Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Décès brutal de Mandryka : Nikita rejoint Claire et Marcel !
Dans la nuit du 13 au 14 juin, Nikita Mandryka est décédé brutalement à Genève où il avait son atelier. Après Marcel Gotlib et Claire Bretécher, c’est le troisième mousquetaire de l’aventure de L’Écho des savanes qui nous quitte. S’il fallait donner le titre de père au mouvement naissant de ce qu’on a appelé la « nouvelle bande dessinée », c’est à Nikita Mandryka que revient ce titre. Il avait 80 ans.
Nikita Mandryka voit le jour le 20 octobre 1940, à Bizerte en Tunisie, où son père d’origine russe est médecin : son grand-père officier de la marine du tsar ayant fui la Révolution russe.
Il découvre la bande dessinée à l’âge de sept ans lorsque son père lui offre un numéro de Spirou.
Sa première bande dessinée, « Prosper habitant de la planète Farce », est publiée à la suite d’un concours dans le n° 42 de Risque-tout daté du 6 septembre 1956.
Il gagne Paris pour y étudier le cinéma à l’Idhec, mais abandonne deux ans plus tard pour se consacrer à la bande dessinée.
Influencé par le « Copyright » de Jean-Claude Forest qu’il recopiait inlassablement, il démarre véritable ment sa carrière dans Vaillant : l’hebdomadaire qui publiait cette bande loufoque dans les années 1950.
Sous le pseudonyme Nik, il crée l’éphémère « Boff » dans le n° 1031 (14/02/1965) avant de camper, sous la signature Kalkus, « Le Concombre masqué » : légume justicier au destin sans cesse contrarié (1). La série qui débute dans le n° 1038 (04/04/1965) de Vaillant, le journal de Pif s’interrompt dans le n° 1270 (15/10/1967) de son successeur Pif gadget.
Bien des lecteurs de l’époque seront surpris par le légume fabuleux vivant dans son cactus blockhaus, plus encore avec « Les Minuscules » en 1968
et, enfin, « Ailleurs » de 1969 à 1973 : série de gags aux frontières de l’absurde, inspirée par « Krazy Kat », et brièvement poursuivie dans Phénix.
Présent dans les pages de Pilote dès 1966, il y relance son « Concombre masqué » dans le n° 584 (14/01/1971).
Toujours dans Pilote, il dessine « Les Clopinettes » : gags en une page conçus avec la complicité de son ami Marcel Gotlib.
René Goscinny, alors rédacteur en chef de Pilote, refusant la publication d’une de ses histoires métaphysiques, il décide de créer son propre journal (L’Écho des savanes), entraînant dans l’aventure ses amis de Pilote : Claire Bretécher et Marcel Gotlib.
Le premier numéro sort en mai 1972, révolutionnant l’histoire de la bande dessinée francophone.
L’aventure n’est pas de tout repos : Mandryka se retrouve seul et fauché, ouvrant le journal à d’autres dessinateurs, et poursuivant sa parution vaille que vaille jusqu’au n° 84 en janvier 1982.
Il y réalise de nombreuses histoires délirantes, provocatrices (avec ou sans son personnage fétiche), les appliquant souvent aux principes de la psychanalyse dont il est friand.
Entre-temps, il reprend le « Concombre masqué » dans Pilote en 1979, puis brièvement dans le supplément BD du Matin de Paris, enfin dans Spirou en 1989, où les éditions Dupuis proposent les facéties de ce champion du non-sens en 1992.
Toujours pour Spirou, il réalise des dessins animaliers avec le scénariste Fritax — Jean-Claude de la Royère — (album « Les Animaux sont-ils des bêtes ? » édité par P & T Productions).
Brièvement rédacteur en chef du nouveau Charlie mensuel en 1982, puis de Pilote & Charlie en 1984, il écrit « Alice » pour Riverstone et deux épisodes des « Gardiens du Maser » pour Massimo Frezzato.
Il collabore à Métal hurlant, Fluide glacial, (À suivre), Le Petit Mickey qui n’a pas peur des gros et même à Perlin, et revient à L’Écho des savanesen 1995 où il signe « Les Aventures de Roger Bacon ». On lui doit aussi quelques BD publicitaires, dont « Pas de sida pour miss Poireau » écrite en 1987 par Claude Moliterni.
Grand prix de la ville d’Angoulême en 1994, prix du Patrimoine en 2005, prix Töpffer en 2019, il abandonne peu à peu la bande dessinée traditionnelle.
Depuis 2010, il réalise des petits ouvrages aux tirages limités pour l’éditeur Alain Beaulet. Dix volumes sont sortis de « Du barouf dans le potage » en 2010 jusqu’à « Conc et Chou lanceurs d’alertes » en 2017 : voir « Contes zen » et « Aventures potagères » : Mandryka et son Concombre sont toujours là !.
Il animait des blogs quotidiens, l’un dédié aux nouvelles aventures du Concombre (http://www.leconcombre.com), l’autre au parcours de son auteur : http://www.mandryka.fr.
Sans jamais connaître un succès digne de son œuvre, Nikita Mandryka est un maillon essentiel dans la mutation de la bande dessinée pour enfants en direction de la BD s’adressant aux adultes née dans les années 1970.
Le plus bel hommage que l’on puisse lui rendre est de relire l’intégrale — même si elle ne contient que la version publiée dans Pilote — de son « Concombre masqué » rééditée par Dargaud en 2004 et de se procurer l’ultime aventure de son curbitacé qui vient juste de paraître (dans un petit album cartonné publié en couleurs) chez Alain Beaulet : « La Vie secrète du Concombre masqué  ».
La rédaction de BDzoom.com (dont de nombreux membres connaissaient personnellement bien Nikita), profondément touchée par cette triste nouvelle, adresse ses plus sincères condoléances à ses proches.
Henri FILIPPINI Â Â Â Â Â
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER
(1) En complément de cette nécrologie, lire (ou relire) le « Coin du patrimoine » de Cecil McKinley : Le Concombre masqué.
Pas mieux. Très triste. ;o(
C’est très triste, je me rend compte que la moitié de ma centaine de dédicaces vient de dessinateurs aujourd’hui disparus…
Dans une de nos correspondance il y a eu un truc qui clochait …et pourtant ça a presque 2 ans.
Il m’envoie un mail
Objet : Mon dernier dessin (avant la fin !)
Un dessin avec la légende « Les prêtres non autorisés au mariage »
et là on voit un curé ravi de cela car face à une servante laideron amoureuse de lui .
Suite à la bizarrerie de l’objet je lui demande
Merci beaucoup , mais pourquoi la fin ? C’est étrange comme parenthèse
Et puis en réponse cette phrase de Mandryka ,énigmatique .
« Je plaisante. Le dernier dessin peut être interprété comme le dernier dessin que j’ai fait….
…ou le dernier dessin avant de mourir. »
Bizarre non?
Notre période tristounette de têtes réduites et d’hyper-contrôle a dû l’achever…
Je n’aimais pas tout chez lui, mais son aventure de « L’écho des savanes », on le voit avec le recul, était culottée et unique en son genre.
Ceux qui n’ont pas « Tonnerre de bulles » n° 20, d’avril 2019, peuvent saisir la chance de lire un long – et très intéressant, sans langue de bois – entretien avec lui. Dans le même n° de ce fanzine/revue, vous aurez Goossens, qui dit mieux ?