« Parker » par Darwyn Cooke : une intégrale qui tue !

600 pages ! Dargaud n’a pas fait les choses à moitié en concoctant cette superbe intégrale « Parker », ciselée par le maquettiste Philippe Ghielmetti. Au menu, rien moins que les quatre volumes réalisés par le Canadien multi-primé Darwyn Cooke à partir des meilleurs récits de Richard Stark. Autrement dit Donald Westlake, grand maître incontesté du polar américain, disparu en 2008. Prototype du dur à cuire, voleur professionnel n’hésitant jamais à liquider les gêneurs, Parker est un « Chasseur » luttant contre « L’Organisation » du crime, d’un « Casse » à l’autre, et jusqu’à « Fun Island », dans l’Amérique du début des années 1960. Depuis, l’on n’a probablement pas fait mieux en termes de style noir et sensuel, avec un suspense à couper au couteau : et ce ne sont pas les traducteurs et commentateurs de l’œuvre (rien moins que Tonino Benacquista, Matz, Doug Headline, Nicolas Richard et Jean-Patrick Manchette) qui vous diront le contraire. Cela vaudrait mieux pour tout le monde…

Couverture de « Comme une fleur » : premier opus de « Parker » traduit en français en 1963 (Gallimard).

Couvertures des quatre albums réalisés par Darwyn Cooke (Dargaud, 2010 à 2014).

Affiche du film « Point Blank »/« Le Point de non-retour » par John Boorman (1967).

C’est à l’automne 1963 que paraît dans la collection Série noire – sous le titre insignifiant « Comme une fleur » – un premier roman signé Richard Stark et mettant en scène le braqueur rebelle nommé Parker. Le titre originel (« Le Chasseur ») reflétait pourtant bien mieux le parcours générique du personnage, souvent placé dans des situations impossibles. À la fois tueur et homme à abattre, Parker (qui n’aura jamais de prénom) est souvent contraint de faire face à la duplicité de ses complices lors de braquages pourtant longuement planifiés, d’échapper à une police corrompue ou aux assassins lancés à ses trousses pour récupérer le magot. Syndicat du crime, trafics de drogue ou d’alcool, réseaux de prostitution, paris clandestins et femmes fatales sont le lot quotidien de Parker, perpétuellement guidé par la volonté d’être le plus efficace possible. Jusqu’au dénouement sanglant… Comme le résume Doug Headline en introduction de la présente intégrale, « En une dizaine d’années et plus de vingt romans, Parker, parfois accompagné de son camarade Alain Grofield, le comédien-cambrioleur, sillonnera les États-Unis en ramassant sur son passage autant de dollars qu’il pourra, y laissant souvent des plumes, mais s’en tirant en générale la tête haute. » Écrivant vite et bien, Donald Westlake (né en 1933 à Brooklyn) abordera tous les genres avec délectation. Son abondante production (plus de cent ouvrages) paraîtra sous différents pseudonymes, dont ceux de Richard Stark, Tucker Coe ou Grace Salacious. Remarquée par le milieu cinématographique, la série « Parker » sera adaptée des deux côtés de l’Atlantique : citons ici « Made in USA » par Jean-Luc Godard en 1966 (d’après « The Jugger »/« Rien dans le coffre », 1965), « Le Point de non-retour » par John Boorman en 1967 (d’après « The Hunter »/« Comme une fleur », 1962 ; avec Lee Marvin), « Mise à sac » par Alain Cavalier en 1967 (d’après « The Score »/« En coupe réglée », 1964 ; Michel Constantin incarne Parker), « Échec à l’organisation » par John Flynn en 1973 (d’après « The Outfit »/« La Clique », 1964 ; avec Robert Duvall), « Payback » par Brian Helgeland (d’après « The Hunter »/« Comme une fleur », 1962 ; avec Mel Gibson) et « Parker », adaptation de « Flashfire » (2000) réalisée par Taylor Hackford en 2013 avec Jason Statham. Notons que les films auront une influence sur la saga : arrêtée avec « Butcher’s Moon »/« Signé Parker » en 1974, elle reprendra lors de la sortie de « Payback » avec « Comeback » en 1998.

Une ambiance et un physique... (Dargaud, 2020).

Jack Palance (1919-2006), le meilleur physique pour Parker selon son auteur !

Si plusieurs acteurs ont incarné Parker pour le grand écran, il semblerait que, pour Westlake lui-même, son héros soit physiquement proche de l’inquiétant Jack Palance, immortalisé par Morris en 1956 dans le mythique « Lucky Luke et Phil Defer ». De cette vision d’auteur et des choix préalablement faits par les réalisateurs découlent une grande partie du travail d’adaptation mûri par Darwyn Cooke en accord avec Westlake. Fait unique, Cooke obtient de ce dernier le droit – toujours refusé à Hollywood – d’utiliser le nom du personnage culte de son polar. Malheureusement, mort au Mexique le 31 décembre 2008, Westlake ne put jamais admirer le résultat de cette collaboration, qui déboucha sur quatre albums publiés aux USA par IDW Publishing entre 2009 et 2014. Après une brillante carrière (voir plus loin), Cooke disparaîtra à son tour en mai 2016. Dans « The Hunter »/« Le Chasseur » (Dargaud, 2010), qui débute à New-York en 1962, Parker entame une traque impitoyable, bien décidé à retrouver son ex-partenaire (Mal Resnick) et son ex-petite amie (Lynn), qui l’ont trahi lors d’un hold-up et laissé pour mort. Parker devra en outre s’attaquer à l’Organisation, à qui son ancien partenaire a remis sa part du butin pour rembourser une ancienne dette. Dans « The Outfit »/« L’Organisation » (Dargaud, 2011), Parker (qui a changé de visage grave à la chirurgie esthétique) tente de redorer ses finances avec quelques nouveaux coups juteux, tout en réglant ses comptes avec les pontes du syndicat du crime. Dans « The Score »/« Le Casse » (Dargaud, 2013), Parker déroge à ses habitudes et accepte de travailler avec un type qui n’est pas du métier. Pour réussir un coup très ambitieux : mettre en coupe réglée une ville entière ! Enfin, dans « Slayground»/« Fun Island » (Dargaud, 2014), suite à un accident, Parker n’a pas d’autres alternatives que d’aller se réfugier avec son butin dans un parc d’attraction insulaire et fermé pour l’hiver. Avec à ses trousses des flics pourris, qui n’ont pas d’autres intentions que de se débarrasser de lui…

Eros et Thanatos : Parker ne lâche jamais ses proies... (Dargaud, 2020).

Né à Toronto en 1962, Darwyn Cooke travaille en tant que directeur artistique et graphiste dans de nombreux domaines, dont l’animation, notamment sur les séries « Batman Adventures » et Superman ». Revenu à la bande dessinée en 2000 chez DC Comics (avec « Batman : Ego »), il travaille ensuite sur « X-Force », « Wolverine », « Spider-Man », « Catwoman » et « The Spirit » avant de signer une œuvre majeure (« DC : The New Frontier » ; traduit chez Panini Comics en 2005 – 2006) où son style retro fait merveille. Réfléchissant au meilleur moyen d’adapter « Parker », Cooke optera pour un choix alternatif : si les quatre premiers volumes de la série sont déterminants, ils sont de qualité inégale. Cooke optera donc pour le premier tome (« The Hunter »/« Le Chasseur »), un mixage des deux suivants (« The Man With the Gateway Face »/« Parker fait peau neuve » » et « The Outfit »/« Échec à l’Organisation »), puis « The Score »/« En coupe réglée » (5e tome de la série, 1964) et « Slayground »/« Planque à Luna Park » (14e titre de la série, 1971). Il rajoutera au final son adaptation de « Le Septième », paru en 1966 en tant que… septième opus.

Deux livres pour redécouvrir Darwyn Cooke : « Batman : Ego & Other Tails » (DC Comics, 2017) et « Graphic Ink : The DC Comics Art of Darwyn Cooke » (DC Comics, 2015).

Graphiquement, et pour le dire simplement, l’intégrale « Parker » doit faire partie des incontournables de votre collection. Ayant travaillé des années dans l’animation avec Bruce Timm, Cooke a adopté une ligne claire à l’américaine, prolongée par l’esthétique des années 1940 à 1960. Versatile, sa technique graphique oscille entre classicisme, ellipse et rupture de tons, au profit d’une réinvention du roman graphique, à moins qu’il ne s’agisse de graphisme romancé. Bavardes ou silencieuses, narrées au présent ou via un flash-back, offrant des points de vue différents sur l’intrigue en cours, les planches semblent sorties tout droit d’un polar vintage : ouatées d’une bichromie de noirs et de bleus, d’oranges ou de gris, les cases diffusent une tonalité unique. Cadrages subtils et tramages subliment un découpage moderne, où les dialogues incisifs font mouche. Avec ses paysages urbains esquissés, ses gros plans sur des scènes fortes, ses textes et images relatant les points les plus importants du parcours de Parker, le récit prend le temps d’installer un univers – l’Amérique des années 1960 – sans imposer une vision contemplative ou passéiste. Un tour de force graphique. Ainsi baigné dans une époque devenue intemporelle « Parker » n’a pas vieilli d’un iota. Une particularité également remarquée par Doug Headline en préface : « C’est dans les espaces interstitiels de l’Amérique qu’opère Parker, ces espaces sans signes particuliers à l’écart des métropoles sur lesquels le temps n’a pas de prise, où la vie s’écoule en marge de la grande Histoire. Cette mécanique […] permet au héros d’évoluer, solitaire et autonome, dans un cadre inchangé par le mouvement du monde […] » Si la relecture de l’œuvre de Donald Westlake s’impose à tous les férus de polar ou de très bonne littérature de genre, Darwyn Cooke nous offre ici une magnifique invitation permettant de goûter sans retenues les aventures mouvementées de « Parker ». On s’y laissera volontiers prendre, sans craindre « Le Point de non-retour », notamment en découvrant le faciès déterminé de ce héros peu sympathique, dévoilé en couverture dans toute sa brutalité. Un coup de poing, pour l’une des intégrales indispensables de l’année.

Temps de l'intrigue et temps de l'action (Dargaud, 2020).

Philippe TOMBLAINE

« Parker : intégrale » par Darwyn Cooke, d’après Donald Westlake
Éditions Dargaud (45,00 €) – EAN : 978-2205084931

Galerie

3 réponses à « Parker » par Darwyn Cooke : une intégrale qui tue !

  1. Jacques BERNAT dit :

    Merci de ce conseil Philippe

  2. Bernard Lorrain dit :

    « Dargaud n’as pas fait les choses à moitié »
    >>>> n’a pas fait

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