Le retour du trou bleu !

« Blue Hole » est un manga de science-fiction réaliste qui est réédité dans une superbe version, 25 ans après sa première traduction, hasardeuse, en français. Malgré son âge, cette histoire n’a pas pris une ride. Son sujet de fond est même d’actualité avec ses questions de survie de l’humanité sur fond écologique. Les véritables amateurs de SF n’ont aucune excuse pour ne pas plonger au plus profond de l’océan en compagnie de Gaia, s’ils ne l’ont pas déjà fait à l’époque.

L’action se situe au large des Comores. Gaia, son grand-père et d’autres pêcheurs, à bord d’une embarcation légère, capturent illégalement des poissons censés avoir disparu depuis des millénaires. Mais un plus gros morceau va surgir des flots et faire chavirer la coquille de noix, engloutissant le grand-père de la jeune pêcheuse, comme cela avait déjà été le cas pour son père. Suite à cette mésaventure, la jeune contrebandière intéresse fortement l’équipe de chercheurs arrivée sur place, car elle est l’une des rares personnes à avoir côtoyé les profondeurs où se trouve le fameux Blue Hole qui donne son nom à ce récit. Ce trou serait un passage temporel entre notre monde et les temps anciens où régnaient les dinosaures. Le docteur Hawk, l’un des scientifiques de cette expédition étudiant le trou, compte s’en servir pour un projet aussi fou qu’audacieux : construire un tuyau géant entre les deux mondes pour rejeter l’air vicié que nos contemporains polluent sans vergogne, ceci afin de le remplacer par un air plus propre provenant de la préhistoire.

Yukinobu Hoshino est un auteur de science-fiction pure parmi les plus connus au Japon. C’est la série « 2001 Yoru Monogatari » (1) qui l’a révélé au monde occidental, lors de sa parution aux États-Unis dans sa traduction en anglais : « 2001 Nights », en 1990. La série comptait dix fascicules édités par Viz Graphics. Elle sera publiée en français sous le titre « 2001 Nights Stories, version d’origine » par les éditions Glénat en 2012 au prix stratosphérique de 99 € pour 750 pages grand format (A4) rassemblé dans un coffret au tirage limité à 2 001 exemplaires. Un pari osé pour un auteur assez peu connu dans l’hexagone. La première édition de « Blue Hole », qui avait été logiquement traduite par « Le Trou bleu » chez Casterman, date de 1996, mais est passée assez inaperçue auprès des rares amateurs de mangas de l’époque, plus attiré par les éditions papier des classiques de l’animation japonaise du moment. On pourrait s’offusquer d’avoir encore mis un titre en anglais sur une édition française, mais pour une fois, cela se justifie, car il est déjà dans la langue de Shakespeare pour l’édition japonaise. Qui plus est, cela sonne mieux pour un ouvrage parlant de science, même si cela reste une fiction. À part la série « Rain Man » publiée en 2017 chez Panini, ses deux autres titres : « Moon Lost : une nuit sans lune » et « Kamunabi » ont tous deux été publiés chez l’éditeur Black Box qui s’est spécialisé dans la parution de classiques japonais méconnus.

Avec son trait réaliste et ses histoires extrêmement plausibles, comme peuvent en réaliser des auteurs de hard SF, Yukinobu Hoshino n’est clairement pas reconnu à sa juste valeur en France. « Blue Hole » à un côté rétro avec un mélange de deux genres : l’exploration sous-marine et les voyages au temps des dinosaures. Sujets qui ont déjà été mainte fois exploités dans la littérature de science-fiction. En y ajoutant un côté écologie, des questions de survie de l’humanité et un projet mégalomane, il donne une vision beaucoup plus contemporaine à ces paradoxes qui pourraient éventuellement sauver la Terre, mais sûrement au prix d’un changement dans le continuum temporel. L’idée derrière « Blue Hole » est très intéressante, mais c’est surtout la narration avec un savant mélange de cheminement intellectuel et d’action épique qui capte l’attention du lecteur. Les personnages sont assez stéréotypés, mais répondent aux codes du genre : il y a le capitaine bourru, la bimbo qui en fait trop, la femme indigène plutôt intelligente et débrouillarde, un scientifique mégalomane, un militaire borné, et tout un tas d’hommes de main sacrifiés pour que le reste de l’équipe progresse. Et il y a également pléthore de dinosaures aux comportements assez réalistes qui amènent une bonne dose d’action grandiose.

À noter que l’édition Pika n’est pas une simple réédition. La nouvelle traduction réalisée par Aurélien Estager rend le récit plus crédible et facile à lire. Surtout, les inversement de bulles et erreurs de mise en page ont été corrigées. Le format est plus grand, comme tous les mangas sortir dans la collection Pika Graphic et le papier est bien blanc et non plus jaunâtre. Bref, cette édition est beaucoup plus qualitative sur la forme comme le fond. Même si on peut remercier les éditions Casterman de nous avoir fait découvrir ce récit, c’est cette nouvelle version qui doit absolument trôner dans votre bibliothèque. Seul regret, les pages en couleurs d’origine ne sont pas présentes, mais elles ne le sont pas plus en japonais.

À gauche, comme vous vous en doutez sûrement, l'édition Casterman et, à droite, la même page provenant de la version Pika. Ce qui saute aux yeux, c’est la réorganisation des cases : un procédé courant au siècle dernier pour éviter d’inverser les pages tout en offrant un sens de lecture occidental. Certains personnages passaient ainsi de droitier à gaucher dans la même page. On peut également constater que les onomatopées n'étaient pas traduites et que le texte était bien plus gros. Mais pour ce dernier point, cela s'explique par l'augmentation de format de la nouvelle édition.

Grand maître du gekiga de science-fiction, Yukinobu Hoshino mériterait d’être mieux connu en France. « Blue Hole » est peut-être son œuvre la plus accessible et divertissante. C’est en tout cas un sujet d’actualité qui, 30 ans après, n’a pas pris une ride. Ni le dessin ni l’histoire ne font daté. Une seconde série en trois volumes intitulée « Blue World », faisant directement suite à ces deux volumes, sera également publiée par les éditions Pika dans la même collection en 2022.

Gwenaël JACQUET

« Blue Hole » T1 par Yukinobu Hoshino
Édition Pika (20 €) – EAN : 9782811651732

(1) Prononcez : « Ni sen ichi yoru monogatari ».

Galerie

Une réponse à Le retour du trou bleu !

  1. jfmcd1 dit :

    Dommage que personne ne réédite 2001 Nights en version abordable…

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