Entretien réfléchi et ludique avec les auteurs du diptyque « Après l’enfer »…

Fabrice Meddour et Damien Marie sont les auteurs d’« Après l’enfer ». Ces deux volumes mêlent habilement l’histoire et la fiction. En 1865, des personnages en quête de vengeance ou de rédemption errent dans le Sud des États-Unis dévasté par la fin des combats de la Guerre de Sécession. Un diptyque, original, avec des références littéraires et cinématographiques surprenantes, une bande dessinée émouvante qui revisite une époque charnière ; celle de la naissance d’une nation.

Damien Marie (au scénario) et Fabrice Meddour (aux dessins et couleurs) sont les auteurs d’« Après l’enfer » : une fable noire, tragique et terriblement humaine. Damien Marie a construit cette tragédie à s’appuyant autant sur les faits historiques que sur ses lectures d’« Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll et du « Magicien d’Oz » de Lyman Frank Baum, ainsi que sur ses obsessions cinématographiques : « Délivrance », « Aliens », « Angel Heart » ou « Apocalypse now ». Les superbes aquarelles de Fabrice Meddour, parfois soutenues de traits à l’encre acrylique ou au pastel, bercent ce road-movie cruel d’ambiances discordantes selon l’événement relaté ou les personnages en jeu.

Nous remercions les deux auteurs d’avoir répondu à nos nombreuses questions sur leur travail en commun, Damien Marie avec le sérieux d’un scénariste reconnu, Fabrice Meddour avec plus de fantaisie.

Après l'enfer T2 page 3.

BDzoom.com :  Bonjour, pouvez-vous nous résumer l’intrigue du diptyque « Après l’enfer »

Damien Marie © L Melikian.

Damien Marie : On est en 1865, le Sud a perdu la Guerre de sécession et pendant que trois soldats reviennent sur leurs terres spoliées par les profiteurs de guerre, deux jeunes filles, victimes elles aussi d’un après-guerre qui ne les prend pas en compte, tentent de subsister.

La rencontre des deux groupes va dessiner un but commun : recouvrer l’or du sud volé par 12 salopards à la traîne de l’armée de Sherman.

Mais nos personnages cherchent bien autre chose que de l’or…

Fabrice Meddour : Bon bin là, déjà, rien de plus à dire ; en même temps, Damien tire vachement la couverture sur lui, moi j’trouve….

BDzoom.com :  Dans cette œuvre très riche le titre fait référence à la survie des personnages après la perte d’un univers familier, expliquez-nous ce qui rend leur quête si émouvante.

Damien Marie : Nos héros cherchent, après la furie de quatre ans de guerre, à redonner du sens à leur vie dans un monde qui ne veut plus d’eux. Ceux qui les rend attachants, c’est certainement que leur situation fait écho à nos propres craintes. Perte de repères, mise au banc, précarité. Ils sont les fantômes de nos placards.

Fabrice Meddour : Ouais bin là nan plus, la loose totale quoi !! En même temps, tu veux ajouter quoi ? Ouais bin j’aurai pu…

BDzoom.com :  Vous mêlez de nombreuses influences littéraires et cinématographiques dans « Après l’enfer ». Pourquoi faire des références explicites à « Alice au pays des merveilles » et au « Magicien d’Oz » ?

Damien Marie :  j’ai voulu créer une résonance entre nos acquis culturels et une période historique. Alice et Dorothy ont toutes deux, dans leurs contes originels, perdu le monde qui les abritaient au profit d’un nouvel univers dont elles n’ont pas les codes et dans lequel elles doivent se reconstruire.

Les deux filles et les trois soldats démobilisés subissent la même désorientation après la reddition des états confédérés. Ce parallèle m’a semblé une opportunité intéressante pour appuyer l’ambition fantastique du récit.

Fabrice Meddour : Nan, mais là OK, ce n’est pas pour moi du tout… Mais alors pas du tout.

Après l'enfer T2, page 6.

BDzoom.com :  Parmi les nombreux clins d’œil au 7e art, on retrouve notamment « Délivrance » ou « Angel Heart », pourquoi pas au mythique « Autant en emporte le vent » qui se déroule à la même époque ?

Damien Marie : Les références qu’on croisent sont les images qui m’ont marquées, les sensations qu’elles m’ont procurées. Je n’ai pas cherché de référence directe à l’époque… Toutes mes influences sont anachroniques. Il n’y a que les sentiments qui ne le sont pas.

Fabrice Meddour : AHHHHH, bin là je peux répondre : ahhh, hein ? On la ramène moins, hein !!!

Alors pour ma part je me suis appuyé sur deux éléments principaux « Free State of Jones », et « Les Proies », les films de Gary Ross et de Sofia Coppola, entre autres…

Ahhhh voyez qu’j'ai mon mot à dire…

Et c'est quoi, cette église ? Le Vaudou, madame.

BDzoom.com :  On croise dans ce récit un personnage qui est l’un des fondateurs du Klu Klux Klan, quel est la part de vérité historique dans « Après l’enfer » ?

Damien Marie : L’aventure, bien qu’elle soit purement fictionnelle, s’appuie de façon récurrente sur des faits historiques, c’est ce pas de deux entre vérité et imaginaire qui chamboule la lecture… ça pourrait être considéré comme un clin d’œil de plus au « Lucky Luke » de Morris & Goscinny qui s’appuyait généralement sur des figures célèbres de l’Ouest.

Ici, Nathan Bedford Forrest a effectivement existé et a été le premier grand sorcier du Klan. Un cahier supplémentaire dans le tome 2 revient sur un ensemble de référence historique citée dans le diptyque.

Fabrice Meddour : No comment… Déjà que faire des cagoules blanches à l’aquarelle, bin, ce n’est pas facile !

L'entrée dans la bayou...

BDzoom.com :  L’intrigue du deuxième volume se concentre sur différents personnages liés au vaudou. Ce culte a-t-il eu une forte diffusion dans le Sud des États-Unis à l’époque ?

Damien Marie : Le vaudou s’importe d’Afrique de l’Ouest avec l’esclavage à partir du XVIIe siècle.

On parle même d’âge d’or du vaudou en Louisiane entre 1820 et 1860.

J’avais envie de marquer le western de cette empreinte cultuelle d’importance, d’en dégager des axes parfois méconnus, du zombi aux rituels bienveillants…

Fabrice Meddour : Oui, bin, je suis dessinateur ; aussi, comment je peux savoir moi ?

Z’êtes marrant aussi !

Après l'enfer T2, page 16.

BDzoom.com :  Pensez-vous que les fractures raciales et sociales que vous décrivez dans les États-Unis des années 1860 sont toujours tristement d’actualité en 2021 ?

Damien Marie : Je ne suis pas politologue et je ne m’aventurerai pas sur les parallèles entre cette guerre et la présence du drapeau confédéré lors d’événements récents…

Une guerre laisse évidemment des cicatrices profondes ; celle-ci était fratricide. Toutes les constructions, les destructions établies dans le feu et le sang génèrent des injustices, des rancœurs et traînent ces laissés pour comptes. C’est une partie de mon sujet en somme… Et en ça il est intemporel.

Fabrice Meddour : Et bin pour ma part (et oui j’ai l’droit), pour avoir de la famille dans le nord de la Louisiane et après un voyage là-bas lors du mandat d’Obama et pendant les élections opposant Trump à Clinton, on pouvait voir dans les rues et sur certaines chaines des choses assez surprenantes… même si les fractures raciales se sont un peu déplacées.

Le Klan contre les zombies.

BDzoom.com :  On ne peut que souligner la magnifique réalisation en couleurs directes, lumineuses et sensibles de Fabrice Meddour. Quelles techniques avez-vous employées et comment avez-vous travaillé avec Damien Marie ?

Fabrice Meddour © Chloé ldn

Fabrice Meddour : AHHHHH !! Alors d’abord merci!

C’est en effet sur cette histoire que j’ai eu envie de me lancer enfin en direct (couleurs directes c’est à dire sans impression du noir et blanc puis couleur ajoutées ou mise en couleurs par un coloriste) et je remercie l’équipe de Grand Angle de m’avoir laissé le feu vert.

J’utilise les encres acryliques l’aquarelle et la gouache.

Avec Damien, c’est une relation de confiance et de complémentarité : j’ai totalement confiance en lui et un plaisir permanent à dessiner sur ses mots, nous avançons ensemble pour le meilleur de l’histoire s’il y a un problème on en discute.

Je n’éprouve aucun stress à refaire un dessin une vignette ou une planche.

BDzoom.com :  Fabrice, quelles ont été vos influences dans votre travail ? Je pense notamment à Maël pour la tétralogie « Notre mère la guerre »

Fabrice Meddour : AAAh c’est encore pour moi !! Et bim !!!

Quand on évoque les références, on parle souvent des anciens : je trouve très agréable de parler de nos contemporains, voire des collègues, Comme Maël, en effet, son travail est puissant, coupant, et vraiment remarquable.

Restons dans les collègues, je pense à Tony Sandoval, Patrick Prugne ou l’admirable Gradimir Smudja. Benoît du Peloux également qui vient de sortir « Tracnar & Faribol » un album à l’aquarelle vraiment étonnant.

Les références anciennes c’est bien, avoir aussi les yeux tournés vers ce qui sort, c’est mieux.

Tu ne comprends rien au monde invisible...

BDzoom.com :  En guise de conclusion, peut-on affirmer que comme dans la bande dessinée « Après l’enfer », les femmes ont davantage la force de survivre que les hommes ?

Damien Marie : La force de survivre n’est pas une question de genre, elle est une question de caractère, de pugnacité… De raison certainement.

J’ai de plus en plus de personnages féminins centraux dans mes récits, peut-être parce que dans une société patriarcale, leur persévérance est encore plus méritoire et, pour le coup, bien plus passionnante.

Fabrice Meddour : Je suis également professeur dans le supérieur et père, et on ne peut que constater une maturité plus grande et générale chez les étudiantes. Une adolescente qui devient jeune femme est très tôt confrontée à des questions physiques, physiologiques et provoquent une obligation de maturité avec laquelle le garçon n’a pas à se confronter.

Un album emprunt de références et d'histoire.

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Laurent LESSOUS (l@bd)

« Après l’enfer T1 : Le Jardin d’Alice » par Fabrice Meddour et Damien Marie

Éditions Grand Angle (14,90 €) – ISBN : 978-2-8189-6689-1

« Après l’enfer T2 : Le Bayou d’Oz » par Fabrice Meddour et Damien Marie

Éditions Grand Angle (14,90 €) – ISBN : 978-2-8189-6856-7

Recherches graphiques.

Les conseils de Laurent Vicomte...

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