À peine étions-nous remis de sa cruelle – et non moins excellente – « Cuisine des ogres » que Fabien Vehlmann, scénariste toujours bien inspiré (1), nous assène un nouvel album de plus de 100 pages : une fresque sauvage, poétique et captivante, remarquablement mise en images et en couleurs par l’artiste barcelonais Roger Ibáñez Ugena, qui signe simplement Roger et qui est surtout connu pour sa série « Jazz Maynard ». Cette fois-ci, l’histoire, aussi philosophique que dense et profonde, est pleine de sang, de bruit et de fureur…
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Une nouvelle vision de Lucky Luke : « Choco-Boys » de Ralf König !
Après Matthieu Bonhomme, Guillaume Bouzard et Mawil, c’est l’auteur allemand Ralf König qui s’est vu invité à rendre hommage au cow-boy de Morris. Amateur du cavalier solitaire dès son plus jeune âge, Ralf König s’empare de l’univers de Lucky Luke pour se l’approprier de belle manière, en y intégrant les thématiques de toute son œuvre : l’homosexualité, les questions de genre et leur acceptation.
Lucky Luke cherche un peu de repos. Pour cela, il se rend au job center de Straicht Gulch, afin d’y trouver une mission paisible. Le responsable du centre l’invite à entrer, en le faisant passer devant un autre postulant. Luke s’en inquiète, mais on lui fait comprendre que cet autre cow-boy n’inspire aucune considération. En effet, cet homme (Bud Willis) s’est un peu trop rapproché de l’un de ses collègues lors d’une pâture. Bud attend près du bureau d’embauche, afin de retrouver cet ami.
Ne prêtant que peu d’attention à ces considérations, Luke accepte le convoyage avec Bud d’un rare troupeau de vaches. Les deux hommes accompagnent le propriétaire des précieux bovins à la gare. C’est avec plaisir que Luke découvre qui s’est occupée des animaux durant le voyage : son amie l’exubérante Calamity Jane. Elle ne sera pas la seule habituée de l’univers de Morris à faire une apparition.
Luke et Bud sont alors présentés à Heidi, Louise, Sophia, Hélène et Marguerite — cinq vaches grasses et saines venant de Suisse — pour fournir une crème grasse et saine à la fabrication de chocolats suisses de haute qualité : leur propriétaire voulant conquérir l’Amérique avec ces friandises. Arrivés à Dandelion Valley, le paradis pour les cinq Suisses, les cow-boys n’y ont pas grand-chose à faire. La nonchalance s’installant, Bud et Luke en viennent aux confidences.
Ralf Kônig a expliqué dans de nombreux entretiens la genèse de cet album. Il s’agit d’une proposition de l’éditeur allemand gérant les droits outre-Rhin de Lucky Luke d’apporter sa pierre à cette légende de l’Ouest. Un vrai cadeau pour l’auteur, qui fan du cow-boy de Morris, avoue que « Le héros de bande dessinée exceptionnel de mon enfance était définitivement Lucky Luke ! Je connaissais le tome 22 “Calamity Jane” par cœur, mais aussi “La Diligence”, “Chasseur de primes,”, “Billy the Kid”, “Le 20e de cavalerie”, tous des classiques adorés ! » (1)
L’auteur avait juste deux impératifs à respecter : Lucky Luke ne devait pas reprendre la cigarette et ne pas devenir homosexuel au cours de cet hommage. Une évidence pour König : la sexualité de Luke n’apparaissant dans aucun album, il ne voyait pas l’intérêt de le faire maintenant. En revanche, pour le créateur de la série « Les Nouveaux Mecs » et « Conrad et Paul », il était hors de question de ne pas placer de cow-boys gays dans son histoire. C’est bien sûr ce qui fait tout l’intérêt de « Choco-Boys », en plus de sous-intrigues amusantes ou l’aspect métadiégétique du récit.
Photo : Facebook / Ralf König.
Tout au long de son œuvre, Ralf König a usé de l’humour pour lutter contre l’homophobie et prôner la tolérance envers les différentes orientations sexuelles. Loin de sa truculence habituelle, Kônig distille ces thèmes de manière fine et astucieuse, comme cette pirouette langagière utilisée par certains personnages pour parler des gays sans les nommer. À l’instar de ses prédécesseurs, à qui il fait un clin d’œil, König amorce aussi d’intéressantes propositions autour de la vie de Lucky Luke, concernant son célibat ou son choix de ne jamais tuer.
Un mouton, Terrence et Bud.
C’est une vraie réussite lorsque les éditeurs laissent à un créateur atypique les rênes d’une franchise permettant une relecture décalée et singulière d’un univers. Métissant le canon Morissien avec ses créations personnelles, comportant comme il le signale en postface « des cow-boys gays, des pétroleuses lesbiennes et des amérindiens queers », Ralf König réalise un récit drôle, inventif et tolérant.
Brigh BARBER
Lucky Luke et Jolly Jumper en compagnie d'une vache suisse.
(1) Propos repris dans un entretien pour la librairie autrichienne Pictopia.
Différentes plateformes proposent le visionnage du documentaire « Ralf König, roi des bédés » réalisé par Rosa von Praunheim en 2012.
« Choco-Boy » par Ralf König
Éditions Lucky Comics (16,00 €) — EAN : 9 782 884 714 891
L’album a l’air intéressant et l’article m’a appris un mot : « métadiégétique ».
Reste à savoir si les cowboys gays tirent aussi plus vite que leur ombre.
A vous de voir
J’étais un peu réticent à lire cette série »en hommage à Morris » mais l’ai quand même acheté par curiosité. Je viens d’en terminer la lecture et j’ai vraiment adoré. Merci à Ralf pour ce bon moment de lecture.