Étonnante et dérangeant « Tomino la maudite » !

Avec « Tomino la maudite », Suehiro Maruo prend le temps de mettre en place une œuvre grotesque sur quatre volumes (1). Il y a donc matière à encore plus développer son univers atypique : lui qui se cantonnait principalement à des histoires courtes ou tenant dans un volume unique. Avec son style réaliste et ses personnages dérangeants, Maruo signe ici son grand retour en langue française, avec une édition prestigieuse pour un manga hors norme.

Quand elle a abandonné ses deux enfants, cette mère indigne n’avait même pas pris le soin de les nommer. Affublés par sa famille adoptive des noms peu ragoûtants de Shôyu et Miso (2), ils vont finalement être vendus à un cirque qui va exploiter les talents de communication mentale propre aux jumeaux. C’est avec cette nouvelle famille, composée de personnages aussi étranges qu’une fillette à huit membres ou un enfant poilu comme un singe, qu’ils vont découvrir un foyer chaleureux, mais aussi un monde d’adultes sans scrupules. Avant d’être séparé l’un de l’autre…

Avec un trait réaliste fourmillant de détails, Maruo offre, comme toujours, une œuvre visuellement et scénaristiques dérangeante. Ses monstres semblent authentiques et les scarifications détaillées à l’extrême. Il n’a pas usurpé son titre de maître de l’ero-guro (3). Plus que la vie de Tomino, c’est son entourage qui est ici étrange. Avec son teint de porcelaine, la fillette bien sage détonne même. Pourtant, au fil du récit, le lecteur découvre ses visions morbides et dérangeant lorsqu’elle est séparée de son frère qui souffre.

Maruo s’est toujours dit influencé par le mouvement surréaliste, mais c’est clairement le film « Freaks » de Tod Browning (1932) qui l’a inspiré cette fois-ci. On retrouve, dans les deux œuvres, les mêmes types de monstres exhibés dans un spectacle au voyeurisme dérangeant. Magie du dessin, Maruo peut représenter ce qu’il veut et n’hésite pas à piocher dans les figures les plus étranges pour agrémenter ses pages. Les corps, difformes, sont ainsi exposés, page après page : une ménagerie qui contraste et incommode quand on voit le réalisme apporté aux autres humains. L’auteur semble prendre un plaisir certain à mettre en scène des enfants censés découvrir le monde et dont les premiers amis sont des bêtes de foire.

« La Jeune Fille aux camélias », l’un des précédents mangas de Maruo, sorti en 1984 au Japon et en 2011 chez IMHO en France, s’inspirait déjà de « Freaks ». Néanmoins, Maruo estimait qu’il n’avait pas pu raconter tout ce qu’il souhaitait dans cette Å“uvre. Avec « Tomino », il comble donc cette frustration en écartant le carcan dans lequel il se trouvait pour étaler son histoire sur plus de 600 pages. Il a également passé beaucoup plus de temps à peaufiner son dessin. Son style est toujours plus fouillé, plus réaliste. Il avoue passer en moyenne deux jours attablé à la réalisation de chaque page. Et ça, sans l’aide d’assistants ou d’outils informatiques, contrairement à ses collègues japonais.Et cela se voit à la lecture de « Tomino la maudite » : une création vraiment personnelle, aussi réaliste que froide.

L’édition française de « Tomino la maudite » ne comportera que deux volumes bien épais, contrairement à l’édition originale japonaise distribuée en quatre tomes. La présentation est soignée, avec sa couverture cartonnée recouverte d’un pelliculage mat au toucher peau de pêche et ses pages en couleurs. Casterman a même rajouté, en bonus de ce premier volume, une interview de Suehiro Maruo par Atsushi Kaneko datant de 2013 et publiée dans la défunte revue Kaboom. Ces deux auteurs étant à l’époque publiés par les éditions IMHO. Suehiro Maruo avec « La Jeune Fille aux camélias » (2011) et Atsushi Kaneko avec « Bambi » (2006) : deux mangas novateurs dans le paysage français qui offrait peu d’œuvres japonaises alternatives à l’époque.

Illustration réalisée pour l'ouverture du chapitre paru dans le numéro de mai 2014 de Comics Beam

« Tomino la maudite », c’est le voyage au travers de toutes les influences de Maruo. Un monde dérangeant, mais peuplé de beautés côtoyant des figures cauchemardesques. « Tomino la maudite », c’est surtout une excellente porte d’entrée dans le genre ero-guro : un style indéniablement réservé a un public averti. Les amateurs seront ravis de cette luxueuse édition française.

Gwenaël JACQUET

« Tomino la maudite » T1 par Suehiro Maruo
Éditions Casterman (22 €) – EAN  : 9782203210110

(1) la version française condense l’histoire complète en deux tomes doubles.

(2) Le shôyu et le miso sont des sauces asiatiques obtenues par fermentation du soja. Le premier sert à assaisonner le riz et autres plats, alors que la seconde est principalement utilisée en tant que préparation pour la soupe.

(3) L’ero-guro est un mouvement artistique mélangeant l’érotisme et le grotesque. Les corps dénudés y côtoient des visions cauchemardesques.

© by MARUO Suehiro / Enterbrain

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Une réponse à Étonnante et dérangeant « Tomino la maudite » !

  1. BARRE dit :

    Très bonne nouvelle que ce retour de Maruo! Il a une façon très personnelle de créer des ambiances « freakesques »! Un vrai créateur d’univers un peu à part. Et cette fois ci, il nous sert un pavé, et en deux tomes s’il vous plait! Nous sommes comblés!

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