Béla Lugosi : un mordu de cinéma !

Entré dans l’histoire du cinéma en 1931 avec le célébrissime « Dracula » de Tod Browning, Béla Lugosi reste – au mieux – un grand mystère pour le commun des mortels. Acteur né ou cliché poussiéreux associé aux rôles de séries B, silhouette aussi culte que décalée, ironiquement réemployé par Ed Wood durant les années 1950, Lugosi méritait bel et bien un biopic : dans son hommage précis et acide, Koren Shadmi rend grâce durant 158 planches à celui qui inaugura pleinement le genre du film d’horreur. Gloires et désillusions alterneront ici comme autant d’épreuves endurées par notre éternel prince des ténèbres aux dents parfois trop longues…

Un acteur désincarné... (planches 3 et 41 - La Boîte à bulles 2021).

Auteur né en Israël et installé à New York, Koren Shadmi a enchaîné ces dernières années les one shots biographiques consacrés à des monuments de la pop culture : citons ainsi Gary Gigax, créateur du mythique « Donjons & Dragons » (dans « L’Éveil du maître du donjon », Glénat 2018) et le pionnier de la télévision américaine Rod Serling (« L’Homme de la Quatrième dimension », La Boîte à bulles 2019). En creusant la veine du fantastique et de ses acteurs oubliés ou mal connus, l’auteur s’intéresse assez naturellement à Lugosi. Il explique : « L’idée du projet a germé lors d’un voyage avec ma femme. Nous écoutions un podcast sur l’histoire et ils avaient couvert divers sujets : l’épisode évoquait notamment Béla Lugosi et je ne pouvais tout simplement pas imaginer quelle vie dramatique il avait eu. Il faudra néanmoins plusieurs années avant que je ne me concentre effectivement sur ce choix. Je n’ai jamais été familier avec les vieux films Universal Monsters, et j’ai essentiellement dû m’y plonger tout en travaillant sur ce livre. Donc, ce choix n’a pas été réalisé parce que j’étais obsédé par les vieux films d’horreur, mais principalement à cause de la mystique de l’image de Lugosi et de son histoire personnelle. En faisant des recherches pour cet album, j’ai découvert une toute nouvelle partie de l’histoire du cinéma que je ne connaissais pas. Quelqu’un qui, pendant des années, a été rejeté comme assez douteux, mais qui a récemment reçu beaucoup plus de respect et d’attention. »

Affiche et photogramme pour le film culte de Tod Browning en 1931.

Lugosi en 1935 dans « La Marque du vampire » (Tod Browning).

Résumons dans les grandes lignes pour ceux qui ignoreraient totalement qui fut Lugosi. Né en octobre 1882 dans une ville alors austro-hongroise, Béla Blaskó (son véritable nom) devient acteur de théâtre et de cinéma muet avant de fuir la répression et d’arriver aux États-Unis au début des années 1920. Ne sachant alors pas parler anglais, il rejoint une troupe d’acteurs hongrois. Il se fait alors remarquer et décroche en 1927 le rôle de sa vie à Broadway en incarnant une centaine de fois « Dracula ». Tirée du roman de Bram Stoker (1897), la pièce de théâtre est jouée à San Francisco en 1928, à l’heure où Universal Pictures flaire un gros potentiel commercial. Destiné initialement à Lon Chaney, gravement malade, le rôle titre échoie finalement à Lugosi… qui accepte un cachet assez dérisoire de 500 dollars par semaine ! Rendu célèbre du jour au lendemain en 1931, Lugosi refuse de rester cantonner au genre naissant du film d’horreur ou film de monstre, et rate notoirement le coche « Frankenstein » (James Whale, 1931), permettant à son tour à Boris Karloff d’accéder à la gloire…

L'heure de la consécration théâtrale (planche 44 - La Boîte à bulles - 2021).

Dévoré par l’ambition, séducteur mais peu heureux en mariage, dépensier et uniquement sollicité pour des rôles ou de films de moindres qualités, Lugosi devient violent. Sa santé fragile le rend par ailleurs dépendant à la morphine et à la méthadone. Usé jusqu’à la corde par l’industrie cinématographique, inquiété par la chasse aux sorcières du maccarthysme pour ses anciennes sympathies communistes, Lugosi ne retrouvera qu’un sourire éphémère avec les tournages d’Ed Wood, réalisateur aussi culte que raté, qualifié en 1980 du titre de « plus mauvais cinéaste de l’histoire du cinéma » ! Las, de « La Fiancée du monstre » (1955) à « Plan 9 from Outer Space » (1959), le duo Wood-Lugosi marquera d’autres générations, à commencer par Tim Burton qui leur rendra un hommage appuyé en 1994, via Johnny Deep et Martin Landau. Ironie du sort, ce dernier recevra l’Oscar du meilleur acteur dans un second rôle pour son incarnation géniale de Lugosi, disparu pour sa part – après une longue cure de désintoxication et sans jamais avoir reçu la moindre récompense issue de la profession – le 16 août 1956 d’une crise cardiaque. Dès sa mort, la légende s’empare de l’homme, certes excentrique et orgueilleux, mais lucide sur ses échecs et ses démons. Les rumeurs diront ainsi de lui qu’il se prenait réellement pour un vampire, ne dormant plus – dans un cercueil… – qu’avec sa cape de Dracula (sic). L’humour noir fonctionnera à plein lorsque des clichés révéleront que Lugosi a réellement été enterré en tenue de Dracula… mais uniquement à la demande de sa dernière femme et de son fils.

Un autre film culte de Lugosi : affiche pour « Plan 9 from Outer Space » (Ed Wood, 1959).

En couverture, assez naturellement, l’on retrouve Lugosi incarnant à priori son rôle le plus mythique : typographie années 1930 et mise en scène surjouée appuient ce jeu horrifique référentiel, entre éclairages expressionnistes, regards hypnotiques, femme innocente et victime, menace monstrueuse et couleurs rougeoyantes. Rappelant aussi le passage du noir et blanc à la couleur, ce visuel évite habilement d’habiller réellement Lugosi en Dracula (qui ne porte donc ici aucune cape mais plutôt un smoking). L’auteur explique ainsi : « En ce qui concerne la couverture du livre, je voulais essayer de montrer Lugosi sous son aspect le plus hypnotique et de mettre en valeur son regard intense. J’ai regardé pas mal de photos de lui et je me suis concentré sur une photo publicitaire d’un film de vampire ultérieur. Voici donc Lugosi au début de la soixantaine probablement. Nous avons décidé de ne pas le montrer dans sa tenue de Dracula pour éviter toute sorte de réclamation d’Universal. Je pense que le film entrera dans le domaine public dans deux ans de toute façon, mais il vaut mieux jouer prudemment… J’ai demandé que la conception typographique évoque également les films d’horreur de cette époque. À la fin du livre, vous pourrez voir une sélection d’autres croquis que j’avais fournis à l’éditeur avant de choisir cette couverture. » Préfacé par François Theurel, alias Le Fossoyeur de films, l’ouvrage est une très belle réussite dans le genre, reconstruisant l’humain pour expliquer une icône qui ne manquera éternellement jamais de mordant.

Philippe TOMBLAINE

« Lugosi : ascension et chute d’un monstre de cinéma » par Koren Shadmi
Éditions La Boîte à bulles (24,00 €) – EAN : 978-2849534052

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Une réponse à Béla Lugosi : un mordu de cinéma !

  1. Monstre de cruaute, dandy arrogant, heros romantique, vieux beau ridicule, amoureux fou, esthete decadent, creature malheureuse d’etre condamnee a l’immortalite, obsede sexuel, marginal tourmente, declasse vivant comme un zombie, adolescent rebelle, le vampire est un formidable personnage de cinema et s’accorde a tous les genres. Quelque 300 films lui sont consacres, dont quelques-uns ont marque l’histoire du art.

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