« Les Innommables » par Yann et Conrad : la naissance d’une aventure sans vergogne…

Avec un titre pareil, « Les Innommables » de Yann et Conrad ne pouvaient pas faire les choses comme tout le monde. Apparue dans Spirou en 1980, l’iconoclaste série va en effet manier l’humour noir et le non-politiquement correct comme jamais auparavant. Censurée, remaniée, rééditée par Temps Futurs, Bédéscope/Glénat, puis Dargaud, ses albums chronologiquement réordonnés, additionnés ou non de gadgets et de fins alternatives, la série aux planches savonnées aura fini par perdre une bonne partie de son public ; que ce soit dans la jungle humide de Bornéo, au coin d’une ruelle mal famée de Hong Kong ou à cause d’un bon mot — de trop — lancé par ses irrévérencieux auteurs… Retour aujourd’hui sur la genèse de ces aventures qui en ont vu de toutes les couleurs mais qui n’ont jamais jauni !

« Carte blanche » à Didier Conrad ! Première planche de l'auteur publiée dans Spirou en janvier 1974.

À tout début d’histoire, son contexte. En 1980, Le Journal de Spirou (lancé depuis le 21 avril 1938) a déjà connu plusieurs vies, une page s’étant notamment tournée en 1968 suite au licenciement du rédacteur en chef Yvan Delporte. C’est à son successeur Thierry Martens que revient alors la lourde tâche de renouveler les auteurs-vedettes du journal : les noms de Jean-Claude Fournier, Raoul Cauvin, Willy Lambil, Berck, Claire Bretécher, François Walthéry, Gos ou Marc Wasterlain s’imposeront bientôt dans le grand imagier franco-belge. En 1977, le cadre conventionnel voulu par Charles Dupuis vole une première fois en éclats avec la création du Trombone illustré, génial et mythique supplément clandestin imaginé par André Franquin et Yvan Delporte. L’expérience subversive ne dure que sept mois, mais elle donne des idées… En 1978, lorsqu’Alain De Kuyssche remplace Martens, parti dynamiser le département albums de Dupuis, de nouveaux auteurs font leur apparition. Ces derniers sont assez logiquement destinés à l’animation de pages de jeux (ce sera le cas de Tome et Janry), à la création de récits courts ou à l’enrichissement de la rubrique « Carte blanche ». Imaginé pour la première fois par Thierry Martens dans le n° 1825 de Spirou (5 avril 1973), cet espace récréatif va ainsi permettre l’apparition d’un certain Didier Conrad : envoyées par courrier, ses deux premières planches sont publiées le 10 janvier 1974 (n° 1865). Un exploit, dans la mesure où cet inconnu, né le 6 mai 1959 à Marseille… n’est alors âgé que de 14 ans !

« Carte blanche » pour Yann (première planche publiée en avril 1974).

Aussitôt étiqueté sous le titre amusé de « benjamin de l’équipe », Conrad voit passer dans Spirou, quelques semaines plus tard (n° 1877 du 14 avril 1974), la propre « Carte blanche » de Yann Lepennetier : étonnamment, l’histoire est jugée « médiocre » par l’éditeur qui accepte quand même de la publier… faute de mieux ! Également Marseillais, né le 25 mai 1954, celui qui se fera ultérieurement connaître sous le simple pseudonyme de Yann ne juge alors pas utile de se renseigner sur ce Conrad qui publiera de nouveau dans Spirou (n° 1884 du 23 mai 1974 et n° 1913 du 12 décembre 1974). Ce sont donc les deux mères des auteurs qui vont prendre la décision  — point commun marseillais aidant — de la première prise de contact téléphonique ! Le courant étant passé, Yann et Conrad se décident à travailler ensemble, l’un plutôt tourné vers le scénario et l’autre vers le dessin. Ils gardent comme point de mire le journal de leurs rêves : les titres adultes du moment comme Métal hurlant ou Fluide glacial ? Que nenni : encore et toujours Spirou, où est du reste publiée une « Carte blanche » a priori commune le 28 août 1975 (n° 1950).

Des « Hauts de pages » devenus mythiques... (Couverture éd. Bidouille 1981 et extrait de l'intégrale Dargaud 2013).

En 1978, remontés en voiture de Marseille à Bruxelles, les deux jeunes auteurs ont prévu de rencontrer Thierry Martens, mais arrivent à l’heure où celui–ci cède la place à Alain De Kuyssche. Embauchés, Yann et Conrad débutent néanmoins modestement, sur quelques planches-gags et récits complets. Avec Mythic (Jean-Claude Smit-le-Bénédicte), Conrad lance la série « Jason, Guduk, et Cie » (Spirou n° 2110 du 21 septembre 1978). Retrouvant Yann, les compères vont ensuite se déchaîner sur les « Hauts de pages », prenant la relève d’un premier trio constitué de Frank, André Geerts et Bernard Hislaire. Ils vont critiquer à grands tours de bras tant les auteurs que le fonctionnement interne du journal, dans une redoutable série de strips publiés du 13 novembre 1980 (n° 2222) au 8 octobre 1981 (n° 2269). Acerbes, critiques, moqueurs, osant répandre les pires rumeurs ou glisser de fines allusions sexuelles, Yann et Conrad dynamitent littéralement le très sage Spirou… et finissent par se voir littéralement censurés. Cette insolite aventure sera publiée dès 1981 dans un petit volume à l’italienne faussement titré « Huit Mois dans l’enfer des hauts de pages » (librairie Bidouille à Bruxelles), avant que le matériel ne soit republié in extenso par Dargaud en 2013, sous le titre raccourci « Dans l’enfer des hauts de pages ».

Ce qu'aurait pu être Spirou ! (Couverture du n° 2229, début janvier 1981).

Mais où sont donc passés « Les Innommables », nous demanderez-vous ? Patience… Pour l’heure, Fournier n’ayant pas convaincu avec son scénario « La Maison dans la mousse », Dupuis cherche en 1980 rien moins que les futurs repreneurs de « Spirou » : Nic Broca, Charles Degotte et Stephan Colman, Tome et Janry ou Yann et Conrad ? Alors que ce dernier vient d’obtenir l’extraordinaire aval du maître Franquin pour dessiner son Marsupilami, les deux compères comprennent cependant que la direction n’est pas forcement très chaude pour confier le héros maison à deux iconoclastes. Dommage, si l’on considère par exemple les quelques dessins réalisés sur ce thème, tels la couverture de Spirou n° 2229, publiée le 1er janvier 1981. Alain De Kuyssche a d’autres idées pour eux : ils voudraient une grande série d’aventure à la « Buck Danny »… mais en plus drôle. Alors Conrad, moyennement inspiré, dessine une version semi-parodique où figure un aviateur bellâtre prénommé « Chuck Willys ». Ce Chuck (comme Norris) Willys (comme la jeep) a tout juste le temps de parodier sur deux planches les tonalités comics du « Steve Canyon » de Milton Caniff : dans les toutes premières cases de « Matricule triple zéro », récit débutant dans Spirou n° 2182 (7 février 1980), le voici tout droit expédié à l’hôpital, écrasé à la sauce cartoon par un véhicule de l’armée. C’est dire à quel point Yann et Conrad tiennent leur supposé héros en considération…

Page annonce parue dans Spirou n° 2180 (24 janvier 1980).

Des héros comme on n'en fait plus... (couverture du n° 2182 et première planche pour « Matricule triple zéro » en février 1980).

Au bas de cette première planche de « Matricule triple zéro » apparaissent trois trublions nommés Mac (le gros), Tony (le maigre) et Tim (le nain). Conrad trouve les noms, Yann commence par dessiner et rajoute des gags, avant de laisser son ami assurer la partie graphique. Prenant place à la fin des années 1940, l’aventure voit essentiellement nos trois tire-au-flanc rendre perpétuellement fous de rage tous leurs supérieurs ; à commencer par le général Mac Ernest, officier aussi corrompu que complexé, responsable d’un camp où sont affectés les pires ratés de l’armée américaine. Et subitement, en couverture de Spirou n° 2186 (6 mars 1980), apparaissent (sans prévenir…) « Les Innommables » ! Choisi par Mythic, ce titre allait impacter toute une génération de lecteurs prompts à savourer toutes les irrévérencieuses références (à commencer par le satirique « MASH » de Robert Altman, 1970) ou les douteuses répliques de l’impayable trio. Au grand dam d’Alain De Kuyssche.

« Les Innommables » sont officialisés en couverture du n° 2186, le 6 mars 1980.

Poursuivis par les sbires du FBI, Mac, Tony et Tim décident in fine de réintégrer leur base militaire, impensable refuge protecteur qui les voit « repartis pour cinq ans », comme le stipule la dernière case de « Matricule triple zéro » (n° 2192 du 17 avril 1980). Certains cadres Dupuis ne cautionnant en rien l’affaire, les fans de cette prime aventure devront attendre des années avant de la retrouver en album : en effet, elle ne sera — indirectement — jointe aux « Innommables » qu’en 1996, lorsque Dargaud se décidera à republier « Aventure en jaune », complétée des 45 planches (en noir et blanc) de « Matricule triple zéro » et des deux planches introductrices « Chuck Willys ».

Page annonce parue dans Spirou n° 2218 (16 octobre 1980).

« Shukumeï » : couverture du n° 2119 (23 octobre 1980) et planche 1.

Cherchant une suite immédiate, Yann et Conrad imaginent « Shukumeï », titre traduit par « fatalité ou destin » en japonais. La semaine précédent la parution (dans le n° 2119 du 23 octobre 1980), cette naissance est annoncée par Spirou en personne, dans une ironique page annonce d’anthologie. L’on retrouvera avec plaisir les 120 kg et le cigare de Nick Mc Buttle (dit Mac), le ton perpétuellement sarcastique et négatif d’Anthony Key (dit Tony) et la batte de baseball du naïf Timothy O’Rey (Tim), envoyés en mission malgré eux dans la jungle de Bornéo pour y retrouver la carcasse d’un avion perdu pendant la Seconde Guerre mondiale. Et, très accessoirement, la bombe atomique initialement destinée à raser Tokyo. Antimilitaristes en diable, Yann et Conrad truffent leurs planches de situations désopilantes et de références diverses : citons ici ces deux évidences que sont « Le Salaire de la peur » (film d’Henri-Georges Clouzot en 1953, d’après le roman de Georges Arnaud paru en 1950) et « La Nuit des morts-vivants » (George A. Romero, 1968). Au menu de cet épisode survolté : des Japonais survivants et cannibales (persuadés que le conflit n’est pas achevé), des déserteurs US, une secrétaire de général enamourée (de Tony), un chef d’expédition dépassé et un lieutenant (Adam Damage), tendre bricoleur de génie qui rejoindra bientôt le trio initial. Sans oublier un drôle de cochon, adopté sous le surnom de Raoul à la planche 23, et qui finira par rendre bien des services aux Innommables dans leurs aventures futures…

Couverture du n° 2224 (27 novembre 1980).

Les 45 planches de « Shukumeï » poussent le bouchon toujours un peu plus loin : cette fois-ci, les auteurs ont réussi à faire accepter une bordure noire autour de leurs planches ; « pour faire cinéma » disent nos divas, qui n’imaginent pas la facture salée à la sortie des rotatives ! Pour le troisième volet, « Cloaques », ils veulent pousser la pagination à 60 planches. À ce jeu-là, Thierry Martens ferme la porte aux albums. Les quarante planches de « Shukumeï » ne seront proposées qu’en mars 1987 par Bédéscope/Glénat, quatre nouvelles planches venant enrichir le récit en guise de conclusion. Un bras de fer débute, tandis que Charles Dupuis découvre à Bruxelles la fameuse soixantaine de pages de « Cloaques », déjà dessinées en intégralité par Conrad. Découvrant une scène de bagarre au couteau entre deux jeunes femmes aux seins nus, Dupuis exige la suppression immédiate de la scène. Yann et Conrad s’insurgent, refusant toute censure. Et sont remerciés. Revenant peu après sur sa décision, Dupuis charge De Kuyssche de leur proposer un long feuilleton de 300 planches, dans l’esprit d’une fresque aventureuse digne du « Secret de l’Espadon » selon Jacobs. Un véritable défi, à une époque où les récits à suivre sont calibrés dans l’univers franco-belge pour les fameux 48 CC (cartonné et en couleurs), format devenu le plus rentable pour l’éditeur.

« Shukumeï » version Bédéscope/Glénat en mars 1987 : couverture et première planche redessinée.

Une nouvelle version de « Shukumeï » est proposée en 2002 par Dargaud sous une deuxième maquette, mise en couleurs par Cyril Liéron (couverture et premières planches).

Quid de « Cloaques » ? Dans cette histoire, alors que Mac, Tony et Tim sont revenus dans leur camp militaire situé près de New York, Tim s’enfuit après avoir subi des moqueries. Déguisé en petite fille, il a à faire avec les pires pervers de la ville. Au même moment, les États-Unis entrent dans la guerre de Corée. Le général Mac Ernest refuse que ses hommes partent au combat : normal, ils ne connaissent même pas le mot ! Parmi les nouveaux personnages figure Claire, une jeune paumée qui rejoint le groupe des « Innommables » après avoir rencontré fortuitement Tim. Jamais publiée chez Dupuis, cette aventure sera annoncée chez Bédéscope/Glénat en 1986, cet éditeur ayant alors réussi à faire éditer deux autres titres de la série (« Aventure en jaune » et « Shukumeï »). Las, car ce troisième volet ne verra en définitive pas le jour avant le mois de juin 1997, lorsque Dargaud le transforme en sixième volet de la série d’albums éditée avec succès à partir de 1994. Transformé, avons-nous bien précisé, car le récit est alors modifié pour faire suite au « Cycle de Hong-Kong », lui-même constitué de cinq titres imaginés entre 1986 et 1996. Les planches originales, retravaillées, sont étalées sur deux albums (le second étant « Poupée de bronze », paru chez Dargaud en 1998) pour ouvrir « Le Cycle de Corée » (lequel s’achève avec le T9, « Pas-de-mâchoire », publié en mars 2000). Vous suivez toujours ? Seule chance pour les fans de retrouver (en noir et blanc) les 60 planches de « Cloaques » dans leurs versions initiales : se procurer le tirage de tête (999 exemplaires) proposé en grand format par Dargaud en janvier 1996, ex-libris n°/signé en prime.

« Cloaques » : couverture et extraits du tirage de tête Dargaud (1996).

Couverture et extraits de la version de « Cloaques » proposée par Dargaud en mai 1997.

Planches 6 et 7 (Dargaud, 1997).

Arrivons à l’épisode le plus célèbre des « Innommables ». Celui-ci aurait pu s’intituler « Et Dieu vit que cela était bon… », « Le Lotus pourpre », « Des Blancs et des Jaunes » ou « Sampan Talon » (sic), mais les auteurs préférèrent opter pour « Aventure en jaune », toute référence amusée à Bob Morane et à l’Ombre jaune n’étant pas totalement à exclure. Surtout à l’heure où le duo proposait en parallèle « Bob Marone » (Spirou n° 2255 du 2 juillet 1981), les virils héros d’Henri Vernes étant transformés en homosexuels patentés.

Premières pages d'« Aventure en jaune » dans Spirou en avril 1982.

Débutant dans Spirou n° 2297 le 22 avril 1982, « Aventure en jaune » prend pour cadre le port de Hong Kong en 1950. S’y croisent une jolie agent communiste chinoise (Alix Yin Fu), un tueur redoutable (le vil colonel Lychee), les pensionnaires et clients de la maison close Au lotus pourpre (que Mac est sur le point de racheter), un capitaine pirate (le noir irlandais Mulligan O’Rourke, au ventre proéminent) et l’influente famille Jardine, régnant sur la colonie britannique mais dont le patriarche Edgar redoute l’invasion par les troupes communistes. En guise de toile de fond, les auteurs piochent fort à propos dans une riche matière historique afin d’évoquer les trafics, racismes et corruptions locales, endigués par la potentielle rétrocession d’Hong Kong à la Chine (seulement effective en 1997) et les rivalités entre Tchang Kaï-chek et les troupes maoïstes. Yann replonge également dans ses souvenirs de jeunesse à Marseille, entre ambiances portuaires et univers cosmopolite parfois peu reluisant, ainsi que dans ses films et lectures aventureuses : « Vent d’est, vent d’ouest » (Pearl Buck, 1930), « Macao, l’enfer du jeu » (Jean Delannoy, 1942), « Le Monocle rit jaune » (Georges Lautner, 1964) ou encore « La Canonnière du Yang-Tsé » (Robert Wise, 1966). Après quelques interventions des studios Dupuis pour censurer tel sexe ou telle scène peu recommandée aux jeunes enfants, la publication est interrompue avant la fin (à la planche 46) le 29 juillet 1982 (n° 2311), sur une scène jugée une nouvelle fois bien peu trop sulfureuse pour Charles Dupuis. Cette « Aventure en jaune » ne pourra en conséquence être redécouverte sous une forme achevée (et colorisée par Yann) qu’en janvier 1983, après une première publication en 60 planches réalisée chez Temps Futurs. L’initiative, heureuse, est l’œuvre conjointe du jeune José-Louis Bocquet et du duo de passionnés Stan et Sophie Barets, libraires et éditeurs férus de cinéma bis et de contre-culture. Pour cette version non expurgée, seuls quelques menus détails sont modifiés, à commencer par la date initiale du récit, qui passe de mai à octobre 1949. Surtout, après la scène sulfureuse voyant Alix trouver le réconfort dans les bras de Mac, les lecteurs purent découvrir que le colonel Lychee avait survécu, devenant plus meurtrier que jamais et — au-delà — la très probable Némésis des « Innommables ».

Spirou n° 2302 (27 mai 1982).

« Aventure en jaune » version Bédéscope/Glénat (mars 1986).

Quiconque aura jeté un œil en 4e de couverture d’« Aventure en jaune » version 1983 n’y verra rien de spécifiquement annoncé, signe pirate du Yellow X mis à part. Il en va autrement avec la réédition proposée par Bédéscope/Glénat en mars 1986 sous une couverture alternative. « Aventure en jaune » y devient étrangement le titre d’une hypothétique collection composée de « Matricule 000 », « Shukumeï », « Les Innommables » et « Cloaques ». De quoi y perdre son mandarin, d’autant plus que seuls « Aventure en jaune » et « Shukumeï » (quatrième et deuxième histoire du trio infernal) verront réellement le jour !

« Aventure en jaune », en réédition augmentée chez Dargaud (nov. 1996).

« Aventure en jaune » devient en 2002 le 2e volume de la série, sous une nouvelle maquette Dargaud.

Planches 3 et 4 (Dargaud, 2002).

Et le casse-tête des lecteurs n’est pas fini. À partir de janvier 1994, la série arrive chez Dargaud, qui en propose une première version remaquettée, chronologiquement redisposée… et avec des albums parfois (plus ou moins) redessinés ! Une forte vague de suicides ayant fait le tri parmi les aficionados, les survivants découvrent une nouveauté (« Le Crâne du père Zé », proposé sous trois couvertures différentes), dessinée durant 60 pages dans le style de Morris et faisant suite à « Aventure en jaune ». Ce style graphique proche de « Lucky Luke » s’explique à l’époque avec la création en 1995 de la série dérivée « Kid Lucky », signée par Jean Léturgie et un certain Pearce, pseudonyme choisi par Yann et Conrad. Après « Ching Sao » (janvier 1995), « Au lotus pourpre » (décembre 1995) et « Alix-Noni-Tengu » en janvier 1996 (avec ou sans fin heureuse…), « Aventure en jaune » refait son apparition comme cinquième opus de la série, accompagné de « Matricule triple zéro » (proposé en supplément tête-bêche) en novembre 1996. Recolorisée par Béatrice Constant, l’aventure est redessinée case à case par Conrad (une grande partie des bulles et récitatifs est déplacée), totalisant désormais 74 planches (qui introduisent notamment Alix et Lychee) et y gagnant en limpidité. En mars 2000, à l’occasion de la parution de « Pas-de mâchoire » en T8, est offert le deuxième volet (sur 29 !) d’un vrai-faux comic intitulé « Journey Through the Yellow, chapter one : Colonel Lychee », mettant Alix à l’honneur en couverture.

Couverture d'« Aventure en jaune » pour la deuxième maquette de la série (Dargaud, 2002).

Illustration originale (encre de Chine sur Bristol ; 27 x 28 cm) pour la couverture de « Cloaques » (2e maquette ; Dargaud, 2002).

En décembre 2000, cette fois-ci à l’occasion de la parution de l’intégrale du « Cycle de Hong Kong » chez Dargaud, « Aventure en jaune » est retravaillée en chapitres pour devenir l’aventure introductrice, toujours en 74 planches. Une autre optique est adoptée en avril 2002, lorsque Dargaud propose une deuxième maquette et de nouvelles couvertures pour l’ensemble des « Innommables » : le T1 devient « Shukumeï », le T2 « Aventure en jaune » (qui revient au format 59 planches dans le style Morris) et le T3 « Le Crâne du père Zé », titres suivis de « Ching Sao », « Au Lotus pourpre », « Alix Noni-Tengu », « Cloaques », « Poupée de bronze » et « Pas-de-mâchoire », avant un « Cycle USA » composé de « À l’est de Roswell » (T10, mai 2002), « Au nord de White Sands » (T11, mai 2003) et « Au sud-ouest de Moscou » (T12, août 2004). Certaines aventures étant réduites ou relativement mal positionnées (« Cloaques », troisième récit historique, en guise d’actuel T7 ; les changements apportés après 1997 permettent cependant de le lire après « Le Cycle de Hong-Kong »), il demeure assez probable qu’une future intégrale ou réédition fasse redécouvrir un jour l’entièreté des « Innommables » à un nouveau public. Yann et Conrad, qui lanceront la série dérivée « Tigresse blanche » chez Dargaud en 2005, et que l’on ne saurait réduire par ailleurs aux titres réalisés chacun de leur côté (avec des héros majeurs tels « Spirou », « Thorgal » ou « Astérix »), le méritent amplement !

Dessin original pour la page de titre de « Cloaques », version Dargaud (1996-1997).

Planche originale pour « Cloaques » (1981-1997).

Philippe TOMBLAINE

« Les Innommables T1 : Shukumeï » par Didier Conrad et Yann
Éditions Dargaud (14,50 €) – EAN : 978-2871293804

« Les Innommables T2 : Aventure en jaune » par Didier Conrad et Yann
Éditions Dargaud (14,50 €) – EAN : 978-2871294658

« Les Innommables T3 : Le Crâne du père Zé » par Didier Conrad et Yann
Éditions Dargaud (14,50 €) – EAN : 978-2871294665

« Les Innommables – Intégrale : Le Cycle zéro » (« Matricule triple zéro » et « Shukumeï ») par Didier Conrad et Yann
Éditions Dargaud (25,00 €) – EAN : 978-2505011262

« Les Innommables – Intégrale T1 : Le Cycle de Hong-Kong » (« Aventure en jaune », « Le Crâne du père Zé », « Ching Sao », « Au lotus pourpre » et « Alix-Noni-Tengu » fin malheureuse) par Didier Conrad et Yann
Éditions Dargaud (25,00 €) – EAN : 978-2505013174

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4 réponses à « Les Innommables » par Yann et Conrad : la naissance d’une aventure sans vergogne…

  1. Marcel dit :

    Bonjour,
    A ma connaissance, Yann n’a pas participé à Jason, c’était dessiné (en tout cas signé) par Conrad tout seul.

    • Tomblaine dit :

      Bonjour,

      Vous avez raison : Conrad et Mythic ont signé seuls cette série (non sans mal…), Yann – resté hors-jeu – s’avouant « jaloux » !

  2. Alain D. dit :

    Très bon article !
    J’ai découvert les Innommables à travers la première version de Shukumei parue dans Spirou.
    Je préfère de loin cette version au deux suivantes. A peine âgé de 21 ans, Conrad y a déjà une virtuosité incroyable !

  3. Vincent S. dit :

    Dans cette carte blanche de Yann publiée en 1974, l’élève s’appelle Balac, comme le pseudonyme que Yann utilisera pour écrire les scénarios de Sambre

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