Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Roger Bussemey : une carrière discrète exemplaire… (première partie)
Bien qu’ayant fait rêver plusieurs générations de jeunes lecteurs avec ses fameux Moky et Poupy, flanqués de leur compagnon l’ours Nestor, le nom de Roger Bussemey, comme celui de bien d’autres auteurs d’après-guerre est aujourd’hui bien oublié. Revenons sur la carrière sans faille d’un auteur complet, scénariste et dessinateur, aussi à l’aise dans le réalisme que dans l’humour. Un auteur modeste, mais brillant qui, avec un peu plus de chance, aurait pu jouer dans la cour des grands.
Fils d’épiciers, Roger Bussemey est né le 4 octobre 1920 à Héricourt dans la Haute-Saône.
C’est parce qu’il ne se sent pas une vocation de commerçant, qu’il quitte sa province en 1942 pour gagner la capitale, avec le rêve de devenir dessinateur.
Il faut dire que cette passion l’habite depuis longtemps : dès l’âge de dix ans, il obtient le premier prix dans un concours de dessin.
Pour gagner sa vie, il travaille un an dans une usine d’aviation à Bois-Colombes en banlieue parisienne, tout en suivant les cours d’une école de dessin par correspondance option dessin animé.
Un an plus tard, tout juste licencié de l’usine où il trouvait le temps long, il est engagé dans un studio d’animation où il apprend vraiment son métier.
En 1944, afin d’éviter le Service du travail obligatoire (S.T.O.) en Allemagne, il se fait oublier dans la clandestinité en province. De retour à Paris, en 1945, il travaille comme chef de studio pour une société produisant des films publicitaires.
La même année, c’est en parfait autodidacte qu’il se lance dans la bande dessinée avec les strips des « Aventures du « Père Clodo » » dans le quotidien national L’Aurore.
Des débuts entre humour et réalisme
Le jeune dessinateur effectue ses premières démarches au sein de la presse quotidienne, lesquelles s’avèrent fructueuses. Fin 1946, il obtient la commande d’un premier strip humoristique : « Zidore », publié dans Le Patriote de Saint-Étienne. Ce personnage sympathique au visage lunaire sera le héros de 424 bandes proposées jusqu’en 1949 : « Zidore et Pied de Canard », « Zidore et Miche », « Zidore et le fantôme »… enfin « Les Nouvelles Aventures de Zidore et Miche ». Toujours pour la presse, il adapte « La Chartreuse de Parme » dans Libération,
crée « Blondine » en 1949, puis plus tard dessine « Le Comte de Monte-Cristo » dans L’Écho du Centre en 1958.
Enfin, au début des années 1960, il anime « Ah ! Placide » dans L’Est républicain. Il dit aussi avoir travaillé pour L’Aurore et L’Humanité, mais nous n’avons pas trouvé trace de ces travaux.
Toujours en 1946, il est embauché par les éditions de Montsouris qui redonnent vie à Lisette et Pierrot : leurs hebdomadaires d’avant-guerre.
Avant de figurer aux sommaires de ces deux journaux, il réalise quatre séries de six mini albums de récits complets en noir et blanc, au format à l’italienne : « Zidore », « Bob », « Sylvestre » et « Clodo ».
Notons « Les Aventures du père Clodo », « Le Père Clodo fait du camping », « Le Père Clodo et le contrebandier » (certainement des reprises des strips parus depuis 1945 dans L’Aurore), « Sylvestre au fond des mers », « Sylvestre chez les nègres », « Sylvestre voyage vers le pôle », « Bob fait du canot », « Bob part en vacances », « Bob et l’homme noir », « Zidore jockey », « Zidore détective », Zidore et Bienfait »….
Les six récits complets de 12 pages que totalise chacune de ces quatre séries publiées en 1946 font l’objet de publicités régulières dans Lisette.
Les modestes fascicules de ces histoires à l’humour bon enfant sont réunis dans quatre petits albums, à la fin de 1946. Toujours en 1946, il écrit et met en images « Petite Princesse » : un court roman illustré publié du n° 20 (06/10/1946) au n° 31 de Lisette.
On découvre régulièrement ses couvertures et ses illustrations dans cet hebdomadaire, jusqu’en 1950.
On lui doit les dessins de « La Bague de Vercingétorix » : un roman d’Anne François présent du n° 27 au n° 44 de 1948.
Signalons, pour en terminer avec Lisette, deux couvertures plus tardives proposées dans les n° 34 et 37 de 1952.
Pierrot, dont le premier numéro sort le 18 mai 1947, lui ouvre plus largement ses pages.
Dès le n° 6 (08/02/1948), il dessine dans un style réaliste encore hésitant les aventures de Kriss l’éclair : une histoire de jungle classique, en 16 pages, qui prend fin dans le n° 21. Un deuxième épisode (« L’Île mystérieuse ») est proposé du n° 23 au n° 42.
Le n° 43 (24/10/1948) voit débuter « Le Mystère du Pacifique » : un polar au goût américain qui prend fin dans le n° 2 de 1949.
Au fil des pages, son dessin s’affirme, lui permettant d’aborder sereinement la série « Woopy ! », dans un style semi-réaliste plus personnel.
Les aventures de ce petit Indien ami des animaux, souvent présentées avec les textes placés sous les images, commencent dans le n° 15 (10/04/1949) et obtiennent, rapidement, l’honneur de figurer en première page. La série, bien que prometteuse, prend fin avec le changement de formule de Pierrot en décembre 1951.
Tout en travaillant pour Montsouris, il démarre une collaboration régulière avec l’hebdomadaire O.K lancé le 15 mai 1946 et dont le rédacteur en chef est le dessinateur René Detire. Il illustre des nouvelles à partir du n° 49 (29/05/1947), réalise de nombreuses couvertures (n° 51, 59, 63, 85, 86, 87, 99…) avant de dessiner « Grand Nord » du n° 75 (27/11/1947) au n° 89.
Un second épisode de cette série réaliste ayant pour cadre le Canada, où évolue son héros le sergent Joé, est proposé du n° 114 au n° 140 (10/03/1949). À la même époque, il illustre « Les Trois Mousquetaires » : le roman d’Alexandre Dumas, proposé sous forme de feuilleton.
On le rencontre aussi dans l’hebdomadaire Jocko et Poustiquet lancé le 4 novembre 1954. Il dessine, dès le premier numéro, le strip humoristique « Bob et Coco » qu’il poursuit jusqu’au n° 90 (et dernier) en juillet 1956.
On lui doit également la mise en images d’une courte adaptation de « Pantagruel » par Jean Follet, proposée jusqu’au n° 17.
En 1956, il démarre une fructueuse collaboration avec l’hebdomadaire Line lancé conjointement par Georges Dargaud et les éditions du Lombard un an plus tôt. Il y illustre des fiches didactiques (« La Forêt en automne », « Les Villes d’art »…) à partir du n° 86 (01/11/1956)
et réalise une dizaine de récits complets : « Marie Curie », « Pocahontas », « Marie Read », « La Grande Mademoiselle », « Catherine de Médicis », « Le Prisonnier de tante Mélanie », « L’Étrange Madame Dieulafoy ».…
On lui doit surtout les aventures de Bergamote réalisées avec la scénariste Christiane Fournier.
Quatre épisodes à suivre sont publiés du n° 113 (09/05/1957) au n° 388 (15/08/1962) : « L’Île du bonheur », « Le Rallye du cœur », « Le Royaume englouti » et « Yok, le petit prince ».
Accompagnée du chien Top, Bergamote est une jeune fille moderne et curieuse qui, avec ses amis, se trouve mêlée à des histoires mystérieuses au cours de voyages lointains. Au fil de ces pages, le dessin réaliste de Roger Bussemey gagne en assurance.
On lui doit aussi, en 1963, quelques épisodes complets des enquêtes de Jane Stove : la célèbre romancière détective. Une héroïne prometteuse dont les aventures sont interrompues par la disparition de Line : périodique terrassé par la presse yéyé, en mai 1963.
Enfin, notons une histoire de 32 pages dans le registre humoristique publiée par L’Intrépide : « Tonton Barnabé ». Ces déboires d’un vieux trappeur encore vert sont présents du n° 601 (01/07/1961) au n° 608 du magazine des éditions Mondiales : des pages qui seront bien plus tard proposées sous forme d’album par Plotch Splaf,en 2016.
En 1963, il est présent dans l’hebdomadaire didactique Tout l’univers publié par Hachette, qui à l’époque connaît un grand succès. Il y dessine « Monsieur Globbe Trotter », puis une adaptation de « L’Odyssée » par H. de Bruxeuil.
Du début des années 1950 jusqu’en 1958, il est employé comme maquettiste de l’hebdomadaire féminin Intimité publié par les éditions Mondiales. Cette charge de travail à temps complet explique une production moins intensive, tout au long de cette période.
1956 : L’aventure Fleurus commence…
Songeant à quitter son emploi de maquettiste pour se consacrer uniquement à la bande dessinée, Roger Bussemey cherche de nouveaux supports.
Sa visite rue de Fleurus aux éditions du même nom s’avère fructueuse, puisque les trois journaux du groupe, qui viennent d’augmenter leur pagination, sont alors à la recherche de nouveaux dessinateurs et lui ouvrent leurs portes.
Il rejoint ainsi Pierre Chéry (1), Guy Mouminoux, Jean-Claude Mézières (2), Jean Giraud (3), Jean Lebert, Francisco Hidalgo (4), Pierre Koernig (5)… : eux aussi venus renforcer l’équipe d’origine en place.
Une aubaine pour l’éditeur catholique qui récupère un dessinateur possédant déjà un bon coup de crayon, aussi habile dans l’humour que dans le réalisme.
À une semaine près, c’est Âmes vaillantes qui le publie en premier : dans son n° 49 (02/12/1956) qui propose ses illustrations destinées à une nouvelle (« Marka ») et dans le n° 50 avec une histoire dessinée (une vie de « Sainte Adélaïde » en deux strips, avec le texte placé sous les images).
En janvier 1957, il illustre « L’Onagre d’argent » : un roman de Louise Noëlle (L. N.) Lavolle repris dans la collection Jean-François chez Fleurus/Gautier-Languereau.
Sa présence dans Âmes vaillantes est peu importante jusqu’au n° 25 (22/06/1958), où la série « Moky et Poupy » fait leur apparition.
Ces deux petits Indiens de la tribu des Pieds agiles (le frère et la sœur) évoluent dans un univers contemporain, au sein du village d’Éclair noir (le chef de la tribu).
Ils sont entourés par de nombreux compagnons : la vieille squaw spécialiste en tisanes Chouette Ma-Ma, le conspirateur paresseux et jaloux Renard rouge, l’ours bougon — mais sympathique — Nestor, plus tard rejoint par sa compagne Nestorine, le vieux trappeur Le Père Lapioche…
Huit épisodes de 20 pages sont publiés dans l’hebdomadaire destiné aux filles jusqu’au n° 52 de décembre 1961.
Roger Bussemey adopte un trait humoristique respirant la joie de vivre et la bonne humeur qui obtient rapidement l’adhésion des jeunes lectrices.
Avec son trait réaliste, il propose récits complets et histoires à suivre dans Âmes vaillantes, puis dans son successeur J2 magazine, jusqu’en 1967.
On lui doit aussi une dizaine de récits, le plus souvent historiques, écrits par Guy Hempay, Jean-Paul Benoit, Monique Amiel… : « La Fille de la reine », « La Femme savante », « Charlot »… et quatre histoires à suivre : « L’Arbre qui parle » de Clara – pseudonyme d’Henriette Robitaillie – (n° 18 à 37 en 1961), « Reportage à Venise » de Monique Amiel (n° 5 à 10 en 1962), « Jessie en Alaska » d’Isabelle Gendron (n° 11 à 16 en 1962), enfin « À la poursuite du testament » de F. Alès (n° 28 à 37 de 1967).
À suivre ici : Roger Bussemey : une carrière discrète exemplaire… (seconde partie).
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
(1)    Voir Pierre Chéry : franco-belge et heureux de l’être !.
(2)    Voir Quand Pierre Christin signait Linus : 1re partie, le rêve américain….
(3)    Voir Pour se souvenir de Jean Giraud (alias Gir ou Moebius)….
(4)    Voir Le photographe Francisco Hidalgo était aussi dessinateur de bandes dessinées….
Encore un « forçat » de la Bande Dessinée
;o)
Mille merci pour cet article sur Roger Bussemey que j’attendais avec impatience !
Tout comme pour Albert Uderzo, je n’imaginais pas le nombre de travaux qu’il a réalisés avant de démarrer sa série-phare. Une époque étrange, pour nous, avec beaucoup de demandes de dessinateurs, pour beaucoup de magazines, sans forcément les payer plus qu’aujourd’hui…
Avec le temps, on voit apparaître les « tics » de dessins qui feront son charme : ses arbres généreux et cette nature luxuriante, ses animaux très vivants, des indiens depuis très tôt (Woopy, 1949), ses aquarelles de fond, et ses yeux humoristiques inimitables.
Vivement la deuxième partie !
(j’ai trouvé des « Pilote » où il dessinait des jeux et des gags. Sans compter mes fripounets, bien sûr…)
En 1945, dans l’Aurore, Bussemey a publié des strips de Père Clodo
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k41257380
Merci pour cette information importante (et inédite pour la plupart des admirateurs de Roger Bussemey). On l’intègre dans le dossier d’Henri Filippini.
Bien cordialement, et avec encore tous nos remerciements…
Gilles Ratier
Pour être plus précis, c’est très court Père Clodo parait dans l’Aurore du 19 décembre 1945 au 4 janvier 1946. Le dernier strip publié est bien annoté « à suivre » mais je n’ai pas trouvé de strip après le 4 janvier.
Sinon, il y a aussi une publicité le 18 décembre 1945 pour annoncer l’arrivée de Père Clodo dans l’Aurore.
Merci encore pour ces précisions…
La rédaction