Mariko : bouleversante, mais cassée !

L’inceste est toujours un sujet brûlant de l’actualité, notamment avec la publication de « La Familia grande » : le livre de Camille Kouchner. Hasard du calendrier éditorial, le destin tragique de Mariko au centre de cette première Å“uvre poignante qu’est « My Broken Mariko » est là pour nous faire réagir : comme a réagi sa meilleure amie, malheureusement trop tard… Comme nous allons le voir.

C’est installé à la table d’un petit restaurant, pendant qu’elle ingurgite ses nouilles, que Tomoyo apprend la mort de sa meilleure amie  : Mariko Ikagawa. Simple fait divers distillé par un poste de télévision allumée en permanence, la vie de Mariko est alors traitée comme un banal suicide. Mais derrière cette perte tragique, Tomoyo était au courant des souffrances de son amie. À son tour, elle se victimise et se dit qu’elle n’en a pas fait assez pour la tirer des griffes de son père qui abusait d’elle et la battait à la moindre occasion. C’est décidé, Tomoyo ne peut pas revenir en arrière, mais elle peut sauver ce qu’il reste de son amie : quelques cendres dans une urne funéraire en carton.

L’histoire suit le parcours émotionnel de Tomoyo dans un road-trip qui débute par le vol rocambolesque et spectaculaire de l’urne. Même si la vie misérable de Mariko est au centre du récit,  c’est maintenant sa meilleure amie qui souffre par procuration. Les abus de son père ont littéralement cassé la jeune fille en la poussant au suicide. Mais ils ont également affecté et, indéniablement, affectent toujours son entourage. Le cheminement pour s’en sortir va être long, et la quête de réponse semble vaine.

« My Broken Mariko » est un manga fort en émotions. Le scénario est poignant et le dessin, oscillant entre réalisme et caricature, offre une succession de tableaux bouleversants. La détresse et le chagrin des personnages sont croqués avec une intensité remarquable de justesse. À chaque case, le lecteur peut sentir la plume qui a gratté le papier pour graver en profondeur ces images afin qu’elles ne s’effacent jamais. Mais le constat ne peut qu’être amer. Comme le souligne Mariko  : « tout est bousillé en moi  ! » Et ces bribes d’histoires qui nous sont rapportées nous semblent insignifiantes quand, dès le départ, nous connaissons le destin tragique de la jeune fille. En revanche, le mal être de son amie, ébranlée par cette auto-destruction qu’elle a pourtant tenté d’éviter, est lui toujours présent. C’est cette jeune fille, affectée au plus profond d’elle-même, que l’on aimerait voir sortir de cette situation malsaine où elle s’enfonce faute de réponses tangibles. Le deuil est un processus long et on ne peut que constater, impuissant, que chaque humain réagit différemment à une perte aussi violente. Cette histoire nous le montre de façon magistrale.

Si « My Broken Mariko » est la première histoire longue de Waka Hirako, sa carrière a commencé par la publication d’une histoire plus courte reprise en fin d’album : « Yiska ». Durant une trentaine de pages, elle y développe la rencontre incongrue entre un tueur de la pègre et un indigène illettré dans l’Ouest américain. Même s’il n’a rien à voir avec le destin de Mariko, les deux histoires s’accordent parfaitement en étant toutes deux remplies d’humanité.  Cela donne une bonne bouffée d’air frais, après avoir encaissé, page après page, une descente émotionnelle interminable.  Petit bonus, une interview très instructive de l’autrice est insérée entre les deux récits.

« My Broken Mariko », ce sont 150 pages à fendre l’âme. Une introspection dans l’enfer des humains et de cette société patriarcale largement décriée aujourd’hui. Les éditions Ki-oon, ne nous avaient pas habitués à des récits aussi durs et réalistes. Mais comme toujours, c’est l’excellence qui guide cet éditeur qui a su découvrir cette pépite pour notre plus grand plaisir de lecteur. Une chose est certaine, c’est que Waka Hirako est une autrice à suivre de très près. Peut-être que ses prochains ouvrages – un recueil d’histoires courtes et un autre sur le harcèlement scolaire – seront également traduits en français le moment venu.

Gwenaël JACQUET

«  My Broken Mariko » par Waka Hirako
Éditions Ki-oon (9,95 €) – EAN  : 979103270791

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Une réponse à Mariko : bouleversante, mais cassée !

  1. BARRE dit :

    Sur le même thème, mais en bd plus « classique », il y a « daddy’s girl » de Debbie Drechsler (l’association) et « elle pleure pas elle chante » de Corbeyran et Murat (Delcourt mirages) deux témoignages extrèmement forts! Mais sans doute y en a t-il d’autres…

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