Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Jean Graton : le bout de la piste…
Jean Graton, l’un des derniers dessinateurs de l’âge d’or du journal Tintin, nous a quitté à 97 ans le mercredi 21 janvier à Bruxelles, au terme de longues années de maladie. Après René Pellos, il a magnifié le sport dans ses bandes dessinées : la course automobile bien sûr, mais pas seulement. Alors que Michel Vaillant poursuit sa route en d’autres mains, revenons sur la riche carrière d’un auteur, parfois injustement boudé, qui a passionné les jeunes lecteurs de 7 à 77 ans… et plus encore.
Contrairement à ce que l’on peut penser, Jean Graton n’est pas né en Belgique, mais à Nantes : le 10 août 1923.
Encore gamin, il publie un premier dessin dans le quotidien Le Soir de Bruxelles.
Avant d’aborder la bande dessinée, il travaille comme ajusteur, puis dessinateur industriel, et enfin dans la publicité.
Son service militaire achevé, il gagne la Belgique à 22 ans.
Il entre au journal Les Sports où il publie ses premières illustrations, mais aussi beaucoup de publicités.
Souhaitant réaliser son rêve en se lançant dans la bande dessinée, il est reçu un vendredi 13 de 1951 à la World’s Press par Jean-Michel Charlier et rencontre Victor Hubinon, Eddy Paape, Dino Attanasio…
Aussitôt embauché, il dessine ses premières « Belles Histoires de l’Oncle Paul » pour Spirou - réunies en trois album chez Graton éditeur de 2004 à 2006, puis en une intégrale chez Dupuis en 2013 – (1), jusqu’au jour où les éditions Dupuis trouvent le stock de pages trop important. Il propose alors ses services à la rédaction de Tintin qui lui commande des histoires authentiques.
Son premier récit complet, (« La Première Ronde ») est publiée en 1953 dans le n° 250 de Tintin dont il signe aussi la couverture.
Il se spécialise dans les récits sportifs, et plus particulièrement le cyclisme (thème de sa première histoire à suivre écrite par Yves Duval et titrée « L’Inconnu du tour de France » en 1956), l’aviation… et bien sûr l’automobile.
C’est sous forme de cinq récits complets que Michel Vaillant vit ses premières aventures à partir du n° 433 du 7 février 1957 (avec l’histoire « Bon sang ne peut mentir »).
« Le Grand Défi », premier épisode à suivre en 62 pages, est proposé à partir du n° 486, toujours en 1957.
Au fil des épisodes, de nouveaux personnages secondaires entrent en scène : la famille Vaillant évidemment, mais aussi Steve Warson, son adversaire et ami américain.
Avec « Michel Vaillant », Jean Graton crée une série à la fois sportive et familiale qui devient très vite l’un des grands succès de l’hebdomadaire Tintin.
Dès qu’il en a les moyens, Jean Graton prend des assistants (Christian Denayer (3), Daniel Bouchez, Christian Lippens, Juan Castilla, Claude Viseur alias Clovis, Scott Wood, Jean-Luc Delvaux, Guillaume Lopez, Frédéric Pauwels, Christian Papazoglaskis…).
La série passe aux éditions Dargaud en 1977, brièvement chez Fleurus et Hachette (prépublication dans Super As) (2), avant la création en 1982 de Graton éditeur : sa propre maison d’édition qu’il anime avec son fils Philippe.
Le dernier album signé Jean Graton, publié en 2007, porte le n° 70.
Sous le label Graton éditeur, le père et le fils lancent à partir de 1995 la collection Les Dossiers Michel Vaillant, puis en 2000 Palmarès inédit dont les albums rééditent ses anciennes créations.
Une édition intégrale de « Michel Vaillant » en 20 volumes entièrement conçus par Graton Éditeur est proposée aux éditions du Lombard, de 2008 à 2013. Rejoignant les éditions Dupuis en 2008, Graton éditeur démarre une seconde saison de la série sans Jean Graton.
Elle se veut plus moderne, sans renoncer aux valeurs d’origine, et est signée Denis Lapière et Philippe Graton pour le scénario, Marc Bourgne et Benjamin Benéteau pour les dessins.
Toutefois, Michel Vaillant n’est pas le seul personnage imaginé par le prolifique Jean Graton.
On lui doit aussi de nombreux récits complets dans Tintin (avec aussi des strips publicitaires pour l’agence Publiart) (4) pour l’hebdomadaire Line au cours des années 1960 : voir https://www.michelvaillant.com.
En 1966 il crée « Les Labourdet » : une famille bien française imaginée par son épouse Francine Graton (5), publiée par l’hebdomadaire familiale Chez nous.
Neuf épisodes sont réalisés, édités tardivement en albums de 2001 à 2008 par Graton éditeur après l’échec d’une première tentative chez Dargaud/Lombard en 1967/1970.
Il aborde le monde des deux roues avec la création de la blonde Julie Wood.
Les aventures de cette sympathique championne de moto étaient initialement prévues pour le mensuel Lucky Luke des éditions Dargaud, mais ont été publiées directement en albums aux éditions Dargaud à partir de 1976 : un épisode a quand même été pré-publié dans le mensuel spécialisé Plein Pot, en 1978, et elle sera aussi au sommaire de la revue allemande Zack dès 1977, puis des petits formats Zack Parade, à partir du début de 1978, avec des épisodes inédits.
En France et en Belgique, on la retrouve dans ses équivalents francophones Super As/Super J, du n° 9 au n° 40 : il s’agit de ses trois dernières aventures (sur huit au total) en 44 ou 46 pages en tant qu’héroïne à part entière, lesquelles seront reprises en albums chez Fleurus/EDI-3, en 1979 et 1980.
Une intégrale en trois volumes est paru chez Graton/Dupuis de 2015 à 2019.
Alors que son créateur vient de quitter la piste, « Duels » le neuvième épisode de la seconde saison des aventures de Michel Vaillant vient de sortir.
Une histoire – signée Denis Lapière pour le scénario, Vincent Dutreuil et Benjamin Benéteau pour les dessins – où une fois encore intrigues familiales et compétitions sportives se mêlent harmonieusement (56 pages, 15,95 €, EAN : 979 1 0347 4928 7).
Malgré une remarquable carrière, le travail de Jean Graton n’a que rarement été apprécié par les esthètes qui n’ont vu en lui que la face commerciale de son œuvre. (6)
Pour mieux connaître l’homme notons le long et passionnant entretien réalisé en 1972 par Bruno et Béatrice Duval, publié en 2013 dans le n° 5 de Bananas.
À propos de ce rejet de la part des historiens de la BD, Jean Graton confiait : « Je ne fais pas du « commercial » volontairement. J’ai réalisé des histoires de courses automobiles avec un dessin maladroit qui a évolué avec le temps sans devenir virtuose. Je ne me considère pas comme un artiste comme Cuvelier ou comme Druillet dont le travail m’étonne. Si les fanzines et les soi-disant spécialistes s’intéressent à une certaine bande dessinée, les éditeurs s’intéressent à une bande dessinée qui se vend. Je préfère déplaire à certains esthètes qui ne trouvent pas dans mes bandes dessinées la fantasmagorie ou le génie qu’ils recherchent, et plaire à des milliers de gosses. ». Ou encore : « La bande dessinée n’est pas une chose sérieuse, mais elle se fait sérieusement … Une fois, j’ai entendu un conférencier évoquant un passage où Tintin s’accroche à une corde, parler de cordon ombilical et de symbole du retour à l’origine. Hergé qui était présent m’a regardé et a souri. Comme le dit Franquin, on s’amuse d’abord et on essaie d’amuser les gens, ça na va pas plus loin. ».
Si son dessin – qui, dans un premier temps, n’avait rien à envier à ses amis Hubinon ou Paape – s’est au fil du temps quelque peu déshumanisé avec une participation de plus en plus importante du studio, il faut saluer son souci de documentation et le soin porté aux décors.
Il fut aussi un excellent scénariste (souvent avec l’aide de son épouse Francine), capable de conjuguer l’intrigue toujours bien ficelée et le réalisme qu’exige le sport.
Il est conseillé à ceux qui souhaitent replonger dans les aventures de Michel Vaillant de se procurer les 20 tomes de l’intégrale parfaitement imprimées et dotées de dossiers passionnants et riches en documents.
L’équipe de BDzoom.com présente ses sincères condoléances à Philippe Graton et à ses proches.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts et mise en pages : Gilles RATIER
(1) Voir Les premières « Belles Histoires de l’Oncle Paul »….
(2) Voir Le Grand Magazine de bande dessinée européenne : et Super As arriva !.
(3) Voir « Les Casseurs » de Christian Denayer.
(4) Voir Les trésors de l’agence Publiart au Centre Belge de la Bande Dessinée….
(5) Voir Décès de Francine Graton.
(6) Voir « Michel Vaillant ».
Une vie bien remplie et bien longue pour cet auteur. D’autres ont eu une existence un peu trop raccourcie…
…Hommage …! Le dernier des Grands…il avait créé tout un monde auquel on croyait presque.., ”Le pilote sans visage ” quelle belle bd à classer parmi les meilleures…!
Toutes mes condoléances à M. Philippe Graton et à sa famille pour la perte de son papa cet homme hors du commun qui a créé Michel Vaillant ce héros de fiction dont les aventures nous ont tous fascinés. Je suis à la recherche d’un ancien collaborateur de Monsieur Jean Graton de 1969 à 2002, Monsier Daniel Bouchez avec qui j’aimerais beaucoup communiquer pour prendre des nouvelles de son papa Jacques Bouchez et lui réitérer mes remerciements pour son Spécial Moto Michel Vaillant dont il m’avait fait parvenir un exemplaire au Zaïre en avril 1980.
Merci pour votre aimable attention
Jacques Poirier
Québec, Canada
Un très grand Monsieur s’en est allé! Il faut relire les Michel Vaillant (et les Labourdet) de grosso/modo 1957 à 1975. Des aventures extrêmement bien dessinées. Pour ma part, même si comme moi on est pas mordu d’automobiles, on ne peut qu’admire la façon dont il en rend le mouvement, le volume, le danger:remarquable. Les personnages étaient attachants (faire cohabiter et exister toute une famille de trois génération chose que l’on retrouvait chez les Vaillant et le Labourdet). Les scénario, pas toujours limités aux courses automobiles au début ( ce qui était – pour moi- un gros plus), tenaient bien la route (hi,hi!). La productivité qu’il a dû assurer pour faire tourner à partir son studio fin de années 70 à nuit à la qualité des scénarios mais le dessin restait ENORME!! Toutes mes condoléances à sa famille.
Par contre, je viens de lire Michel Vaillant « Duels » , tome 9 de la reprise intitulée nouvelle saison et c’est terminé je n’en achèterai plus. Tout y est raté le dessin (c’était déjà le cas des 8 épisodes précédents mais on nous avait dit qu’il fallait accepter un nouveau style), le scénario est inepte et pour revenir sur le dessin les personnages sont de plus en plus laids..
Michel Vaillant c’est un peu comme pour Ric Hochet : les 15 premiers tomes au top.
Bonjour,
Normal que vous pensez ainsi si vous vous êtes arrêté aux premiers tomes de Ric HOCHET!