« Astérix et le griffon » : la mission qui venait du froid…

39e volume de la célèbre série, mais premier à paraître après la mort d’Albert Uderzo (le 24 mars 2020), « Astérix et le griffon » est attendu ce 21 octobre : l’album est accompagné par une stratégie de lancement aussi efficace qu’immuable, alternant indices, humour, visuels… et rares révélations. Avec ses cinq millions d’exemplaires (dont deux pour la France), ce mastodonte éditorial traduit en 17 langues doit conduire nos héros sur les traces d’un terrifiant animal, présent dans de nombreuses mythologies antiques. Toutes griffes dehors, suivons-les dans le froid pays des Sarmates en compagnie des irréductibles auteurs : Jean-Yves Ferri et Didier Conrad !

Le souvenir d'Uderzo.

Un titre et encore beaucoup de mystères... (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Depuis octobre 2013 et « Astérix chez les Pictes », lecteurs et médias savent qu’un nouvel album d’Astérix voit le jour à l’automne tous les deux ans, en alternance chez Dargaud avec une autre star de la bande dessinée franco-belge, Lucky Luke. L’efficace marketing des éditions Albert René parsème les mois et semaines précédentes de divers effets d’annonces : proclamation du titre au printemps, visuels divers (extraits du storyboard, crayonnés, strips, case inédite ou planche publicitaire) jusqu’en septembre, dévoilement de la couverture enfin, généralement une semaine avant le point d’orgue de la parution. Ce calendrier sera sans doute adapté dans les années à venir pour prendre en considération une galaxie de plus en plus fournie en productions annexes : films (Guillaume Canet tourne actuellement « Astérix et Obélix : L’Empire du milieu » : sortie prévue au deuxième semestre 2022), jeux vidéo (« Astérix & Obélix : Baffez-les tous ! », le 25 novembre prochain) et série dérivée comme le récent « Idéfix et les irréductibles » ou cette mini-série de dessins animés (adaptant « Le Combat des chefs »), tournée par Alain Chabat à destination de Netflix.

La recherche amusée du titre selon Jean-Yves Ferri.

Créature fantastique composée du buste et des ailes d’un aigle, d’un corps de lion et des oreilles de cheval, le griffon apparaît dans la mythologie moyen-orientale au IV millénaire avant J.-C. On le retrouve dans l’ensemble des cultures méditerranéennes au fil des siècles suivants, et dans divers emblèmes ou logos jusqu’au XXIe siècle (TAI, Saab, Vauxhall, etc.). Symbolisant la force, le courage, la ruse, la richesse intellectuelle ou la sagesse, le griffon est une figure qui comporte de fait l’ensemble des thèmes associés aux aventures de nos fiers Gaulois… l’humour en moins !

Bas-relief en marbre représentant deux griffons sur une sépulture romaine.

D'autres créatures fantastiques dans les aventures d'Astérix.

Première planche promotionnelle et jeu de piste ! (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Dès l’apparition des premiers indices visuels, Jean-Yves Ferri avait précisé (dans Le Journal du Dimanche, le 3 janvier 2021) que Panoramix, Astérix et Obélix allaient essentiellement voyager pour aider un vieil ami… tout en restant volontairement mystérieux sur la destination choisie : « Je peux dire qu’il s’agit d’un album « voyage », puisque la dernière aventure se passait au village. Astérix et Obélix partiront pour une destination inédite ; ce qui, vous le savez, est de plus en plus difficile car le duo a déjà visité de nombreuses contrées, de l’Italie à la Grèce, de l’Inde au Nouveau Monde. On peut dire que ce pays n’existe pas vraiment aujourd’hui en tant que tel. Ce périple sera l’occasion de changer légèrement la narration. Chaque album est un petit pas pour amener un peu de neuf. Et Obélix continue sa lente évolution psychologique… ». Dès lors, nombreux furent ceux à tenter de deviner l’endroit traversé ou visé : s’agissait-il des contreforts de l’Himalaya, puisque la planche publicitaire parodiait savamment une séquence iconique de « Tintin au Tibet », ou plutôt des pays du nord de l’Europe (le griffon étant évoqué en ces contrées par Hérodote) ; voire de l’Afrique du Nord ou des bords de la mer Noire, longueur du trajet oblige. Avec ce dernier point de vue, a minima, tous les résolveurs d’énigmes auront eu raison : la temporalité était en effet fortement suggérée dès l’intitulé « Le Grand Périple », donné aux six strips successivement parus – de manière hebdomadaire – dans le Journal du Dimanche à partir du 18 juillet.

Six strips promotionnels encore énigmatiques (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Finalement dévoilée le 11 octobre, la couverture définitive donne la réponse en montrant Astérix et Obélix cherchant leur propre destination, au sein d’une lointaine forêt enneigée. Idéfix, grimpé au sommet d’une idole en bois prenant la forme d’un griffon, semble confronter le connu à l’inconnu, la domesticité à l’étrange. Fier de lui, refusant de redescendre de ce totem, le petit chien chercherait-il à s’émanciper ? De son côté, Jean-Yves Ferri précise en conférence de presse : « Nos Gaulois partent chez les Sarmates, une peuplade nomade d’Europe centrale qui trouve ses racines au moins quatre siècles avant Jésus Christ et qui finit par se fondre dans un peuple comme les Huns. [...] Le griffon dans l’album est l’animal-totem du chaman. Il cristallise un peu l’ignorance des Romains et la manière fantaisiste dont ils imaginent la faune dans un monde, pour eux, encore largement inexploré. Même doté d’un corps de lion et d’une tête d’aigle, le griffon leur paraît au départ pas plus improbable que la girafe ou le rhinocéros. Mais au fur et à mesure de leur progression aux confins du Barbaricum, le doute va s’insinuer. Et s’il s’agissait vraiment d’un dieu puissant de la nature ? Leur mentalité de conquérants va alors commencer à faiblir… [...]. »

« Historiquement, on ne sait pas grand-chose sur ce peuple […] Hérodote, Tite-Live avaient parlé des Sarmates. C’étaient des Barbares, mais un peuple un peu mythique », complète Ferri. De son côté, après une mise en place plus longue qu’à l’accoutumée, Didier Conrad en a profité pour faire graphiquement référence aux cultures russe, kazakhe et mongole. Ce tout en dessinant de nouveaux personnages, dont les noms se terminent volontiers en -ine (à l’instar de Cékankondine). Face à eux, d’inévitables Romains, dont les inédits Jolicursus (un gladiateur spécialisé dans les combats entre animaux), le centurion Dansonjus ou le géographe Terinconus, qui emprunte ses traits à Michel Houellebecq. Partis sur ordre de César pour tenter de capturer l’énigmatique créature totémique, ils se heurteront aux Sarmates, avec lesquels les Gaulois ont sympathisé.

Recherches par Didier Conrad pour le personnage de Dansonjus, physiquement proche de l

L'arrivée au village sarmate (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Comme l’explique à son tour Didier Conrad : « C’est un eastern ! Vous retrouverez dans l’album tous les codes classiques du western : de grands espaces, des héros venus de loin aider des innocents, des « sauvages » qui subissent l’arrivée conquérante d’une armée… mais à l’Est ! » De fait, le scénario oppose le supposé monde civilisé (comprendre pacifié) au monde barbare. En l’occurrence celui des Sarmates, peuple cavalier et nomade qui vécu au nord de la mer Noire du VIIe siècle avant J.-C. jusqu’au VIe siècle de notre ère. Ces ancêtres des Slaves remplacèrent jadis les Scythes en Ukraine, occupèrent la plaine hongroise et finirent par s’établir sur toutes les steppes situées entre l’Oural et le Danube. Pour Ferri, il s’agissait de « suggérer un territoire lointain, une sorte de « royaume sarmate » imaginaire. D’où le choix d’une zone située entre Russie, Mongolie et Kazakhstan. Des traces de sépultures de guerriers nomades ont été retrouvées dans ces régions de l’extrême Est de l’Europe. Et il se trouve qu’un certain Aristée de Proconnèse, poète Grec né vers 600 avant J.-C, y a situé ses étranges récits de voyages. Ça m’a donné l’idée de suivre ses traces et de placer là-bas mon petit peuple sarmate et son folklore de yourtes et de chamans. »

L'expédition romaine en territoire hostile (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Outre la version classique de l’album, « Astérix et le griffon » sera présenté en édition digitale ainsi qu’en version luxe (128 pages regroupant planches en couleurs, crayonnés et une trentaine de pages consacrées aux coulisses de la création ; 13 000 exemplaires prévus) et en prestigieux coffret artbook au look glacé (rassemblant storyboard, crayonnés, encrages et tirés à part signés par les auteurs ; 1050 exemplaires ; 220 €). En parallèle, les lecteurs trouveront en kiosque un hors-série proposé par les éditions Sud Ouest, faisant le tour du sujet « Astérix et la mer » (136 p. ; 8,90 €) – voir Hors-séries « Blake et Mortimer » et « Astérix » : l’art d’utiliser les (beaux) restes ! - : moyens de navigation antiques, monstres et légendes des cités englouties, apports et reconstructions archéologiques, pêche et voies commerciales maritimes… Après « En Bretagne avec Astérix » en 2019, voici donc un excellent moyen de rappeler que presque un album sur deux de la série, voyant donc Astérix et Obélix voyager depuis l’Armorique, côtoie l’élément marin, présence des pirates oblige. Des Gaulois dont les perpétuelles odyssées entrent à leur tour dans la légende contemporaine…

Version luxe et artbook (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Astérix et la mer (éd. Sud Ouest 2021).

Ne mélangeons pas plus les Sarmates et les griffons, en laissant le fin mot de cette chronique à Jean-Yves Ferri, lequel a très aimablement accepté notre interview.

Il y a 60 ans, Goscinny et Uderzo inventaient « Astérix ». Les deux créateurs ayant disparu, vers quelles éventuelles nouvelles directions se tournera la série ? Qui coordonnera le respect potentiel de la « Bible » initialement instaurée ?

Jean-Yves Ferri (J.-Y. F.) :« Les nouvelles éventuelles directions dépendront de l’inspiration et du plaisir éventuel des auteurs. Nous ne sommes pas à la NASA et un album ne se planifie pas de manière aussi stricte ni aussi triste. En tout cas pas au niveau des auteurs. Pour moi, le respect de la « Bible » est vraiment instinctif et se fait « au feeling ». »

« Astérix et le griffon » va donc mettre nos héros sur la piste d’une nouvelle créature légendaire : outre la potion magique et une poignée d’êtres fantastiques (licornes, Nessie etc.) cette présence récurrente du merveilleux/fantastique est-elle l’une des clés de l’imaginaire de la série ?

J.-Y. F. : « Ce n’est pas la piste la plus caractéristique de la série. En tout cas, pour moi, ce n’est pas celle qui a donné les meilleurs résultats. Dans le cas du « Griffon », vous verrez qu’il s’agit plutôt d’une parodie de fantastique. »

Astérix et Obélix à cheval (éd. Albert René/Goscinny - Uderzo 2021).

Planche annonce – au texte pour le coup « confidentiel » – énigmatique, strips (« Astérix et le grand périple ») intrigants mais censés donner des indices sur la prochaine destination de nos fiers Gaulois : des lecteurs ont-ils déjà résolu ce jeu de piste itinérant ?

J.-Y. F. :« C’est un petit jeu amusant. Apparemment, certains lecteurs n’étaient pas loin de deviner la destination des Gaulois. En fait, ce jeu ajoute au folklore. Tout ce « off » fait partie du plaisir. »

Comment, par ailleurs, choisissez-vous de concert tel ou tel voyage, tous les deux albums comme le veut la série ?

J.-Y. F. :« Rien n’est vraiment exigé. Didier et moi, on s’était fixé cette règle voyage/village, parce qu’on la trouvait bonne pour le dynamisme des histoires. Elle n’est pas intangible. Un peu comme les caricatures de célébrités qui ne sont pas toujours obligatoires… Il ne faut pas s’enfermer dans un moule trop rigide. »

Cette aventure a-t-elle été plus difficile ou plus longue à élaborer que les précédentes ? Si oui, pour quelles raisons ?

J.-Y. F. :« Pour moi, au scénario, pas plus difficile (pas moins non plus !). La particularité, c’est qu’elle a été réalisée en plein boum de la pandémie, à un moment où faire de l’humour n’était pas le plus facile à cause de l’atmosphère d’anxiété générale. »

Au jeu des caricatures et références-clins d’œil à l’actualité, que vous êtes vous autorisé dans cet épisode ?

J.-Y. F. :« Au détour des dialogues, il y a quelques allusions légères à la pandémie, mais ce n’est pas du tout un thème principal. Pour les caricatures, une personnalité du monde des Lettres interprète (très bien d’ailleurs) un rôle de Romain. »

Terinconus, une caricature de Michel Houellebecq.

En parallèle, Idéfix mène désormais ses propres aventures, sur papier et à l’écran (« Idéfix et les irréductibles ») ; que pensez-vous de cette série spin-off et y ferez-vous référence ? L’on pourrait songer à la même chose du côté du 7e art, avec le prochain film de Guillaume Canet…

J.-Y. F. :« Nous n’avons que très peu à voir avec la démarche des autres auteurs, au cinéma ou même dans l’édition. Ce sont des univers assez distincts. Pour Idéfix par exemple, les libertés sont grandes puisque la série évoque son parcours avant l’apparition des héros. Idéfix a aussi un rôle un peu particulier dans « Astérix et le griffon », mais c’est une coïncidence. »

Déjà des idées pour l’intrigue suivante, qui sera aussi celle du 40e album ?

J.-Y. F. : « Comme disait De Gaulle (de Gaule…), cet autre héros : « Des chercheurs, on en trouve, c’est des trouveurs qu’on cherche ! ». Une pause est nécessaire à chaque fois pour digérer chaque album. Un autre phénomène est que chaque album en « suggère » un autre, bien différent. La trajectoire se fait ainsi par corrections successives. Pour l’instant, juste des pistes possibles… »

Le gladiateur animalier Jolicursus, l'un des nouveaux personnages de l'album.

Philippe TOMBLAINE

« Astérix T39 : Astérix et le griffon » par Didier Conrad et Jean-Yves Ferri

Version classique : Éditions Albert René (9,99 €) – ISBN : 978-2864973492
Version luxe : Éditions Albert René (39,00 €) – EAN : 978-2864976110

Parution 21 octobre 2021

Galerie

6 réponses à « Astérix et le griffon » : la mission qui venait du froid…

  1. RICHARD Foin dit :

    Je ne comprends pas les mentions Dargaud et Albert René sous chaque illustration, s’agit-il d’une co-édition ? Pas possible, Bébert se retournerait dans sa tombe !

  2. Tomblaine dit :

    Si les éditions Albert René ont été fondées en 1979, alors qu’Uderzo n’était plus sous contrat avec Dargaud, les choses ont beaucoup évolué. Jusqu’en 1998, Dargaud est resté détenteur des droits sur les 24 premiers albums (jusqu’à « Astérix chez les Belges ») et donc Albert René de la suite.
    Entre 2008 et 2011, le rachat complet des éd. Albert René par Hachette a entériné la reprise telle que nous la connaissons aujourd’hui (2 nouveaux auteurs et un nouvel album tous les deux ans). Hachette et Albert René sont titulaires de « l’ensemble des droits d’exploitation des éléments composant l’univers d’« Astérix le Gaulois », notamment les marques, dessins, titres, polices de caractères, représentations des personnages, etc. La mention de Dargaud ne se justifie effectivement plus.

  3. Redhouse dit :

    Juste pour rectifier cette célèbre citation du Général :
    « Des chercheurs qui cherchent on en trouve mais des chercheurs qui trouvent on en cherche! »

  4. Pépé malin dit :

    Remarquable album ! Une vraie réussite. La vitesse de croisière semble être atteinte par nos deux « repreneurs » talentueux ! Je crois qu’Uderzo et Goscinny peuvent se reposer sereinement pour l’éternité…

  5. JC Lebourdais dit :

    Lu hier. Bof.

  6. Sébastien dit :

    Je n’ai pas du tout aimé cet album. Le dessin est plutôt bon, même si je trouve qu’il y a parfois trop de personnages dans la même case mais l’histoire est très médiocre. tirée par les cheveux. La police de caractère et les E inversés quand le peuple visité par les gaulois s’exprime m’ont agacé pendant la lecture. J’avais aimé le « Papyrus de César » et « Astérix et la transitalique », un peu moins « La fille de Vercingétorix », mais celui-ci, je regrette de l’avoir acheté. Ne vous laissez pas séduire pas le marketing.

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