manga qui submergera quelques années plus tard notre pays. La génération Goldorak (1) devenue adulte n’a pas oublié. En sont issus cinq auteurs reconnus et passionnés qui se sont associés pour la réalisation d’un album remarqué et remarquable au titre simple et cinglant : « Goldorak ».
Nul n’imagine, en cet été 1978 en regardant Récré A2, que le nouveau dessin animé qu’il visionne restera dans la mémoire collective des décennies durant. Personne sur les chaines de télévisions ne voulait de cet anime standard que l’on diffuse in extremis pendant les vacances scolaires, période traditionnellement creuse en termes d’audiences. Le succès fulgurant oblige à la programmation, la rentrée qui suit, des 74 épisodes de 24 minutes de la série. On ne le sait pas encore, mais « Goldorak » n’est que le premier des dessins animés à succès qui vont se succéder sur les télévisons occidentales. Il ouvre aussi la voie à la diffusion massive en Europe des bandes dessinées japonaises. Encore peu connus dans les années 1970, les mangas conquièrent les premières places des ventes dans les décennies qui suivent.
Il faut remonter à 1975 pour la naissance du phénomène. Gô Nagai crée cette année-là le manga « Grendizer le robot » conçu pour accompagner le lancement de la série animée éponyme. Jacques Canestrier, le directeur commercial de la maison de production qui l’impose en France change son nom en s’inspirant du titre du troisième James Bond « Goldfinger » et du comics « Mandrake le magicien ». Goldorak est né avec ses armes, elles aussi aux noms francisés : Cornofulgur, Fulguropoing ou Astéro-hache !
La série appartient au genre de science-fiction Mecha, car il met en scène des héros utilisant ou incarnant des armures robotisées de forme humanoïde. Actarus, le prince de la planète pacifique d’Euphor défend la terre contre les attaques de l’empire guerrier Vega en pilotant sa machine de combat Goldorak qu’il avait arrimé à sa soucoupe spatiale. Pour ses combats victorieux contre les golgoths, les machines envoyées par le Grand Stratéguerre de Véga, Actarus est aidé par trois amis : Alcor, Vénusia et Phénicia avec qui ils forment la patrouille des Aigles.
La bande dessinée commence dix ans après les derniers combats d’Actarus et de la Patrouille des Aigles. Le prince d’Euphor est retourné sur sa planète pour aider son peuple avec sa sœur Phénicia. Vénusia termine ses études de médecine alors qu’Alcor dirige une start-up dynamique. La routine quotidienne est brutalement interrompue par l’attaque sur Tokyo de l’Hydragon, le plus puissant des golgoths. Les survivants de l’empire de Vega posent un ultimatum aux autorités : leur laisser dans sept jours l’archipel nippon ou ils détruiront toute vie humaine. Ils tiennent à ces îles car le mont Fuji cache dans ses tréfonds un gisement de laserium, source d’énergie pour leurs engins. Sans Goldorak, la partie semble perdue !
Pendant ce temps, Actarus est déprimé, hirsute, barbu, il est prisonnier dans une base militaire. Il rumine de mauvaises pensées sur ce qu’il vécu lors de son retour sur sa planète natale. Dépressif, il repousse une première demande d’aide mais fini par retourner dans le ranch du bouleau blanc, retrouver le vieux Rigel, désormais paraplégique. Il retrouve Goldorak poussiéreux, un peu rouillé, mais prêt, lui, à repartir au combat. Ce qu’il doit décider conditionne la survie du Japon, mais il est important pour lui d’interrompre le cycle de la violence.
En tête des ventes dès sa sortie (voir notre article de mercredi dernier sur les meilleures ventes) c’est un euphémisme de dire que ce « Goldorak » était très attendu ! Une attente récompensée par un album cartonné au format européen de 170 pages ; 130 pour le récit, 40 pour un making-off passionnant : « Dans l’atelier de Goldorak ». Car c’est un véritable atelier qui a travaillé pendant quatre ans sur ce projet ambitieux.  Scénariste confirmé, Xavier Dorison a proposé cette idée de reprise dès 2016 aux éditions Kana. Après l’aval de Gô Nagai, le créateur de la série, il demande à Denis Bajram de rejoindre le projet. Tous les deux travaillent sur l’histoire, pendant que Denis Bajram s’attaque au dessin avec l’aide de Brice Cossu et Alexis Sentenac. C’est Yoann Guillo qui donne la touche finale en mettant en couleurs les planches.
Il faut lire cette histoire complète comme l’épilogue de la série. Elle est compréhensible, même pour ceux qui n’ont pas vu cet anime des seventies. Ce n’est pas un hommage distancié, mais un véritable hommage au premier degré d’auteurs français, tous nostalgiques de la série, au travail du mangaka. Dans un style graphique éblouissant, aux ambiances sombres travaillées et aux séquences d’action spectaculaires, les auteurs donnent profondeur et maturité aux personnages un peu lisses de la série d’origine. Tous ont vieilli et s’interrogent maintenant sur leurs actions. Ainsi, Actarus cherche-t-il à comprendre les motivations de ses adversaires avant d’entamer un énième combat. Il prend appui pour sa réflexion sur l’expérience de Rigel (personnage utilisé pour son ressort comique dans la série) ; vétéran de la guerre du Pacifique, le vieil homme lui conte une expérience personnelle qui l’a rapproché d’ennemis mortels lors des combats et probablement sauvé la vie.
Traversé de thématiques contemporaines, notamment sur les migrations et l’accueil des migrants, profondément humaniste, le magnifique album qu’est ce surprenant « Goldorak » est la récompense de quatre ans de travail acharné d’auteurs complets : des amoureux de la série qui ont su sublimer leurs souvenirs dans cette histoire inédite qui n’appelle pas de suite, du moins à court terme. Vous y trouverez le parfum des épisodes mythiques d’il y a près de 50 ans dans un récit intense, moderne, libre, complexe et émouvant. Bref une totale réussite.
À noter que ce « Goldorak » du XXIe siècle a bénéficié d’un tirage limité grand format de 10 000 exemplaires avec une vingtaine des pages en plus, une couverture variante et un tiré à part du plan de Goldorak, le tout sous coffret. Avec les précommandes, cette édition est épuisée avant même sa sortie en librairie
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Goldorak » par Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Xavier Dorison
Éditions Kana (24,90 €) – EAN : 978-2-5050-7846-3
« Coffret collector BD Goldorak » par Denis Bajram, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Xavier Dorison
Éditions Kana (45,00 €) – EAN : 370-1167177068
(1) Selon Jean-Marie Bouissou qui parle d’une « génération Goldorak »qui devenue adulte a provoqué le développement spectaculaire du marché du manga in « Pourquoi le manga est-il devenu un produit culturel global ? », Esprit,‎ 2008.
Lu cet album, épaté par le boulot fourni! Mise en page, couleurs, dessins, tout y est remarquable! Je ne m’attendais pas à ça…