Robin des Bois, prince des valeurs…

Dans l’imaginaire populaire, le justicier Robin des Bois est indissociable de son ennemi juré, le shérif de Nottingham. Car, dans ce royaume d’Angleterre affaibli par le départ de Richard Cœur de Lion aux Croisades en 1190, le pouvoir est tombé aux mains de ceux qui en abusent, tel le prince régent Jean sans Terre. Caché dans la forêt de Sherwood, le défenseur des opprimés fait toutefois espérer des temps meilleurs… Revisitant les arcanes et les archétypes du monde médiéval anglais, Benoît Dellac, Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet livrent au Lombard une palpitante relecture du mythe : et si les identités troubles de Robin Hood et du shérif de Nottingham ne cachaient qu’une seule et même personne ? Pour la réponse à cette énigme, suivez la flèche…

Statue de James Woodford représentant Robin des Bois, près du château de Nottingham.

Mentionné judiciairement pour la première fois en 1228, le nom de Robehod (Robin le truand, ou Robin l’encapuchonné) se retrouve à la fois dans la littérature (en 1377, avec son apparition dans « Pierre le laboureur » de William Langland) et dans les chansons de geste du XIVe siècle. Il sera alternativement décrit comme un hors-la-loi au grand cœur affrontant un système corrompu, un noble renié ou un paysan cruel ; dans ce dernier cas, il n’hésite ni à tuer ni à détrousser son prochain pour son propre compte, armé d’un arc long ou d’un simple poignard. Outre l’adjonction de personnages secondaires au fil des versions (Belle Marianne, son confesseur frère Tuck et le colosse Petit Jean, chef des brigands et rebelles réfugiés dans la forêt), voyons que l’histoire de Robin des Bois reculera dans le temps à la fin du XVIe siècle : initialement placée vers 1322 sous le règne d’Édouard III, la légende s’installe définitivement dans les années 1190, époque-clé où Richard Cœur de Lion participe à la troisième croisade (1189-1192). Enfin, à travers « Ivanhoé » (1819) de Walter Scott, Robin des Bois est popularisé dans le monde entier : il devient un rebelle saxon combattant les seigneurs normands (descendants des conquérants du sol anglais en 1066), volant aux riches pour donner aux pauvres.

Le Roi est mort ? (planches 1 à 3 et encrage de la planche 2 - Lombard 2021).

Si l’Histoire comme la fiction sont riches en personnages similaires, plus ou moins réalistes et crédibles dans leurs nobles intentions (de Mandrin à Zorro en passant par Jesse James ou Arsène Lupin), voyons que le cas de Robin des Bois occupe une large part de la mythologie entourant la pittoresque rubrique des bandits redresseurs de torts. Icône solidaire, Robin vise essentiellement à récupérer l’argent des énormes impôts extorqués par le shérif de Nottingham pour le compte du roi spoliateur Jean sans Terre, afin de le redistribuer aux plus démunis, autrement dit aux contribuables. Cette action ambigüe et très machiavélique (au-delà de la supposée bonne cause, un vol reste un vol…) pose à l’évidence un problème moral, outre la question de recherche de leadership.

Une mythologie cinématographique... (1938 et 1973).

Revêtu d’une tunique verte ou brune, tenue de camouflage idéale (selon le sens premier du terme hood : la capuche), Robin aurait élu domicile dans la forêt ou le bois (wood) de Sherwood, situé au nord-est de l’Angleterre dans le comté du Nottinghamshire. Ce lieu (digne des maquis), devenu à son tour synonyme d’esprit de résistance, sert de décor à la première série de strips américano-canadiens mettant en scène Robin des Bois : « Robin Hood and Company » (Charles Snelgrove et Ted McCall) en 1936. Le cinéma immortalise le personnage dès 1922 (sous les traits de Douglas Fairbanks), puis successivement en 1938 (« Les Aventures de Robin des Bois » par Michael Curtiz, avec Errol Flynn et Olivia de Havilland), 1976 (« La Rose et la flèche » de Richard Lester, avec Sean Connery et Audrey Hepburn), 1991 (film de Kevin Reynolds avec Kevin Costner) et 2010 (film de Ridley Scott, avec Russell Crowe et Kate Blanchett). Sans oublier bien sûr la célèbre version animalière des Studios Disney (réalisation de Wolfgang Reitherman) sortie sur les écrans en 1973 et également inspirée par « Le Roman de Renart ».

Le temps des affrontements (planches 4 à 6 - Lombard 2021).

Dans l’actuel « Nottingham », l’action débute en 1192, date fatidique où le félon Jean commence à faire courir le bruit que son frère Richard est mort ou disparu. En réalité, lors de son retour de la troisième croisade, le roi d’Angleterre vient d’être capturé par le duc d’Autriche et remis aux mains d’un autre de ses adversaires, l’empereur germanique Henri VI. Lequel s’empresse de demander une énorme rançon : un premier versement de 100 000 marcs d’argent sera versé en 1194, soit un peu plus de 23 tonnes de ce précieux métal ! Enfin libéré, Richard rentre en Angleterre et doit encore se battre contre Jean pour reconquérir son trône : le château de Nottingham sera la dernière forteresse à tomber… C’est dans ce contexte troublé que le déplacement temporel du mythe de Robin des Bois prend tout son sens : luttant contre les sbires du roi Jean, le but du héros se transforme en une volonté de restaurer indirectement Richard sur son trône usurpé. En réalité, ni Richard ni Jean ne bénéficiaient probablement d’un très grand soutien populaire dans l’Angleterre du XIIe siècle, l’ancien comte de Poitiers et duc d’Aquitaine n’ayant par ailleurs jamais appris l’anglais durant ses dix ans de règne.

Recherches de couvertures.

Qui connaît le scénariste Vincent Brugeas sait déjà parfaitement son amour immodéré pour les récits historiques flamboyants, mêlant trahisons, retournements de situations et batailles dantesques : relire si nécessaire « Block 109 » (Akileos, 2010), « Le Roy des ribauds » (Akileos, 2015-2017), « The Regiment » (Lombard, 2017-2019) ou « Ira Dei » (Dargaud, depuis 2018) ! Pour sa part, Emmanuel Herzet n’est pas en reste avec les intrigues géopolitiques de « La Branche Lincoln » (Le Lombard, 2006-2009) ou des derniers « Alpha » (depuis 2019 au Lombard). Enfin, le dessinateur Benoît Dellac, qui a fait ses preuves sur l’ésotérique « Missi Dominici » (Vents d’Ouest, 2009-2012), l’adaptation des « Princes d’Ambre » de Roger Zelazny (Soleil, 2010-2011) et le western « Sonora » (Delcourt, 2017-2019). Également associés depuis 2019 au scénario de « La Cagoule, un fascisme à la française » (Glénat), Brugeas et Herzet interrogent donc ici l’identité d’un personnage dont l’étymologie franco-germanique traduit le caractère héroïque mais aussi… la fonction d’homme de loi : Robin est un homme de robe et par conséquent en magistrat !

Concernant la trame scénaristique, nous avons questionné Vincent Brugeas sur ses sources et influences les plus notables : mythes et légendes médiévales, ou films et récits empreints d’action et d’esprit romanesque ?

« Le projet est venu à l’origine d’une idée, ou plutôt, d’une envie d’Emmanuel. Rendre justice au Shérif de Nottingham en écrivant une histoire où il ne serait pas l’immonde personnage habituellement décrit. Du tac au tac, je lui réponds : « Bah, c’est simple, il n’a qu’à être Robin des Bois »… Nous avons alors aussitôt réalisé que nous tenions un pitch presque parfait. Et la réaction de Mathias Vincent (éditeur) au Lombard nous l’a confirmé ! Une fois ce point de départ posé, la légende de Robin des Bois posait autant de problèmes que de solutions. En effet, il était évident que nous serions attendus au tournant, sur notre version, notre vision. Notre pitch nous assurait une certaine originalité, encore fallait-il intégrer les canons sherwoodiens de manière plausible et intéressante. Nous avons très vite constaté qu’il y avait autant de Robins des Bois que d’histoires de « Robin des Bois ». Nous avons par exemple découvert qu’Alexandre Dumas avait, lui aussi, écrit sa propre version…Nous ne ferons pas l’affront de dire que nous nous sommes gardés de toute influence, loin de là, mais notre postulat nous obligeait déjà un exercice de style très particulier. Comment concilier le Shérif et son antagoniste ? Rien que de répondre à cette question nous amenait encore d’autres questions. Les réponses se trouvaient alors chez les compagnons habituels du célèbre hors-la-loi. La première fut Marianne. Nous sommes très fiers de notre version et la double identité du Shérif lui donne forcément un rôle très particulier, encore rarement vu jusqu’ici. La romance est toujours là, sous-jacente, mais elle n’est plus le cœur de leur relation. De même, elle est très loin de la courtisane ou de la dame de cour souvent décrite. D’autres « canons » ont été totalement détournés, transformés, un peu à la manière du « Sherlock » de la BBC. Les canons sherwoodiens sont en réalité très peu nombreux et varient très souvent. Il est donc assez facile de se les réapproprier par rapport à un Sherlock Holmes, un Dracula ou même un Conan par exemple (et Vincent en sait quelque chose !!). »

Illustration pour un ex-libris.

Détails du travail sur la couverture : une grande acrylique réalisée sur bois par l'auteur (photos B. Dellac - 2020-2021).

En couverture, le mystère environne l’athlétique silhouette juchée en contreplongée sur un tronc d’arbre. La forêt qui semble être son élément lui a donné sa force, ses couleurs (ocre et bruns) et ses armes (le bois de son arc et de ses flèches). Digne à la fois de la saga « Assassin’s Creed » et du super-héros « Green Arrow » (Mort Weisinger et George Papp, 1941), ce visuel entre modernité et tradition impose son univers contrasté, sombre et torturé. Il interpelle en particulier sur les aspects positifs ou négatifs potentiellement associés à un personnage qui ne semble à priori pas désigné selon les conventions du genre. Gros, froid, méprisable, violent, cynique, le shérif de Notthingham (prénommé William) focalise habituellement (du moins à l’écran) tous les griefs possibles : le lecteur aura en conséquence le droit de se demander quel sort est ici réservé au méchant de service… Nous n’en dirons pas plus afin de ne pas « divulgacher » les rebondissements de ce récit de cape et d’épée, mais l’on devinera aisément les tiraillements et contradictions pouvant être présentes chez un homme saisi entre les devoirs liés à sa charge, la fidélité envers son suzerain et une envie réelle de justice. Car, en perpétuelle recherches des indispensables finances requises pour faire alliance avec le roi de France, Philippe Auguste, Jean sans Terre a choisi de s’appuyer sur les shérifs : ces officiers de la couronne sont placés dans l’obligation de lui prouver leur fidélité en versant une rente annuelle. Quitte à se rembourser sur le dos de la populace locale… Aspect des choses que la châtelaine de Sherwood, Lady Marianne, ne voit pas forcément d’un très bon œil.

Au final, nourri par des dizaines de storyboards et le style franco-belge classique mais enlevé de Benoît Dullac, l’album se permet une belle complexité scénaristique en dépassant la promesse initiale : la double identité, thème finalement peu réaliste sur la longueur, n’y est qu’un prétexte pour aborder la question des relations et valeurs tissées entre mythes, pouvoirs et idéaux. L’arc narratif est tendu…

Philippe TOMBLAINE

« Nottingham T1 : La Rançon du roi » par Benoît Dellac, Vincent Brugeas et Emmanuel Herzet
Éditions du Lombard (14,75 €) – EAN : 978-2-8036-8035-1

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