Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Ultime tome pour la toujours aussi sombre et réussie « Trilogie du Moi »…
Après l’imposture morale développée dans « Moi, assassin » et l’imposture scientifique dans « Moi, fou » (1), c’est l’imposture politique qui est le point de départ de « Moi, menteur » : un troisième et dernier volet où les fils finissent par se dénouer, donnant à l’ensemble sa dimension finale. L’intrigue policière sur des meurtres baroques, limites gore, menée dans une ambiance lovecraftienne où le mensonge règne une nouvelle fois en maître, n’est qu’un prétexte pour tracer le portrait d’une métropole noire, gothique et mythique : Vitoria-Gasteiz, ville du Pays basque espagnol où le scénariste Antonio Altarriba a enseigné, pendant 40 ans, la littérature française à l’université.
Il est évidemment tout à fait possible de lire les trois volumes de manière totalement indépendante, mais on ne saurait que trop vous conseiller de démarrer par la lecture des deux premiers, avant de sombrer dans « Moi, menteur », où toutes les trajectoires se recoupent et les conflits s’achèvent : des échos à certaines cases permettant de relier les récits entre eux, même s’ils ne sont pas directement connectés. D’autant plus qu’on y retrouve le personnage principal de « Moi, assassin », lequel avait également fait une apparition dans « Moi, fou » : le professeur d’histoire de l’art et assassin artistique Enrique Rodríguez Ramírez.Quant au protagoniste du dernier volet de cette remarquable bande dessinée, Adrián Cuadrado, il s’agit d’un menteur par vocation, mais aussi par nécessité conjugale, car il mène une double vie entre son épouse — et ses deux enfants — à Vitoria-Gasteiz et sa maîtresse torride à Madrid. Conseiller en communication du parti démocratique populaire (force dominante de l’échiquier politique espagnol vouée à la corruption, aux magouilles et à la manipulation), il est chargé de trouver la lumière qui illuminera le meilleur profil d’un candidat, afin d’en faire un produit désirable pour les électeurs. Pour l’heure, sa mission est de faire entrer dans le grand bain national un jeune élu local, dont l’homosexualité assumée pourrait offrir un gaywashing à son parti trop longtemps accusé d’homophobie.Cela n’aurait dû poser aucun problème à notre bonimenteur politique, s’il n’y avait pas eu la découverte inopinée de trois têtes coupées de conseillers municipaux, artistement conservées dans des bonbonnes en cristal, et cette opération immobilière autour des palais en ruine qui constellent la cité basque.Le scénario de l’universitaire-écrivain Antonio Altarriba, notamment distingué pour son diptyque biographique sur sa famille et la guerre civile espagnole (2) est remarquable, tout comme le traitement graphique de son compère, José Antonio Godoy Cazorla, dit Keko.Ce dessinateur et illustrateur madrilène, dont ont été aussi traduits en français « Plein les yeux » aux éditions de l’An 2 en 2006 et « La Protectrice » chez Actes Sud-L’An 2 en 2012, utilise des à-plats noirs qui soutiennent à la perfection les propos du scénariste. Sans parler de cette couleur rapportée, pour chacun des volumes, qui — un peu à la manière du « Sin City » de Frank Miller — attire l’attention du lecteur sur les éléments signifiants dans les cases et qui introduit une étrangeté supplémentaire au récit : que ce soit les taches de rouge dans « Moi, assassin », de jaune dans « Moi, fou » ou de vert dans « Moi, menteur ».
(1) Voir : « Moi, assassin » par Keko et Antonio Altarriba et « Moi, fou » par Keko et Antonio Altarriba.
(2) À l’occasion du dixième anniversaire de la parution française du premier volume (« L’Art de voler » de Kim et Antonio Altarriba), la collection Denoël Graphic vient de rééditer cet excellent diptyque — donc avec le tome 2, « L’Aile brisée » — en un seul opus intitulé « L’Épopée espagnole » : ceci dans une version agrandie, pour un meilleur confort de lecture…
« Moi, menteur » par Keko et Antonio Altarriba
Éditions Denoël (21,90 €) — EAN : 978-2-207-15746-6
Très intéressante » trilogie », et également très astucieuse idée que celle des couleurs qui parsèment ces trois albums! Jaune, rouge et vert forment en quelque sorte le drapeau de ces histoires!
Bonjour la planète …
effectivement , cette série semble intéressante , avec
un trait graphique des plus agréable . Pour les codes
couleur il y a eût aussi récemment ce recours pour les
histoires de Boris Vian = bleu pour “Et on les tuera tous
les affreux” , jaune pour “J’irais cracher sur vos tombes”
, rouge pour “Les morts ont tous la même peau” , et vert
pour “Elles se rendent pas compte” .