Lucky Luke : un cow-boy enfin engagé !

À bientôt 75 ans, le cow-boy qui tire plus vite que son ombre abandonne, enfin, la prudente neutralité chère aux vieux héros de la bande dessinée franco-belge. Il était temps que le personnage campé par Morris se rende compte que les hommes de couleur sont autre chose que de simples figurants au seul service du folklore de l’histoire de l’Ouest. Jul et Achdé, deux auteurs engagés, viennent d’offrir une conscience politique à ce bon vieux Lucky Luke.

Lucky Luke est en vacances : « besoin de se ressourcer », confie-t-il à ses amis. Jusqu’à ce qu’il reçoive la visite d’un notaire porteur d’une étonnante nouvelle en provenance de La Nouvelle-Orléans. Madame Constance Pinkwater, qui vient de disparaître sans héritiers, fait de lui l’un des hommes parmi les plus riches de Louisiane. Inconditionnelle des aventures du cow-boy rapportées dans la presse, la vieille dame désigne comme son unique héritier celui dont elle collectionne les objets les plus variés évoquant ses exploits. Devenu propriétaire de la plus grande plantation de coton du Sud, notre héros considère la nouvelle comme un cadeau empoisonné. Il se rend dans son domaine afin de redistribuer sa fortune aux employés avant de pouvoir repartir solitaire vers l’aventure. Malgré l’abolition de l’esclavage pour quatre millions de noirs, le cow-boy découvre que les riches familles blanches continuent à exploiter l’or blanc (le coton) pour leur seul profit.Luke va devoir affronter ses chers voisins qui, après un accueil chaleureux, comprennent que le nouveau venu n’appartient pas à leur camp. Il est pour une fois épaulé par les Dalton qui souhaitent lui ravir sa fortune, mais aussi par Bass Reeves : authentique premier marshal noir. Il va devoir lutter contre tous ceux qui pratiquent la ségrégation raciale pour parvenir à se débarrasser de cet encombrant cadeau…Du temps de Morris, comme de ses successeurs, les populations immigrées — parfois contraintes — qui évoluaient dans l’Ouest idyllique de leur héros étaient de simples éléments de décors, plutôt que des personnages actifs. Dès les premiers épisodes, les Indiens y jouent leur rôle, ce qui n’est pas le cas des travailleurs chinois, tout comme des descendants d’esclaves noirs qui font seulement partie du décor, prenant rarement part à l’intrigue. Après avoir avec humour mis en scène les immigrés juifs dans « La Terre promise », Jul offre une place de choix à la population noire du sud des États-Unis, sans oublier les Cajuns du bayou : ces Blancs pour beaucoup venus de France et laissés-pour-compte. Pour la première fois, le cow-boy prend conscience de l’injustice de l’esclavage, tout en conservant son humour légendaire. Ce nouveau « Lucky Luke » est un grand cru, au scénario riche truffé de clins d’œil, flirtant volontiers avec la grande Histoire.Achdé, à qui on pouvait parfois reprocher le décalage avec Morris pour la création de ses nouveaux personnages, est ici parfait. Du notaire au marshal Bass Reeves, en passant par Socrate le contremaître, Quincy Quaterhousse l’opulent voisin, ou aux Cajuns Évangéline Berjeaut et son mari, aux membres du Ku Klux Klan, tous sont épatants. Scénario et dessins fonctionnent parfaitement, mêlant humour et réflexion : ce qui est assez nouveau pour une aventure de Lucky Luke.Signalons aux émules de feu Constance Pinkwater que le dossier de presse de 28 pages à la présentation particulièrement soignée est une belle pièce de collection.

 Henri FILIPPINI

« Les Aventures de Lucky Luke T9 : Un cow-boy dans le coton » par Achdé et Jul d’après Morris

Éditions Lucky Comics (10,95 €) — ISBN : 978 2 8847 1465 5

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2 réponses à Lucky Luke : un cow-boy enfin engagé !

  1. BARRE dit :

    Finalement, on peut considérer Lucky Luke comme un « vieux fourneau » de l’ouest, vu son âge! En attendant la sortie prochaine des 3 vrais vieillards ( exercice de diction!) et vieux fourneaux officiels!

  2. JOURDAIN Dominique dit :

    Bonjour, c’est avec plaisir que j’ai lu ce nouvel opus des aventures de Lucky Luke, je rejoins les propos de de Mr Filippini quant à l’engagement du personnage principal. J’ai pensé Angela Davis, à Martin Luther king dans les dernières vignette. Ophra et Barack, Marc Twain et Evangéline de Longfellow qui raconte la déportation des Acadiens, sont des personnages attachants, bravo aux auteurs qui sont parfaits dans leur œuvre d’instruction. Bien cordialement. Dominique.

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